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Libye: le sort des migrants vire au casse-tête

MéditerranéeDes milliers de personnes croupissent dans des centres de détention libyens. La Suisse avance des solutions. Mais l’Europe en voudra-t-elle?

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Son rire égaye le lieu. Mamani, 5 ans, sautille sur les dalles du couloir avant d’entrer dans le bureau. Un bisou à celui qu’elle appelle «Oncle» et voilà la petite assise sur le canapé, jouant avec le téléphone de ce dernier. «Tu vas encore vider ma batterie», grogne l’homme tout en souriant. La scène serait banale si elle ne se déroulait pas au sein du centre de rétention pour clandestins de Tariq Al-Seka, à Tripoli, où Mamani est détenue. Une détenue au statut particulier: elle est la seule, parmi la vingtaine de mineurs présents dans le camp en cette fin de septembre, à être non accompagnée. Alors les gardes la bichonnent comme ils peuvent.

Mamani a de la chance. Dans un autre centre ou aux mains de trafiquants, elle aurait pu être traitée sans considération pour son âge et sa situation. La pratique est dorénavant connue: des gangs kidnappent les migrants sur les routes libyennes et les torturent pour pousser les familles à envoyer de l’argent. Des ONG, comme Médecins sans frontières, disent accueillir des personnes traumatisées, à la peau tailladée ou couverte de brûlures de cigarettes, quand ce n’est pas pire.

Accélérer les rapatriements

Être arrêté par les forces officielles ne garantit pas forcément plus de sécurité. À 70 kilomètres de Tripoli, le camp de Sorman, par exemple, était connu pour les viols que les migrantes subissaient quotidiennement. Il a officiellement été fermé. Lors d’une visite de centres de détention en Libye, à la fin de l’été, le haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, avait exprimé sa «vive émotion face aux conditions effroyables dans lesquelles les réfugiés et les migrants sont détenus». Sous la pression des ONG et de la communauté internationale, les autorités de l’ouest de la Libye font à présent quelques efforts pour tenter de redorer leur blason.

«Nous étions dans un camp où nous subissions des violences et des abus chaque jour». Ali, réfugié sud-soudanais de 18 ans

«La mère de Mamani est morte en tentant la traversée vers l’Europe», raconte un des gardiens du camp de Tariq Al-Seka qui abrite 350 migrants en ce début d’automne. Comme Mamani, 14 000 personnes ont été récupérées par les gardes-côtes libyens cette année. Le Groupe de contact sur la Méditerranée centrale, qui se réunit à Berne ce lundi, n’y est pas étranger: depuis sa création en mars, il accompagne le renforcement des capacités de la marine locale. Son autre objectif est d’accélérer les rapatriements organisés par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Au nombre de 2775 en 2016, ceux-ci ont déjà dépassé les 11 000 cette année. Simonetta Sommaruga arrivera à cette troisième réunion avec de nouvelles propositions concernant la protection des personnes vulnérables parmi les quelque 20 000 migrants détenus en Libye. Une stratégie lourde à mettre en place.

Le camp de Tariq Al-Seka, normalement lieu de transit pour les personnes souhaitant être rapatriés, le montre bien. Nous avons pu le visiter grâce à une autorisation du gouvernement de Tripoli. Tous les migrants rencontrés ont affirmé y être bien traités et les ONG s’y rendent régulièrement, ce qui fait de ce lieu un «modèle» selon les Libyens. Pourtant, la situation est loin d’être rose.

Arrivée en avril, Mamani est l’une des plus anciennes «résidentes». Son cas est en fait un casse-tête. En tant qu’Ivoirienne, elle fait partie des «migrants économiques», appelés à rentrer chez eux. Mais à qui la confier? Le commandant Nasser, qui dirige le centre, affirme que l’ambassade ivoirienne, contactée, n’a pas réagi. Parmi les pays d’origine des migrants, seul le Niger se montre vraiment actif. Un grand nombre de représentations diplomatiques ont quitté la Libye lors des combats de 2014 et ne sont pas revenues, ce qui complique leur travail.

Volontaires pour rentrer

Les migrants de Tariq Al-Seka ont tenté une ou plusieurs fois la traversée. Après cet échec, fatigués des sévices endurés, beaucoup sont volontaires pour rentrer. L’OIM les encourage, mais les pays d’origine traînent. À la fin de septembre, un groupe de Marocains a entamé une grève de la faim pour exiger l’accélération de la procédure de rapatriement. Le dernier groupe rapatrié avait attendu quatre mois pour que Rabat fournisse les documents officiels.

