Ibrahim annonça sur Al Jazeera son intention de briguer un second mandat. L’autopsie de son premier quinquennat révéla qu’il fut plutôt catastrophique. Le népotisme, la concussion, la prévarication, les détournements de fonds publics, l’impunité, l’incompétence des équipes gouvernementales, ont stigmatisé ledit quinquennat : 5 Premiers ministres, 8 gouvernements, 204 ministres, attestaient d’un marasme profond, suscité entre autres, par le népotisme et l’impunité du régime.
Personne ne comprend pourquoi il y eut l’inexploitation des rapports du Vérificateur, sur les exactions financières, commises par des castes d’intouchables, qui se chiffraient : OPAM 3,4 milliards ; CSA 2,2 milliards ; DFM des Affaires étrangères 1,2 milliards ; Police des Frontières 581 millions…Les autorités maliennes étaient dans la logique d’un mauvais « gouvernement des hommes », et d’une « administration catastrophique des choses ».
En 2013-2014, il y eut 113 milliards de FCFA de manque à gagner par le Trésor. En 2014-2015, l’ensemble des DFM avaient fait du faux, et usage du faux. Elles avaient fait disparaître 115 milliards de FCA. Le Mali s’était retrouvé avec 228 milliards de FCFA de montants cumulés au cours des deux années référencées. Ces montants furent tout ou partie, tombés dans les poches sales, d’hommes aux appétits féroces, tels des criquets pèlerins.
J’ai cru comprendre que seul un changement du pouvoir de main, pourrait enrailler ces pratiques sordides, désormais ancrées dans les mœurs des plus hautes autorités du pays. Les Maliens se démènent comme toujours dans une véritable misère noire, en raison des mauvaises manières habituelles des grands commis de servir ce pays.
En renouvelant la confiance à Ibrahim, je crains qu’il y ait de nouveau, la valse des Premiers ministres et des ministres, mais également le foisonnement des Ambassadeurs, et la hausse de la taille des départements ministériels. Le pays retombera plus que jamais dans un véritable cul de basse-fosse.
Le grand âge, la maladie, l’inaptitude physique seront toutes choses qui empêcheront le Président à gouverner avec efficience. Les raquetteurs y trouveront leur compte. Des cadres, et pas des moindres, ne se départiront jamais de la prédation. Car ils ont pris goût au fricotage, sous-tendu et encouragé par l’impunité. Avec Ibrahim, nous fumes témoins de la naissance d’une caste de contrefacteurs intouchables. On se le rappelle, la liste des premiers milliardaires maliens figurait dans une certaine presse du pays. Les détrousseurs s’apparentaient à de véritables tonneaux de Danaïdes.
Selon AMIEL : « …le soubassement de toute civilisation repose sur la moralité moyenne des citoyens. L’Etat fondé sur le seul intérêt, est une construction ignoble… ». Les milliardaires signalés bâtirent leurs fortunes et celles de leurs familles et proches, sur la misère d’un peuple désabusés, qui a vainement attendu sa part de céréales, d’écoles, de centres de santé primaires, de puits, de ponts…
Eu égard à son bilan et à son mode de gouvernance, Ibrahim aurait dû abandonner l’arène politique. Son âge et son état physique ne lui permettent plus de « courir des joutes en champ clos ». Il a appartenu au sérail depuis près de 30 ans. Il assuma les plus hautes fonctions de la République. Il n’a plus d’alternative crédible à proposer au peuple malien. Son indice d’expansibilité est extrêmement faible de nos jours. Ses chances d’emporter le gain du premier tour des présidentielles sont quasiment nulles. Il ne retrouvera pas, nous en sommes convaincus, le fauteuil présidentiel. Le scrutin du 29 juillet2018 ne lui sera pas favorable pour de multiples raisons. Son mentor, François Hollande fut bien inspiré, quand il ne s’hasarda pas à reconquérir l’Elysée.
Ibrahim croit que ses récentes opérations de charme lui permettront d’être réélu. Qu’il ne se méprenne. Les assurances que lui furent probablement données par le ministère de l’Administration territoriale, par la Direction Générale des Elections (DGE), par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), et par la Cour Constitutionnelle, quant à sa réélection sans coup férir, ne sont que de fausses assurances.
Je fus secrétaire permanent du Collectif des Partis Politiques de l’Opposition (COPPO) en 1997, avec l’arrestation de presque tous les chefs de partis. Je sais ce que les structures en charge des élections, sont capables d’entreprendre, pour donner une avance confortable au Président sortant. Il s’agit de truffer les scrutins d’anomalies et d’irrégularités. Ces entages provoquent nécessairement des plaintes et des protestations qui aboutissent à des violences en spirale. Les observateurs de tout acabit, que d’aucuns appellent des « touristes politiques », facilitent la dénaturation des résultats par des rapports qui manquent de crédibilité.
J’eus le sentiment que l’épée de Damoclès planait au-dessus de la tête des magistrats de la Cour Constitutionnelle qui avaient proclamé le Président sortant, vainqueur des présidentielles. La CENI transmettait des résultats biaisés à la Cour, qui les entérinait avec des « considérants », et une fausse énonciation. Il y eut plus de votants que d’inscrits au Ghana, comme dans presque tous les pays côtiers. Les temps et les hommes ont certes changé, mais les méthodes routinières de travail n’ont probablement pas évolué.
