De principe, la démocratie paraît être le meilleur des régimes possibles. Mais dans la pratique, ce régime semble être en faillite partout dans le monde. L’autoritarisme semble de plus en plus prendre sa place. Une situation que Mikailou Cissé, professeur de philosophie au Mali, analyse pour dégager des raisons d’une telle dégringolade de la démocratie.
L’homme est considéré comme le plus évolué de toutes les espèces. À la différence de beaucoup d’entre elles, il vit avec ses semblables en communauté, son existence est intimement liée à celle des autres. Toutes les études menées sur lui ont montré qu’il est un être social et sociable. Toutefois, il est le seul qui tient compte des aspirations du grand nombre en fonction de l’évolution de la société et des enjeux de l’heure pour ériger un modèle de société et un système de gouvernance.
Près de 167 pays dits démocratiques dans le monde
L’homme est la seule espèce qui compare son mode d’existence à celle de ses semblables en vue de l’améliorer davantage. Tout ce qui est jugé comme étant bon par plusieurs peuples en termes de mode de gouvernance ou de bonnes pratiques dans une société est considéré comme un modèle à suivre par les autres. De nos jours, les pratiques occidentales en matière de gouvernance sont celles qui sont prises pour modèles. Le respect des droits de l’homme, la démocratie, l’égalité entre l’homme et la femme sont entre autres quelques cas qui peuvent être cités.
La particularité de l’homme par rapport aux autres espèces qui vivent en communauté est la spécificité de chaque société humaine. Chacune de ces sociétés a son modèle de gouvernance et ses mécanismes permettant au peuple de participer à la gestion des affaires publiques. De même, l’homme à la différence des autres espèces qui cohabitent ensemble aspire toujours à améliorer sa condition d’être, à vivre dans un environnement où chacun est libre, peut avoir une possession et une protection de son intégrité physique et morale.
Le mode de gouvernance qui offre ces cadres à l’homme plus que tous les autres est la démocratie. C’est pourquoi ce régime est le système de gouvernance qu’on retrouve dans la plupart des sociétés contemporaines. Les décomptes récents des États dits démocratiques estiment qu’il y a environ 167 pays dits démocratiques dans le monde.
La démocratie en régression au Mali
Toutefois, le rapport de l’indice démocratique publié par le consortium The Economist Group sur la démocratie n’est pas réjouissant. Il montre une forte régression du respect des principes dits démocratiques. Il est en déca de l’indice de 2006, première année à partir de laquelle ce groupe de presse britannique a commencé à publier un rapport annuel sur la démocratie dans le monde. Sur les 167 pays, dont 165 sont membres de l’Organisation des Nations Unies, seulement 22 pays sont considérés comme pays de véritables démocraties. Ils sont appelés comme pays de « démocratie pleine ». Par contre, 54 pays sont considérés comme des pays dits de « démocraties autoritaires ». Et 54 pays comme des pays dits de « démocraties imparfaites » et 37 dits de « démocraties hybrides ».
Parmi les pays dits démocratiques, au total 50 pays du continent africain s’y figurent à l’exception de 5, dont les Seychelles, le Soudan du Sud, la Somalie et Sao Tomé-et-Principe. Toutefois, seule l’ile Maurice est considérée comme un pays dit de « pleine démocratie ». Il occupe le 20e rang mondial. Elle est suivie par sept (7) pays dits de « démocraties imparfaites » : Cap-Vert, Botswana, Afrique du Sud, Tunisie, Namibie, Ghana, Lesotho. Les pays dits de « démocraties hybrides » sont au nombre de treize (13). Enfin les pays dits de « démocraties autoritaires » sont au nombre de vingt-neuf (29). Le Mali est à la tête de cette dernière catégorie. Il occupe la 23e position en Afrique et la 111e dans le classement mondial. Et en dernière position en Afrique se place la République Démocratique du Congo (RDC), qui se positionne à la 131e place de ce classement mondial.
Dans ce récent classement, le Mali fait partie des pays africains, tout comme le Ghana et le Sénégal, qui ont fortement régressé ces dernières années. Pourtant, en 2010 le Mali figurait en bas du tableau des pays dits de « démocraties imparfaites ». Il occupait la 79e position mondiale. Il a chuté comme ce fut le cas de la Lybie après le coup de force militaire intenté contre le régime de Mouammar Kadhafi par Nicolas Sarkozy et ses alliés.
Les raisons de la chute
Les raisons qui justifient cette dégringolade sont nombreuses. L’élément déclencheur a été le coup d’État conduit par Amadou Aya Sanogo contre le régime d’Amadou Toumani Touré (ATT). L’élection d’Ibrahim Boubacar Keita (IBK) et son acceptation par son principal opposant malgré que le scrutin s’était déroulé dans un climat d’insécurité sur une grande partie du territoire du pays, mais avec un niveau de participation élevé, a permis au Mali de se classer à la 88e position mondiale en 2015.
Les manifestations conduites par le M5-RFP après les élections législatives de 2018 suivies par le coup d’État dirigé par Assimi Goita contre le régime IBK ont été le déluge qui a accéléré sa descente parmi les régimes démocratiques dits de « démocraties autoritaires ». Cette chute reflète parfaitement l’état du pays dans plusieurs domaines et secteurs.