D’autres, en revanche, n’ont pas la possibilité d’un retour. «J’ai quitté le pays à cause de problèmes avec ma famille, liés à mon orientation sexuelle, explique avec pudeur Ali. Il n’est pas question que je rentre dans mon pays, qui est en guerre.» Le Sud-Soudanais de 18 ans baisse la voix en évoquant sa situation: affirmer son homosexualité en Libye, c’est prendre un risque. Il est arrivé en mai et a aussitôt été arrêté. «Nous étions dans un camp où nous subissions des violences et des abus chaque jour», explique le Sud-Soudanais. Un de ses camarades, tout en refusant de mentionner le nom du centre en question, évoque un manque de nourriture, les insultes racistes des gardiens et les coups qui pleuvent sans raison.

Pas de statut de réfugié

Après une visite d’une délégation de l’ONU, Ali est transféré au centre de Tariq Al-Seka. Depuis, il attend, espérant obtenir un asile. En Libye, le statut de réfugié n’est pas reconnu. Aucune différence n’est faite entre un migrant économique et un demandeur d’asile. Aucun processus officiel n’est organisé pour envoyer ces potentiels réfugiés vers des pays qui reconnaîtraient leur statut.

Malgré cela, Ali ne se plaint pas. Les conditions de vie élémentaires du centre «sont meilleures que dans le camp d’avant». Les efforts entamés par les autorités libyennes prennent ici la forme de climatiseurs. Derrière les grilles, les migrants ont accès à une cour couverte sur laquelle donnent les dortoirs, de vastes hangars avec des matelas au sol.

De retour dans son bureau, le commandant Nasser hausse les épaules: «Nous faisons ce que nous pouvons…» Le militaire est pourtant en colère: «Nous avons des femmes qui accouchent ici, avec l’aide d’autres détenues. Elles font ça avec de l’huile alimentaire, parce que nous n’avons rien à leur offrir!»

Un garde entre dans le bureau et explose. Une détenue vient de briser le pare-brise de sa voiture en jetant une pierre. Le matin même, elle avait été retrouvée complètement nue. Anas, responsable des détenus, nous prend à partie: «Cette femme est malade. Elle a besoin d’un suivi psychiatrique. Est-ce que sa place est dans un centre de détention? Cette situation est inhumaine.» Mamani reste imperturbable, concentrée sur le téléphone.


La Suisse veut mettre l’accent sur la protection des plus vulnérables

En Suisse, le nombre de requérants d’asile n’a jamais été aussi bas depuis 2010. Mais en Libye et dans les pays voisins, on compte des centaines de milliers de migrants. «Les importants mouvements venant d’Afrique de l’Ouest et la situation en Libye, où il n’y a ni structure étatique ni sécurité publique, sont un énorme défi pour ses voisins, qui sont des pays pauvres. C’est pour cela que nous nous asseyons avec eux autour d’une table», souligne, dans la NZZ am Sonntag, Simonetta Sommaruga.

La ministre de la Justice résume en ces termes l’objectif du Groupe de contact pour la Méditerranée centrale, dont la troisième réunion se tient lundi à Berne. Lors de cette rencontre, la Confédération veut mettre l’accent sur la protection des migrants. Il est notamment question d’une opération d’évacuation des réfugiés les plus vulnérables bloqués en Libye, en particulier les femmes et les enfants. Le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), qui fait cette proposition, aimerait que l’Europe accueille 40 000 personnes. La Suisse est prête à examiner sa participation à un tel programme de réinstallation, mais ce projet est critiqué dans le camp bourgeois.

Simonetta Sommaruga insiste également sur la nécessité d’améliorer la situation dans les centres de détention libyens, auxquels les organisations internationales doivent avoir accès. Autre objectif: faire en sorte que les migrants économiques puissent rentrer volontairement chez eux. Notre pays soutient notamment un projet de retour volontaire depuis l’Algérie vers le Niger et le Mali. Ce qui, cette fois, est salué à droite.

La Confédération s’engage encore pour le renforcement des capacités de sauvetage des gardes-côtes libyens, tunisiens, algériens et égyptiens. Le but est-il d’exporter le problème en Afrique? Simonetta Sommaruga assure que cette remarque ne vaut pas pour la Suisse, mais certains y voient une façon de verrouiller l’Europe.

Les autonomistes de gauche et la Jeunesse socialiste planifient d’ailleurs des actions de protestation en marge de la rencontre bernoise, annonce 20 Minuten. Des extrémistes ont déjà brûlé une voiture à Berne et la police a prévu dès dimanche un dispositif particulier. Les Jeunes socialistes, qui signaleront leur opposition avec des bougies, demandent pour leur part de rétablir la possibilité de déposer des demandes d’asile dans les ambassades.

Dans une chronique, Manon Schick, directrice d’Amnesty International Suisse, insiste elle aussi sur le fait que tout appui aux Libyens doit s’accompagner de «mesures concrètes pour garantir la sécurité des migrants et faire l’objet d’un suivi étroit». Elle conclut dans nos colonnes: «Il est inadmissible que cette collaboration entraîne le transfert de milliers de femmes, d’hommes et d’enfants dans des centres où ils sont victimes de torture.» C.Z.

(24 heures)

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