En Afrique subsaharienne, des pays ont fait bien avec peu de moyens, grâce à leur savoir-faire tiré des épidémies du virus Ebola.
Alors que l’épidémie de Covid-19 se propageait à toute vitesse en Europe en mars, de nombreuses voix s’élevaient pour alerter sur la fragilité du continent africain face au nouveau coronavirus. Le 18 mars, après la mort au Burkina Faso d’un premier habitant d’Afrique subsaharienne infecté par le SARS-CoV-2, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) appelait même l’Afrique à «se réveiller» et à «se préparer au pire» face à la pandémie.
Deux mois plus tard, le continent est loin de ce scénario du pire, même si certains pays comme l’Algérie, l’Égypte et l’Afrique du Sud sont plus touchés. En Afrique subsaharienne, là où les systèmes de santé sont plus démunis -il n’y a par exemple que quarante lits de réanimation au Mali et quinze au Burkina Faso selon un décompte réalisé par le magazine Jeune Afrique- le nombre de victimes est très faible en comparaison de l’Europe, de la Chine, des États-Unis ou du Brésil. Au 20 mai, il y avait cinquante-trois décès confirmés liés au coronavirus au Mali, cinquante-cinq au Niger, vingt-huit en Côte d’Ivoire ou soixante et un en République démocratique du Congo.
Plusieurs hypothèses, recensées par le New York Times, ont été avancées par des épidémiologistes pour expliquer cette faible pénétration du nouveau coronavirus en Afrique. Le climat chaud en Afrique subsaharienne diminuerait la durée de vie du virus, alors que la jeunesse de la population y expliquerait la faible mortalité face à cette infection respiratoire. La faible densité de population sur le continent et sa moindre connexion à la mondialisation (moins d’Africain·es prennent l’avion régulièrement que des Européen·nes par exemple) contribueraient enfin à la lente propagation de l’épidémie.
Certain·es expert·es ont aussi avancé que les véritables chiffres de l’épidémie pouvaient être sous-estimés sur le continent en raison du faible nombre de tests réalisés. Un avis que ne partage pas Philippe Le Vaillant, responsable adjoint du bureau de Dakar de Médecins sans frontières et en charge des opérations pour cinq pays d’Afrique de l’Ouest (Mali, Niger, Nigeria, Burkina Faso et Sénégal). «Souvent, il n’y a qu’un laboratoire par pays donc il n’y a pas de capacité à faire des tests. Mais on n’a pas observé d’afflux de cas graves dans les structures de santé. Si le coronavirus se propageait vite, cela serait le cas», estime t-il.
Des réponses plus cohérentes
Il y a une autre raison plus cachée à la lente pénétration du SARS-CoV-2 en Afrique: la grande réactivité de nombreux pays de la région avant même que le virus ne franchisse la Méditerranée. En prise avec plusieurs épidémies dévastatrices d’Ebola ces dernières années, l’Afrique subsaharienne a en effet appris à jongler avec des outils efficaces pour circonscrire un incendie viral. La République démocratique du Congo, pays-continent qui s’étend sur 2,34 millions de kilomètres carrés et compte 84 millions d’habitant·es est ainsi touché depuis août 2018 par une épidémie du virus Ebola dans la province du Kivu. Au 5 mai 2020, l’OMS y comptabilisait 3.317 cas confirmés, dont 2.279 cas mortels.
La dangerosité du virus Ebola, dont le taux de létalité atteint 60% pour le foyer épidémique en République démocratique du Congo, a obligé les pays des zones touchées par les apparitions régulières de ce virus tueur à bâtir des réseaux de surveillance pointus.
Elle l’a également poussé à mettre en place des stratégies d’endiguement efficaces. Dès l’émergence du nouveau coronavirus en Chine, ces outils ont été déployés pour éviter une crise sanitaire majeure sur le sol africain.
«Les interventions clés pour garder le virus Ebola sous contrôle sont les mêmes pour le Covid-19. Les tests, l’isolation et le traçage des personnes en contact avec un malade sont les outils invariables dans les premières étapes d’une épidémie. Les pays qui avaient déjà été confrontés à Ebola ont été plus rapides à réagir. Ils ont eu des réponse plus cohérentes face au Covid-19 et ont mis en place une meilleure organisation», décrit Catherine Kyobutungi, directrice exécutive de l’African Population and Health Research Center (APHRC).
Confinement, tests et mobilisation communautaire
Des pays se sont confinés très tôt. L’Ouganda et le Rwanda ont ainsi fermé les écoles et interdit les rassemblements publics avant le premier cas confirmé. De telles mesures sont pourtant recommandées par l’OMS pour la phase 2 d’une épidémie, c’est-à-dire quand il y a déjà une transmission active du virus parmi la population. L’Ouganda a fermé son aéroport deux jours après le premier cas confirmé de coronavirus et le confinement du pays était décidé alors que le pays était encore à la phase 1 de l’épidémie.
