C’est un véritable cri du cœur que cet appel lancé aux autorités publiques du Mali par le président de l’Organisation patronale des industriels (Opi) Cyril Achcar, à l’occasion de la célébration de la Journée de l’industrialisation de l’Afrique, le 20 novembre dernier, au Parc des Expositions de Bamako. L’événement était présidé par le Premier ministre Modibo Kéïta, en présence de plusieurs ministres dont celui du Développement Industriel Mohamed Ali. Nous vous publions l’intégralité du discours de Cyril Achcar.
Au nom du bureau de l’Organisation patronale des industriels (Opi), je remercie toutes celles et tous ceux qui ont bien voulu rehausser par leur présence l’éclat de la présente cérémonie à commencer par son Excellence Monsieur le Premier ministre, chef du Gouvernement.
Je voudrais également souhaiter un bon rétablissement à son Excellence Monsieur le Président de la République empêché.
Le 20 novembre de chaque année, la communauté internationale célèbre la journée de l’industrialisation de l’Afrique. Cette initiative des Nations Unis remonte à 1989. Nous sommes réunis en ce jour pour son 27eme anniversaire.
L’objectif recherché est d’inciter les pays africains à s’engager dans le processus industriel et à susciter une prise de conscience au niveau national et international en faveur du développement industriel de l’Afrique.
Chaque année, cette célébration permet de s’interroger sur les solutions pour lancer ou relancer la politique industrielle de nos pays et rattraper le faussé qui nous sépare des “pays développés” communément appelés “ pays industrialisés” !!!
Au Mali et pour la 5eme édition, l’Organisation patronale des industriels co-organise la présente cérémonie avec la Direction nationale de I’Industrie.
Excellence Monsieur le Premier Ministre,
Nous vous remercions pour votre volonté de promouvoir l’industrie nationale dans l’action de votre gouvernement ;
Vous nous avez entendu l’an dernier ;
Vous nous avez répondu le 7 juillet 2016 par l’avènement d’un ministère du Développement industriel, le premier sous la 3ème République.
Monsieur le Ministre du Développement industriel,
Nous vous remercions pour votre disponibilité ainsi que celle de votre département dans l’organisation de la présente Journée de l’industrialisation de l’Afrique, édition 2016.
Excellence Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le Ministre du Développement industriel,
Nous souhaiterions faire le point du traitement du Livre blanc de l’Industrie dont le tome 2 vient de paraitre !
Nous aurons l’honneur et le grand privilège de vous remettre officiellement une copie.
Le Livre blanc de l’industrie est un recueil synthétique de la situation industrielle de notre pays :
– Un PIB de la manufacture de 5% contre 11% pour la moyenne Uemoa, 15% pour le Sénégal, 19% pour la Cote d’Ivoire et 24% pour le Maroc ;
– Un nombre d’unités industrielles avoisinant la centaine dans le secteur formel, quand nos voisins sénégalais et ivoiriens sont à plusieurs milliers ;
– Le 1er importateur de produits industriels dans l’espace Uemoa ;
– Un déficit de la balance commerciale de près de 400 milliards de Fcfa par an ; supérieur au montant de l’aide publique au développement ;
– 33% d’occupation de la capacité moyenne des unités industrielles qui travaillent en une équipe de 8H au lieu de travailler en 3 X 8H ;
– Une commande publique orientée vers l’extérieur ;
– Des politiques industrielles théoriques, mais pas encore de réformes concrètes capables de propulser l’industrialisation ;
– 6 réformes issues des 6 études validées par votre gouvernement l’an dernier attendent leur mise en œuvre.
Le Livre blanc de l’industrie, c’est 24 mesures de relance nourries par les difficultés rencontrées à l’occasion de 40 ans de pratique de la transformation industrielle d’investisseurs nationaux et internationaux regroupés au sein de l’Opi depuis le 7 juillet 1975 ! Ces 24 mesures sont une réponse intuitive aux maux de l’industrie à savoir :
– la mauvaise application des textes communautaires et nationaux,
– la banalisation de l’industrie dans le fonctionnement quotidien de l’Administration,
– le déficit de la culture industrielle,
– le manque d’audace dans les réformes antérieures,
– Un arbitrage budgétaire défavorable à l’Industrie 0,03% quand l’Agriculture est à 15%
Les objectifs visés par le Livre blanc sous 3 ans :
– Un PIB de la manufacture à 11% minimum,
– La création de 200.000 emplois durables,
– L’équilibre de la balance commerciale,
– L’augmentation de la croissance au dessus de 7% pour stopper la pauvreté,
– Le doublement du nombre d’unités industrielles,
– L’arrêt des exonérations de produits finis industriels importés concurrençant la production nationale,
– L’encadrement de la commande publique vers les productions nationales compétitives,
– La mise en œuvre des clauses de sauvegarde de l’Uemoa et de la Cedeao.
Nous sommes écoutés par le gouvernement, c’est indéniable.
Nous pouvons dire que “le verre est à moitié plein ” !
Mais cela veut aussi dire que “le verre est resté moitié vide” ?
L’industrie malienne demeure marginale de nos jours.
Les entreprises industrielles attendent les premières reformes audacieuses du quinquennat.