Les résultats du scrutin du 29 juillet doivent être nécessairement crédibles, pour éviter au pays de sombrer dans des crises postélectorales à n’en plus finir. Les présidentielles en Afrique ont toutes l’allure de scrutins à la Pascal Lissouba : « on ne saurait organiser des élections et les perdre ». Pourtant, les Sénégalais et les Gambiens ont fait échec et mat aux rois, pendant que Wad et Djammet détenaient tous les pouvoirs et moyens de l’Etat.
Les candidats en lice devraient s’inspirer de ces voisins, s’ils veulent réussir l’alternance. La mouvance présidentielle, certaines institutions de la République, et les observateurs mériteraient d’être particulièrement surveillés, comme du « lait sur le feu ». C’est à ce prix qu’Ibrahim ne figurera pas au « carré d’As » du second tour.
La présidentielle en perspective dégage d’ores et déjà des relents sulfureux. Le spectre de l’insécurité plane même à Bamako. Des exhalaisons putrides polluent déjà l’atmosphère politique du pays. La Cour Constitutionnelle qui fit de l’insécurité un phénomène « résiduel », n’ignorait pas les réalités des différentes contrées du Mali. Le « résiduel » minimise un véritable drame constant. Ce n’était pas un lapsus linguae, Le mot était impropre pour la circonstance. Le Nord et le Centre du Mali vivent encore dans la hantise de l’insécurité. Le « résiduel » cache imparfaitement une tragédie généralisée, qui assaille le Nord et le Centre du pays. C’est étrange ! Des magistrats qui ne sont « soumis dans l’exercice de leurs fonctions qu’à l’autorité de la loi », prirent paradoxalement parti pour le Président sortant.
Quand Ibrahim déclara : « …aucune fanfaronnade ne m’emmènera à Kidal », on pourrait affirmer qu’il connaissait les sévices que vivent les moindres hameaux du septentrion malien. A-t-on jamais demandé l’avis du Président de la Haute Cour de justice sur la nature de l’insécurité à Tenenkou, à Youwarou…? Révision pour révision, c’est plutôt le mode de désignation des membres de la Cour Constitutionnelle qui mériterait d’être revu et corrigé. Il se pourrait que les 2/3 du pays ne puissent pas voter pour insécurité. Qu’est-ce qui adviendra alors, dès l’instant où la Constitution resta muette sur ce cas de figure ?
James Freeman Clarke a dit : « … un homme d’Etat pense aux générations futures, par contre un politicien aux prochaines élections ». Même après 2 mandats, les Présidents africains sont réticents quand il leur faut céder le fauteuil. Mario Vargas écrivain péruvien déclara :« …les intellectuels et les écrivains ont tourné le dos à la politique. Ils ont oublié que si seuls les médiocres en font, alors elle sera chose médiocre… ».
Jean Barets se prononça par rapport à l’alternance : « …il est anormal que le vieillard de 70 ans puisse par son bulletin de vote, continuer à fabriquer une société dans laquelle il ne vivra pas, et que les jeunes de 18 ans ne puissent pas agir pour créer la société dans laquelle ils vivront ». Nous avions compris le message. Il s’agissait d’engager le combat de 1968 à 1991 pour instaurer de nouveau, la démocratie et toutes les libertés fondamentales au Mali.
Les présidentielles incitent enfants de chœur, et maquignons, à postuler pour Koulouba. Les détrousseurs distribuent des tee-shirts, du thé, du sucre, des matériels sportifs et de sonorisation, pour remporter le gain des scrutins. Ces racketteurs volent les consciences, et achètent les votes avec des sommes modiques de 2000 à 5000 FCFA pour être à Koulouba. Ils n’éprouvent aucune gêne à gagner les élections par des turpitudes. Le Mali regorge « d’éléphants-blancs » qui, faute de mannes à distribuer, subissent chaque fois des échecs. Des jeunes implacables et incorruptibles s’emploieront à inverser cette fois-ci cette tendance. Platon fit écrire au portique du Panthéon : « Nul n’entre ici s’il n’est philosophe, Et il affirma : « … les maux ne cesseront pas pour les humains, avant que la race des purs et authentiques philosophes n’arrive au pouvoir ». Un Président philosophe, sage, sobre, implacable, compétent…, nous est nécessaire. La recherche du bien-être matériel, et du mieux-être social pour les Maliens sera son leitmotiv. L’avènement de cet homme providentiel, se réalisera avec le vote massif des jeunes. Ils donneront à ce pays, un homme du genre « Alcibiade », que la ville de Palace attendait, à la mort de Périclès. En votant massivement le 29 juillet 2018, ils verront le souhaitable « Boua ka bla » devenir une réalité palpable : « Boua ye fanga la fili ».
Moussa SANGARE
Professeur de Philo-Psycho-Pédagogie
Inspecteur d’Enseignement à la retraite
Source: Le Pays