Une autre recommandation de l’OMS a vite été appliquée dans certaines régions du continent: tester les voyageurs et voyageuses potentiellement contaminé·es par la maladie. En Ouganda, un pays touché par plusieurs épidémies d’Ebola dans le passé, les autorités sanitaires ont testé environ 1.000 conducteurs de poids lourds par jour pour éviter que le nouveau coronavirus ne soit importé dans le pays par ces travailleurs transfrontaliers. Le 24 avril, la ministre de la Santé ougandaise confirmait que douze chauffeurs en provenance de la Tanzanie et du Kenya avaient été testés positifs au Covid-19. Le ciel était également sous surveillance. Après l’importation d’un premier cas venu de Dubaï par avion, tou·tes les voyageurs et les voyageuses en provenance du petit émirat du Golfe persique ont également été mis·es en quarantaine à leur arrivée. Au 20 mai, il n’y avait officiellement toujours aucune victime du SARS-CoV-2 en Ouganda.
En Afrique de l’Ouest, les forces d’intervention constituées pour combattre les ravages d’Ebola ont été reformées. «De nombreux pays africains avaient déjà des force d’intervention nationales contre Ebola et en Afrique de l’Est quelques pays étaient toujours en train de surveiller une épidémie en cours, donc il était facile de réorienter leurs systèmes de surveillance de la maladie», témoigne Catherine Kyobutungi.
Pays parmi les plus touchés par la terrible épidémie d’Ebola qui fit plus de 12.000 morts en Afrique de l’Ouest en 2014, la Sierra Leone a mobilisé son protocole de suivi du virus Ebola pour suivre la trace du Covid-19. Le gouvernement a ainsi appelé en urgence 14.000 agents de santé communautaire, dont 1.500 sont en train d’être formé comme «traceurs de contact» pour ne pas être débordé par la formation de clusters. Au 20 mai, la Sierra Leone rapportait seulement trente-trois décès confirmés liés au Covid-19.
Selon l’anthropologue Paul Richards, installé au Sierra Leone et auteur du livre Ebola, comment la science populaire a aidé à mettre fin à une épidémie, la mobilisation communautaire comme au Sierra Leone est un point crucial pour combattre une maladie contagieuse et nouvelle. «Pour l’Afrique comme pour le reste du monde, la principale leçon d’Ebola pour combattre le Covid-19 est l’importance cruciale du partage des observations sur la maladie entre les communautés et les professionnels de santé. L’adaptation humaine est la clé face à des maladies émergentes. Dans toute épidémie où la mobilisation communautaire est un facteur déterminant, les familles ont besoin de penser comme des épidémiologistes, mais les épidémiologistes ont aussi besoin de penser comme des familles», écrit-il sur le site African Arguments.
Dans le cas du Covid-19 comme d’Ebola, la difficulté est d’éviter une contamination rapide à l’intérieur des ménages, malgré les mesures de confinement. La mobilisation à l’échelle de la communauté permet d’isoler de leurs familles des individus malades, mais aussi de mettre en place des gestes barrières efficaces entre proches.
Il y a aussi des mauvaises nouvelles
Si une bonne partie de l’Afrique semble avoir réagi tôt face au Covid-19, le manque de moyens pour réaliser des campagnes massives de tests sur le continent pourrait empêcher de contenir l’avancée du virus. «L’incapacité des pays africains à tester en masse va rendre très difficile un relâchement des mesures de distanciation sociale. Des pays vont probablement observer des vagues d’infections à chaque fois que les mesures de distanciation seront assouplies», juge Catherine Kyobutungi. Le nombre de cas pourrait donc exploser en cas de seconde vague du Covid-19.
Certains pays sont déjà confrontés à la formation de clusters. Dans le nord du Nigeria, la ville de Kano, où vivent quatre millions de personnes, est confrontée à une brusque explosion du nombre de décès.
Le SARS-CoV-2 est soupçonné d’être à l’origine de la surmortalité. «On a peur que Kano soit un cluster. Nos sources sur places décrivent une surmortalité assez flagrante. Le contexte est explosif avec une grosse densité de population et une grande pauvreté. C’est aussi le ramadan et il y a des rassemblements le soir. Il est difficile d’y confiner la population», explique Philippe Le Vaillant, de Médecins sans frontières.
Dans un reportage publié par le média britannique The Guardian, un fossoyeur raconte comment de deux ou trois tombes par jour creusées dans le cimetière principal de Kano en temps normal, il est passé subitement à quarante tombes.
L’inquiétude est aussi palpable dans d’autres régions. «Un pays comme la Tanzanie a gaspillé l’avantage qu’elle avait et cela pourrait affecter toute l’Afrique de l’Est. Un résultat désastreux là-bas pourrait rendre les choses beaucoup plus difficiles pour les pays voisins pour garder sous contrôle la surveillance des échanges transfrontaliers», conclut Catherine Kyobutungi. Un effet domino qui serait le pire scénario pour le continent africain.
Source: slate