Placide au milieu d’une nuée de Bamakoises palabrant bruyamment, Seydou Keïta (1921-2001) donne la dernière touche à la pause d’une beauté en boubou qu’il installe comme une princesse sur un tapis volant devant un fond de tissu fleuri.
Le charmant monsieur dégage une main qu’il dispose avec élégance, incline légèrement la tête… puis clic-clac et la dame est dans la boîte ! Inutile de refaire la prise de vue, le plus célèbre des photographes africains parvenait à saisir la prestance de ses modèles du premier coup.
Comme en témoigne, dans l’exposition, ce documentaire de 1998 pour les besoins duquel, âgé alors de 77 ans, il avait accepté de reprendre son appareil et de reconstituer une séance photo dans la cour de son studio.
Le Tout-Bamako dans son studio
Apprenti menuisier auprès de son père dès l’âge de 7 ans, Seydou Keïta se découvre une passion pour la photographie à 14 ans, lorsque son oncle lui rapporte un appareil Kodak Brownie du Sénégal. Initié au tirage et à la prise de vue par le photographe instituteur de son village, il ouvre son studio en 1948 dans un quartier animé de Bamako.
Jusqu’à 1962, date à laquelle il est recruté comme photographe officiel du Mali devenu indépendant, Seydou Keïta réalise ainsi jusqu’à quarante portraits par jour. « Le Tout-Bamako venait se faire photographier chez moi, confiait-il. Se faire photographier était un grand événement, il fallait arriver à donner la meilleure image possible de la personne. Souvent ils prenaient l’air sérieux, mais je crois aussi qu’ils étaient intimidés par l’appareil, c’était nouveau. »
Les touchants petits contacts 13 x 18 d’époque ou les impressionnants tirages modernes révèlent que, seuls, en couple, en famille, jeunes ou vieux se prêtaient au jeu de la pose, choisissant parmi les accessoires mis à leur disposition dans le studio, qui un sac à main, qui une montre ou un chapeau.
De nouveaux codes pour la photo africaine
Brandissant un trophée sportif, s’accoudant à un poste de radio, enfourchant un scooter ou posant devant la Peugeot 203 du photographe. Autant de signes extérieurs de richesse mettant la touche finale à l’image que chacun voulait montrer de lui-même.
Seydou Keïta « marque la fin de l’époque coloniale et de ses codes de représentation pour ouvrir l’ère d’une photographie africaine qui, tout en puisant dans ses racines et dans son histoire; affirme sa modernité », analyse Yves Aupetitallot, commissaire de l’exposition, dans le catalogue.
Loin des clichés ethnographiques réalisés par les colons occidentaux, rendant ses « modèles actifs d’une démarche artistique », Seydou Keïta invente le style personnel et élégant qui fait de lui un formidable artiste… international.
Source: La Croix