En plus des deux raisons évoquées précédemment, l’insécurité sur une grande partie du territoire à cause des activités des djihadistes dans le pays et même au-delà des frontières du Mali, la répression des potentiels opposants au régime mis en place pour diriger la transition politique, et les interdictions de manifestation, peuvent également faire partie des raisons pouvant expliquer cette chute. Les restrictions des libertés imposées par les mesures contre la maladie à coronavirus peuvent s’ajouter à la liste.
Dans les principes, le Mali est un pays démocratique, mais dans la réalité, rien ne marche comme telle. Il n’a jamais connu de stabilité politique pendant un long moment. Cela est révélateur d’un malaise. Il prouve que les politiques n’ont pas su mettre en pratique ce qui se trouve dans les textes. Les promesses qui ont mobilisé le peuple malien et conduit au départ du régime de Moussa Traoré ont été presque jetées dans des oubliettes. Toutes les élections qui ont été organisées ont été décriées, les perdants ont toujours refusé de reconnaître les résultats proclamés.
À part les élections présidentielles de 1992 et de 2013, toutes les élections ont été contestées dans ce pays. Cela montre que le jeu électoral est biaisé et aussi que la volonté populaire n’est pas ce qui est pris en compte dans la proclamation des résultats. À cela, il faudrait ajouter qu’au Mali le multipartisme est une illusion. Les partis d’opposition ne jouent que du cinéma. En aucun moment, ils n’ont joué pleinement ce rôle.
« La démocratie a globalement reculé dans le monde »
Au-delà du cas malien, le constat fait dans le rapport annuel 2020 sur la démocratie dans le monde par Economist Intelligence Unit (EIU) et Freedom House est amer. Il est explicitement mentionné que « la démocratie a globalement reculé dans le monde [et plus sur le continent africain et plus particulièrement en Afrique subsaharienne ».
En effet, la démocratie littéralement traduite peut désigner le gouvernement du peuple ou le gouvernement de la majorité. Son sens le plus connu est la connotation d’Abraham Lincoln. Elle est « le gouvernement du peuple, par le peuple, et pour le peuple ». Ce principe qui ressort de cette définition est-il mis en pratique dans nos démocraties ? Tout donne à croire que ce n’est que le contraire qui se passe dans nos États, surtout sur le continent africain où on ne consulte le peuple que dans l’apparence, c’est-à-dire on accorde rarement de l’importance à son verdict. Les crises après les élections présidentielles dans de nombreux pays en témoignent. Le changement brusque d’autorité politique que le Mali a connu récemment l’illustre également.
La différence fondamentale entre la démocratie et les autres formes de gouvernance est que dans un système de gouvernance dit démocratique, le pouvoir vient du peuple, il est exercé par lui, et en vue de ses propres intérêts. De même, dans une démocratie, et c’est ce qui fait sa spécificité par rapport aux autres formes de gouvernance, il y a le respect des Droits de l’homme, une séparation des pouvoirs et des lois qui réglementent la vie en communauté. À cela, il peut être noté qu’elle est un régime dans lequel c’est le peuple qui décide des orientations de la vie de la Nation et a le droit de regard sur tout. Il est celui qui désigne les autorités qui le gouvernent et peut les destituer. Tout part du peuple et tout lui revient. Il a le pouvoir absolu comme le amma chez les Dogons.
« Il n’a jamais existé de véritable démocratie »
Toutefois, il y a différentes typologies de démocraties. Chaque peuple a donné à la démocratie sa touche particulière, et l’a adapté à son organisation sociale d’avant l’avènement de la démocratie, tout en donnant une place centrale au peuple. Chaque pays a sa démocratie, c’est-à-dire sa conception de ce qu’est la démocratie. Il convient de signaler qu’il n’y a pas une démocratie parfaite, elle est en construction perpétuelle dans tous les pays. L’émeute qu’a suivie la défaite de Donal Trump aux États-Unis en est un exemple.
Les prérogatives que la démocratie accorde au peuple, les expériences montrent qu’il est possible que celui-ci les assume pleinement durant une longue période dans la Nation. C’est toujours le petit nombre qui gouverne, qui décide tout. Le rôle que joue directement le peuple est minime dans la plupart des démocraties. Il varie d’une démocratie à une autre. Dans la majorité des cas, il se limite au choix des législateurs et du président. Mais avec les médias sociaux, le peuple joue son rôle d’une certaine façon.
Au-delà des critiques, il faut reconnaître aussi que la vague de démocratisation qu’a connue l’Afrique au début des années 1990 a apporté un changement politique substantiel. Elle a permis la tenue d’élections multipartites régulières dans beaucoup de pays même si des contestations ont suivi après plusieurs élections. Elle a permis la reconnaissance et la légitimité des différents droits politiques et civils. Bien que les partis au pouvoir aient remporté la plupart des élections qu’ils ont organisées comme le cas au Rwanda, au Gabon, en Ouganda, etc. Elle a permis d’apporter un nombre significatif d’alternances politiques comme ce fut le cas au Ghana, au Sénégal, au Bénin.
En se fiant à ce qu’est la démocratie sur papier, aucune intelligence ne peut le désavouer tellement ce régime paraît si beau. Rousseau dira pour sa part dans son Contrat Social que « s’il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement ». Seulement, il reconnait en fin de compte qu’un « gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes ». Pour lui, « à prendre le terme dans la rigueur de l’acceptation, il n’a jamais existé de véritable démocratie, et il n’en existera jamais. »
Mikailou CISSE
Source : phileingora