Après sept ans de gouvernement civil, le Mali renoue avec l’instabilité. Quelle est votre analyse des derniers développements que connait ce pays ?
Il faut avant tout préciser qu’il s’agit d’une mutinerie qui a viré en putsch. Mardi, les militaires ont quitté leur base de Kati pour dénoncer le retard du versement de hausses de salaires promises par le gouvernement. En témoigne l’arrestation dans la matinée du ministre des Finances, Abdoulaye Daffe.
Mais une fois à Bamako, les soldats mutins ont été accueillis chaleureusement par des manifestants du Mouvement du 5 juin qui protestaient dans la capitale. La contestation populaire a marqué de son empreinte cette action et donner la suite qu’on connait tous. Un groupe de hauts gradés de l’armée ont ensuite contraint le président Keïta à présenter sa démission, celle de son gouvernement et la dissolution du Parlement. Un vide constitutionnel qui profite aux militaires.
Ce coup d’Etat n’est pas sans rappeler celui de 2012, parti également de la base de Kati…
C’est normal, c’est dans le camp de Kati où se concentre la majorité de l’armée malienne. Toutefois, il est lieu de relever que le coup d’Etat de 2020 compte sur le soutien d’un mouvement populaire qui réclame, depuis plusieurs mois, le départ du président Keïta et la dissolution du Parlement. A noter également, que les putschistes n’ont procédé à aucune arrestation de leaders religieux au Mali.
Le facteur tribal a-t-il joué un rôle dans ce qui prévaut actuellement dans ce pays sahélien ?
Au Mali, l’ethnie dominante est les Bambaras. Elle est également fortement présente en Afrique de l’Ouest. Ses enfants ont la mainmise sur l’appareil de l’Etat malien : armée, gouvernement et renseignements, alors que les 12 ethnies qui restent se contentent de miettes.
Comment évaluez-vous la position de la France vis-à-vis de ce coup d’Etat ?
Paris suit de très près la situation au Mali. Officiellement, elle a une position qui n’est pas claire. Mais les relations entre l’armée et les services de renseignements de la France et les militaires maliens sont solides. C’est dans les académies militaires françaises que les hauts gradés de l’armée malienne ont suivi leurs formations.
D’ailleurs, des sources attribuent à la France un rôle dans le changement opéré, dans l’après-midi du mardi 18 août, au sein du groupe ayant contraint le président Keïta à présenter sa démission en accordant la place de chef du «Comité national pour le salut du peuple» au colonel Malik Diaw au détriment du colonel Sadio Camara. Ce dernier est accusé, à tort ou à raison, d’être partisan de la Russie car il a suivi une formation dans le pays de Poutine. Au Mali, la France compte sur les militaires et non pas sur le gouvernement ou le président.
Par ailleurs, Paris est préoccupée par la popularité de l’imam Mohamed Diko, le leader du mouvement de la «Conscience africaine», opposé à la présence française non seulement au Mali mais aussi dans toute la région ouest-africaine. La proximité de Diko avec la Turquie inquiète les autorités françaises. Ankara a opéré une incursion dans la zone d’influence de la France en signant, fin juillet, un accord de coopération militaire avec le Niger. Le projet d’installation d’une base turque dans ce pays est envisagé.
Hier, le Maroc a appelé les parties au dialogue. Que pensez-vous de la position de Rabat ?
La position du royaume est plus claire que celle de la France. Rabat exprime ainsi qu’elle est pour la stabilité du Mali et pour les revendications du mouvement populaire.
Et qu’en est-il de l’Algérie ?
Comme la France, la position de l’Algérie est dictée par l’approche de ses renseignements militaires même si son ministère des Affaires étrangères vient de rejeter tout changement anticonstitutionnel de gouvernement au Mali.
Les organisations continentales et internationales pèseront-elles dans l’après-Keïta ?
Ce mercredi un émissaire de la CEDEAO est attendu à Bamako. Demain, la Communauté Ouest-africaine tiendra une réunion extraordinaire pour prendre une décision. Aujourd’hui, le Conseil de sécurité abordera la situation au Mali. Mais déjà les membres du «Comité national pour le salut du peuple» peuvent compter sur le soutien du peuple.
Ce coup d’Etat ne bénéficie-t-il pas aux groupes jihadistes ?
Exactement. Les groupes qui s’activent sous les bannières d’AQMI et Daesh vont saisir cette séquence pour étendre leurs zones de contrôle et pourquoi pas commettre des attentats au Mali et dans les pays voisins..
Source: Le Matin