Du roman, de la BD, des hommages: Thomas Bernhard, haï par bon nombre de ses compatriotes, rayonne enfin sur la scène littéraire autrichienne, 25 ans après sa mort.
L’un des auteurs les plus traduits de la langue allemande revit dans “Die Murau Identität”, roman qui a été présenté pour la première fois cette semaine à Vienne.
Le journaliste autrichien Alexander Schimmelbusch y imagine que loin d’être mort le 12 février 1989, Thomas Bernhard coule des jours paisibles à Majorque sous l’identité de Franz-Joseph Murau, le nom du personnage central de son roman “Extinction”.
Le dessinateur autrichien Nicolas Mahler, qui avait adapté en bande dessinée il y a deux ans “Maîtres Anciens”, récidive, lui, en publiant “Le Réformateur”.
Deux témoignages parmi d’autres d’un engouement intact, que l’on retrouve aussi à l’étranger : deux recueils inédits, “Goethe se mheurt” (BIEN mheurt), et “Sur les traces de la vérité” sont parus juste avant Noël en français.
Dans le domaine allemand contemporain, explique à l’AFP Raimund Fellinger, de la maison d’édition allemande Suhrkamp, l’aura de Bernhard “n’est comparable qu’avec celles de Hermann Hesse et Berthold Brecht pour les auteurs décédés, et avec Peter Handke (auteur dramatique et scénariste autrichien) pour ceux qui sont encore en vie.”
Martin Huber, directeur des Archives Thomas-Bernhard basées à Gmunden (centre de l’Autriche), attribue la pérennité de l’oeuvre à sa “qualité stylistique” souvent imitée, faite de répétitions et d’hyperboles.
– ‘Un point très douloureux’ –
De son vivant, c’est d’abord la férocité inspirée de Thomas Bernhard envers la société autrichienne qui fit sa gloire, dans le monde des lettres et au-delà. L’Autriche, dont il n’eut de cesse de mortifier les mesquineries, les conformismes et les arrangements avec une histoire peu glorieuse ; l’Autriche, qui le réprouvait sous le terme de “Nestbeschmutzer”, en allemand “celui qui salit le nid”, c’est-à-dire celui qui crache sur les siens, et dans la soupe.
Le paroxysme de cette critique, qui ne dédaignait pas l’exagération comme procédé littéraire, a été atteint en 1988 avec la pièce “Place des Héros”, du nom du haut lieu viennois (Heldenplatz) d’où Hitler avait prononcé son premier discours après l’annexion (Anschluss) de l’Autriche à l’Allemagne nazie en 1938.
Thomas Bernhard y évoque sans fard la complicité de l’Autriche avec le nazisme, alors que le pays s’était posé dès la fin de la guerre comme la première victime du IIIe Reich.
“Thomas Bernhard a mis le doigt sur les blessures de l’histoire de l’Autriche”, dit aujourd’hui simplement Martin Huber, et l’Anschluss en était “un point très douloureux”. La première de “Place des héros” fit l’ouverture du journal télévisé en novembre 1988, et la pièce remplit les pages des journaux pendant deux mois.
Ce fut le dernier éclat de Thomas Bernhard de son vivant. Un quart de siècle plus tard, la postérité l’a réintégré dans le patrimoine national, en tant que classique de la littérature autrichienne. Mais sa verve polémique et rebelle perdure chez ceux qu’il a inspirés, au premier rang desquels sa compatriote Elfriede Jelinek, prix Nobel de littérature en 2004.
© 2014 AFP