Awa Fadiga, 23 ans, était mannequin. Agressée dans la soirée de dimanche, elle est déposée inconsciente aux urgences du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Cocody, à Abidjan. Un peu plus de 36 h plus tard, elle y décède. Ses proches affirment qu’elle a passé la nuit sans soin, faute de pouvoir payer. Notre Observateur, médecin à Abidjan, n’en serait pas étonné.
Ses proches ont tenté d’alerter l’opinion publique sur les réseaux sociaux. Pour eux, nul doute que la jeune femme a été victime de négligence de la part des services hospitaliers. Agressée par un chauffeur de taxi, elle aurait été projetée du véhicule sur la chaussée. Elle a ensuite été déposée vers 23h au CHU de Cocody par la gendarmerie qui l’aurait retrouvée gisant dans une marre de sang.
C’est à partir de là que les versions des proches et de l’hôpital divergent. Un de ses amies explique à France 24 qu’elle est arrivée à l’hôpital, le lendemain à 13h, avec les parents d’Awa après avoir été prévenue par la gendarmerie. Awa était allongée au sol, saignait et son corps était recouvert d’un pagne donné par une femme de ménage qui lui aurait expliqué qu’elle avait elle-même nettoyé la jeune fille. L’amie et les parents d’Awa ont immédiatement payé pour que la jeune femme reçoive les médicaments nécessaires. Ils ont par ailleurs réglé le transfert en ambulance pour qu’aille faire un scanner dans une clinique privée. Elle rentrera quelques heures plus tard au service de réanimation du CHU où elle décédera le lendemain à 7h du matin.
Contacté par France 24, le service de communication de l’hôpital a expliqué que la jeune femme avait été prise en charge dès son arrivée, en se basant le cahier des admissions tenu par le personnel. “Elle a reçu les premiers soins médicaux que nécessitait son état, par voie veineuse, y compris un nettoyage et des soins corporels par les filles de salle, avec eau savonneuse et antiseptique ” précise le ministre de la Santé dans un communiqué. Il conclut en rappelant que cette jeune victime est “décédée suite à une agression inadmissible et intolérable qui n’engage pas la responsabilité des services de santé.”
La mort d’Awa a particulièrement ému en Côte d’Ivoire, une page Facebook dédiée à la jeune fille a été créée sous le nom Awa Fadiga, Stop Plus Jamais Ca. Et une pétition “Pour que les hôpitaux ne soient plus des mouroirs” destinée au ministère de la Santé a été créé le 26 mars.
“Si vous êtes sans parent et quasiment inconsciente, le système fait que vous ne serez probablement pas soignée à temps”
Michel X est médecin depuis plus de dix ans dans des établissements hospitaliers d’Abidjan.
Je n’ai pas les détails de cette histoire, pour autant, elle ne m’étonne pas. Il y a des problèmes à tous les niveaux des urgences. Et bien souvent, ça commence au niveau des services de pompiers ou du SAMU qui ne sont pas bien équipés, ni bien formés, ce qui fait que la victime arrive encore plus mal en point qu’au moment de l’accident.
La procédure veut que le malade soit pris en charge par un médecin, pendant ce temps là, les proches remplissent les formalités administratives. Ensuite, le médecin donne une ordonnance à l’infirmier qui la transmet à la famille. C’est là que la famille doit payer pour obtenir les médicaments, les poches de sang, les actes de radiologie mais aussi pour le matériel [gants, cotons etc…]. Le plus souvent, les familles ont du mal à payer et parfois les pharmacies sont incomplètes.
Mais dans le cas de cette jeune fille, ce qui très probable, c’est que le personnel a vu qu’elle n’avait aucun de ses proches pour payer. Ils l’ont donc probablement laissée de côté. Si vous êtes sans parent et quasiment inconsciente, le système fait que vous ne serez probablement pas soignée à temps puisque, de fait, vous ne pourrez pas payer. Et c’est d’autant plus vrai quand vous vous êtes fait agresser puisque vous n’avez probablement rien sur vous.
Il faut bien comprendre qu’il n’y a pas de Sécurité sociale en Cote d’Ivoire. Les hôpitaux sont des structures qui doivent faire entrer de l’argent. C’est difficile à admettre mais les urgences étant en permanence saturées, les médecins doivent faire des choix au moment des prises en charge.
“Il n’y a pas d’urgences à proprement parler”
Le président [Alassane Ouattara] avait mis en place la gratuité totale des soins après la crise postélectorale. Mais finalement il est revenu en arrière et a instauré la “gratuité ciblée” [détaillée ici, elle inclut les 48 premières heures dans les services d’urgence médicochirurgicales]. Mais les services hospitaliers ne suivent pas. On manque d’urgentistes, il n’y a d’ailleurs pas de formation spécifique pour cette spécialité et les établissements sont sous équipés. Imaginez qu’en ce moment nous avons un seul IRM qui fonctionne dans tout le pays !
Un autre point important, c’est que les spécialités ne sont pas prises en compte dans les salaires : urgentiste de nuit ou généraliste de jour, c’est le même salaire. Et les budgets sont tellement insuffisants que bien souvent le personnel n’est pas payé pendant des mois. Dans ce contexte, bien que ce soit un sacerdoce de sauver des vies, les équipes perdent indéniablement en motivation.
Quand une fille dans l’état d’Awa est déposée aux urgences, les gens s’attendent à ce qu’elle soit prise en charge mais l’hôpital ivoirien aujourd’hui ne permet pas d’assurer cela. Et ce n’est pas le médecin qu’il faut incriminer mais tout le système qu’il faut revoir.
source : rfi