Notre article intitulé “Gouvernance de crise : Si Abdoulaye Idrissa Maïga s’inspirait de l’audace du Grec Alexis Tsípras” (Le Reflet n°584 du jeudi 4 mai 2017) a suscité beaucoup de réactions directes et indirectes. Mais, rares sont ceux qui ont visiblement compris le sens de notre comparaison : il faut de l’audace pour sortir un pays en crise de l’impasse ; le courage d’affronter cette sacro-sainte communauté internationale qui nous impose d’avaler des couleuvres pourtant loin d’être des remèdes aux maux qui nous ont conduit à cette crise.
Comparaison n’est pas raison. D’autant plus que le Mali et la Grèce n’ont pas le même régime politique. Dans la République hellène, la politique s’inscrit dans un régime parlementaire dans une démocratie représentative où le Premier ministre est le vrai chef de l’exécutif.
Elu pour un mandat de cinq ans à la majorité des deux tiers du Parlement, le président a un rôle purement représentatif et n’a constitutionnellement aucun pouvoir politique.
Tout le contraire du Mali, un régime présidentiel à outrance, où, une fois élu, le président et chef de l’Etat concentre tous les pouvoirs entre ses mains. En effet, la séparation des pouvoirs n’est que formel, car le président élu s’arrange toujours à avoir la majorité au Parlement. Il préside le Haut conseil de la magistrature et il est le chef suprême des armées.
Bref, au Mali, le président est omnipotent, juge et partie, acteur et spectateur. Ainsi, contrairement à la Grèce où il est le commandant de bord de l’exécutif (tant que la majorité du Parlement est de son côté), la marge de manœuvre d’un Premier ministre malien est assez restreint, car il est nommé ou limogé par la seule volonté du président de la République.
Comme nous l’a rappelé si pertinemment un valeureux doyen depuis Ouagadougou (Burkina Faso), “le système malien est vicié et le PM (Premier ministre) en réalité ne représente pas grande chose s’il ne se soumet pas à la volonté du président de la République”.
A son avis, “Oumar Tatam Ly et Moussa Mara sont de bons exemples. Je sais que ce sont des jeunes qui auraient pu faire bouger les choses si le système le leur permettait. Non seulement le président de la République tient à ses privilèges de bourgeois compradore, mais son camp le tient à la gorge et il est à la merci de la communauté internationale, notamment de la France”.
IBK, l’obligé de la France
En effet, le passé de l’actuel locataire de Koulouba fait qu’il ne peut rien exiger ou refuser face à des partenaires comme la France dont il est obligé d’être “l’obligé”. Il est ainsi “contraint d’accepter l’inacceptable”. En quelque sorte un valet aux pieds et mains liés au service du néocolonialisme français, voire occidental.
Ce qui apporte l’eau au moulin de ceux qui ont toujours défendu que nous faisons un mauvais procès aux Premiers ministres (Ousmane Tatam Ly, Moussa Mara et Modibo Kéita) et que c’est IBK même qui est “mauvais”. Les Maliens ont donc misé sur le mauvais cheval dans une course forcément déterminante pour son destin, mais décisive pour sortir de l’impasse de la crise.
“Vu les mots de soulagement du RPM à la nomination de AIM (Abdoulaye Idrissa Maïga) comme PM, les dés sont pipés et on ne peut rien en attendre de révolutionnaire”, a commenté un lecteur. Toutefois, ce cadre réputé pour son intégrité et sa persévérance peut s’imposer, “s’il veut et s’il a réellement la légitimité politique” du RPM. Le fera-t-il ?
“Je le souhaite mais vu comment le président de la République lui-même est tenu à la gorge par les siens et ses partenaires, ce n’est pas évident qu’il fasse une révolution, voire un miracle”, réplique notre interlocuteur. Difficile donc de penser qu’il laisse à un Premier ministre (qui lui doit presque tout) l’opportunité de “troubler sa tranquillité bourgeoise”.
Et sans compter que, comme nous le rappelait récemment un responsable du parti-présidentiel, Ibrahim Boubacar Kéita est adoubé par Les Tisserands comme un vrai “président fondateur”, voire un demi-Dieu ! Vous direz sans doute que c’est exagéré, mais c’est la réalité.
“On mange par lui, on entretient nos familles par lui, on domine le pays grâce à lui, donc qui veut continuer à bénéficier du gâteau national doit se plier aux humeurs du fondateur du parti”, se disent beaucoup de cadres du parti.
C’est en tout cas grâce au Mandé Massa qu’ils goûtent enfin aux délices du pouvoir et ils espèrent continuer à nager dans le bonheur dans les cinq années à venir. D’où toutes ses manigances pour contraindre le pauvre à briguer un second mandat au mépris de sa santé.
Laisser les coudées franches au PM pour sauver les meubles
Mais, quelque part, nous pensons que si IBK compte réellement sur Abdoulaye Idrissa Maïga “AIM” pour rebondir, il doit lui laisser les coudées franches comme il en a lui-même bénéficié de la part du président Alpha Oumar Konaré.
Il doit sa réussite et son prestige comme Premier ministre (4 février 1994-février 2000), au fait qu’AOK lui a sans doute laissé les coudées franches pour la gestion même des questions les plus sensibles. Il s’est aussi imposé comme un bouclier entre lui et ceux qui voulaient lui glisser des peaux de banane dans La Ruche (Adéma/PASJ)
A Abdoulaye Idrissa Maïga il doit laisser les commandes du navire qui tangue si dangereusement, un pays qui s’enfonce chaque jour davantage dans l’insécurité. Ce “risque”, il doit le prendre d’autant plus que AIM est réputé pour sa fidélité, sa loyauté et ne semble avoir pour le moment aucun autre agenda politique que la stabilisation du pays et le relèvement de la cote de popularité du président. Un vrai défi dans un pays miné si on n’a pas la marge de manœuvre nécessaire.
Comme l’analyse un doyen, un brillant chroniqueur politique, “avec AIM, le président de la République est plus protégé, plus à l’aise qu’avec tous les autres les autres PM. Son camp se sent enfin pris en compte au plus haut niveau. C’est entre eux qu’ils vont se faire la bagarre de positionnement, mais lui restera tant qu’il veut au sommet, tranquille”.
S’il refuse de s’effacer un peu et de laisser, pour une fois dans ce premier mandat, les coudées franches à AIM, il prendrait alors le risque d’être davantage enchaîné par une aile vorace de son parti, donc de perdre le contrôle total du pays qu’il n’avait plus d’ailleurs depuis l’éclatement de l’affaire Tomi.
En presqu’un an de la présidentielle de 2018, AIM pourra-t-il sauver les meubles et redonner à IBK l’espoir d’un second mandat ? Tout dépendra de l’attitude de Ladji Bourama à son égard, de la marge de manœuvre qu’il lui laissera dans un pays miné par tous les maux qui peuvent hypothéquer l’émergence d’un Etat !
Moussa Bolly