« À l’heure où les défis prolifèrent, une réforme institutionnelle paraît-elle inévitable, à la fois pour renforcer la solidité et la crédibilité des pouvoirs publics et conforter l’idée d’une démocratie inclusive et progressiste ».
L’année 2018 a été très chargée en émotion et le peuple a toujours du mal à se remettre. La tenue des élections présidentielles dans des circonstances chaotiques et le report des législatives avec une prorogation exceptionnelle des mandats des parlementaires ont été des événements révélateurs. Ils ont, en effet, révélé que la troisième République, née en 1992 au prix du sang de nombreux innocents, repose aujourd’hui sur des institutions dont la crédibilité et la solidité sont en cause. Les critiques fusent, les fronts s’organisent et le peuple s’interroge. Certaines institutions sont en panne et la démocratie en prend un coup sévère.
Aussi, à l’heure où les défis prolifèrent, une réforme institutionnelle paraît-elle inévitable, à la fois pour renforcer la solidité et la crédibilité des pouvoirs publics et conforter l’idée d’une démocratie inclusive et progressiste.
La réforme du parlement
D’abord, on ne peut espérer une démocratie progressiste tant qu’il y aura des opérateurs économiques au parlement. Leur capacité à représenter le peuple (toutes les couches sociales) est douteuse. Rappelons que l’une des fonctions essentielles du parlement est de contrôler l’action du gouvernement, au besoin par une interpellation de l’exécutif ou l’utilisation de l’arme absolue, « la motion de censure » (art. 78 et 79 Constitution). Comment voulez-vous qu’un opérateur économique, potentiel adjudicataire de marchés publics, interpelle un ministre sur une question cruciale et d’intérêt national alors même qu’il espère le paiement rapide de son mandat au Trésor public ? Le conflit d’intérêt est évident ! Notre jeune démocratie, parce qu’on connaît les réalités de notre pays (la corruption à tous les niveaux), ne peut se permettre d’être pris en étaux entre un parlement composé d’opérateurs économiques incapables d’accomplir l’une de ses fonctions essentielles et un gouvernement dont on peut raisonnablement espérer être discipliné sans contrepoint. Il nous faut donc adapter notre système de représentation aux réalités socio-économiques du pays.
Enfin, il est nécessaire de relever le niveau de recrutement de nos députés. Il nous faut moins d’honorables mais plus de gens capables intellectuellement, engagés et actifs. Ils pourront faire entendre la voix du peuple. Un parlement qui sollicite d’une institution nommée, donc à faible légitimité, en l’occurrence la Cour Constitutionnelle, la prorogation de son mandat, ignore que son mandat lui vient du peuple. Mais on comprend qu’une Assemblée composée majoritairement de personnes n’ayant qu’un faible niveau de la culture parlementaire, de droit et surtout de la notion de représentation soit encline à se maintenir par tous les moyens.
A ce jour, aucune loi (y compris la Constitution) n’impose un niveau d’étude minimum. Le citoyen que je suis, voudrais comprendre comment une personne, ayant à peine le niveau du DEF, peut-elle comprendre les enjeux d’une loi écrite en langue française ? Comment pourrait-elle voter contre ou pour un projet de lois (puisque la majeure partie des lois adoptées sont d’initiative gouvernementale et on comprend pourquoi) si elle ne peut personnellement se faire une opinion éclairée du texte soumis ? On me dira « Oui mais ils ont des experts à disposition ! Cela existe même dans les pays développés ». Assurément, mais n’oublions toutefois pas que notre pays compte plus d’analphabètes que de gens instruits et ne peut s’accommoder de la présence au parlement de personnes incompétentes qui n’y sont que pour préserver leurs intérêts privés (les marchés publics, le salaire et accessoires) ! Enfin, il me semble primordial qu’un parlementaire sache se faire ses propres opinions sur des textes écrits en langue étrangère, notre langue officielle.
La réforme du pouvoir judiciaire
Il nous faut des juges élus, pour un mandat de 6 ans, à la Cour Constitutionnelle et à la Cour Suprême. L’actuel mode de désignation de nos juges suprêmes n’est pas compatible avec notre pratique de la démocratie. Et les récents événements ont démontré les revers de ce mode de nomination. Le peuple a perdu confiance en ces instances suprêmes du pouvoir judiciaire parce qu’il soupçonne un parti pris. Il ne croit plus en l’indépendance des juges suprêmes. Nombreuses sont les personnes qui pensent que ces Cours sont à la solde de l’exécutif. Actuellement, les neuf membres de la Cour Constitutionnelle sont désignés comme suit (art. 91 Constitution) :
– trois nommés par le Président de la République dont au moins deux juristes ;
– trois nommés par le président de l’Assemblée Nationale dont au moins deux juristes ;
– trois magistrats désignés par le Conseil Supérieur de la Magistrature.
Pour redonner confiance au peuple et renforcer la légitimité des « sages », il nous faut repenser le mode de désignation afin d’attribuer au peuple le pouvoir de choisir ceux qui trancheront en dernier lieu les conflits sociaux et institutionnels. Il y va de la solidité et de la crédibilité de ces institutions.
Non inféodés par l’exécutif, parce qu’élus, les juges de la Cour Constitutionnelle pourront rassurer le peuple de leur neutralité et accomplir en toute indépendance la mission de régulation des institutions de la République. Par ailleurs, ce n’est pas extraordinaire d’avoir des juges élus. La Cour de Justice Internationale compte 15 magistrats élus. Aux USA on a des juges élus à certains niveaux.
Dr DOUGOUNE Moussa Chargé de cours FDPRI Auteur du Manuel « Droit des Affaires en zone Ohada »
Auteur de l’ouvrage « Les Origines du mal : le trépas de l’Etat de droit et l’échec de la démocratie »
Source: lechallenger