On ne peut pas prétendre à l’émergence sur la base de l’agriculture simplement ou des services du commerce uniquement.
Pour que le décollage économique du pays puisse se réaliser, certaines réformes industrielles doivent se faire :
– En premier lieu, il faut inciter les opérateurs économiques à investir dans l’industrie, il faut créer les conditions incitatives de rentrer dans ce secteur. Il faut rétablir sa rentabilité par rapport au commerce ou à l’immobilier.
Un immeuble c’est le prix d’une usine.
Combien d’immeubles uniquement à Bamako ? 1 000, 2 000 ou plus ? Imaginez le nombre d’usines que nous pourrions avoir si les opérateurs optaient pour ce secteur de l’économie.
De plus ce secteur est le plus grand pourvoyeur d’emplois.
Un immeuble ou une usine consommera le même nombre d’emplois pour la période du chantier, mais l’usine après l’inauguration maintiendra les emplois et les augmentera avec la progression du carnet de commandes…
Une TVA à 5% pour le “made in Mali” sera le signal le plus fort de cette nouvelle politique audacieuse qui réformera le Mali consommateur de biens importés en un pays puissant orienté vers ses propres productions.
N’est-ce pas Abraham Lincoln, ancien Président des Etats Unis, qui en 1861 disait : “Lorsque nous achetons un bien à l’étranger, nous avons le bien et l’étranger a l’argent. Mais lorsque nous achetons un bien chez nous, nous avons le bien et l’argent.”
L’importation de biens manufacturés étrangers c’est la création d’emplois chez nos voisins or nous devons penser à notre développement d’abord. Notre slogan n’est-il pas le Mali d’abord ?
Nous souhaiterions qu’il devienne “l’Industrie d’abord “…
L’Etat devra montrer l’exemple en orientant la commande publique vers la production nationale et à lui seul il sera capable de doubler le PIB de la manufacture. Rappeler vous le “by american act” par lequel les Etats Unis ont imposé à son Administration l’achat local des biens manufacturés.
– Deuxièmement, il faudra appliquer courageusement les clauses de sauvegarde des accords de libre échange Uemoa et Cedeao pour permettre pendant une période de protéger le secteur industriel national.
Ce libre échange est comme un ring. On fait boxer un athlète de 50Kgs avec un autre de 100Kgs. Est-ce légal ? Est-ce loyal ?
En effet, un pays continental n’a pas les mêmes atouts en termes de compétitivité et de logistique qu’un pays côtier. Les accords de libre échange devraient en tenir compte.
La CEAO en son temps l’avait compris en mettant une taxe de 10% entre les pays côtiers et les pays de l’hinterland appelée taxe compensatoire or l’Uemoa et la Cedeao ne l’ont pas conservée !
Il est plus que temps de réviser les textes communautaires mais en attendant cela il faudra appliquer les clauses de sauvegarde contractuelle notamment la consignation des droits de douane pour neutraliser les certificats d’origine de complaisance qui polluent nos zones économiques de libre échange et qui ont fait passer le PIB de la manufacture nationale de 10% en 2000 à 5% en 2015.
– Enfin pour accompagner ces réformes techniques, nous avons pensé à des réformes honorifiques comme procéder publiquement à la décoration de tous les investisseurs et employeurs à hauteur de leur apport dans notre économie.
Au Mali les plus gros contributeurs d’impôts, d’emplois ou de valeurs ajoutées ne sont pas reconnus comme tels, au contraire. Il faut montrer l’exemple pour la jeunesse qui nous regarde et pour l’avenir de nos enfants. Il est tant de changer les règles de gratifications afin de reconnaitre le travail de l’industrie et son effet multiplicateur sur notre économie.
L’ensemble de ces réformes permettront de conforter le gouvernement dans sa politique de création d’emplois, de redonner le dynamisme nécessaire et attendu au secteur industriel national pour qu’il joue son rôle de locomotive des filières notamment agricoles porteuses du développement de notre pays.
Nous souhaiterions vous rappeler les 24 filières prioritaires sélectionnées par le gouvernement en 2001 et vous suggérer la mise en œuvre de la politique des ” 4P” : Partenariat-Public-Privé-PTF pour constituer ces industries filières absentes dans notre pays en veillant à ce que le secteur privé national en prenne le contrôle une fois la période de maturité traversée autorisant ainsi les PTF à vendre leur participation avec la satisfaction d’une mission accomplie.
La citation de notre ancien président de l’Opi, feu Mamadou Moctar BA à l’occasion de la rencontre Etat Secteur Privé de 2003 en est la parfaite illustration : “Pour produire mille tonnes de sucre, il faut près de mille personnes. Mais pour importer mille tonnes de sucre, il faut deux personnes : un acheteur et un magasinier”.
Pour terminer, je voudrais, au nom de l’ensemble des Industriels du Mali, souhaiter de très bonnes élections communales et un retour à une paix définitive sur tout le territoire.
” L’Industrie d’abord !”
” La paix pour promouvoir l’Industrie !”
” Le développement sans industrialisation est impossible “.
Je vous remercie de votre aimable attention.
Source : Aujourd’hui-Mali