Vers la fin des années 1980, un homme politique français disait que l’Afrique n’était pas prête à porter la camisole de la démocratie. Cette déclaration a évidemment heurté les consciences africaines. Pourtant, il n’y avait de quoi à s’offusquer, si l’on se réfère au comportement de nos gouvernants actuels. Le cas de l’actuel ministre de l’Administration du Territoire, de la Décentralisation et de l’Aménagement du Territoire, Moussa Sinko Coulibaly en est révélateur.
La sortie hasardeuse du ministre, colonel Moussa Sinko Coulibaly, le mercredi 31 juillet continue à défrayer la chronique. D’aucuns estiment que cela donne la preuve que le scrutin du 28 juillet a été mené au niveau de ce département en pilotage à vue.
Tenez, après l’interview du directeur général de l’Administration territoriale, Bassidi Coulibaly, le mardi soir au journal télévisé de 20 heures, rien n’obligeait le Ministre à revenir sur ce sujet. Surtout qu’il n’etait pas en possession des informations précises sur l’issue du scrutin du 28 juillet dernier. Bassidi Coulibaly a été on ne peut plus clair. Pour rappel, il disait qu’au regard de l’immensité du territoire et la défectuosité des routes, il ne saurait y avoir des résultats objectivement exploitables pour le public que le vendredi. Qu’est ce qui a poussé le ministre Sinko à contredire son directeur de cette manière ? De deux choses : l’une. Ou, il voulait se mettre en valeur à la télévision, parce qu’il estime que son directeur lui a volé la vedette. Ou, les explications de Bassidi Coulibaly a créé le doute dans la tête des partisans du candidat du RPM et de la coallition le Mali d’Abord, Ibrahim Boubacar Kéïta (IBK). Car, on se rappelle, que ces partisans avaient bâti leur stratégie électorale sur « le Takokélén » (l’élection dès le 1er tour).
Selon nos informations, dans le quartier général des putschistes au camp Soundiata de Kati, ses partisans militaires avaient commencé la fête de la victoire depuis la nuit du 28 juillet, après la publication des résultats des bureaux de vote, où le candidat IBK a réalisé des scores fleuves par la radio Klédu. Les explications de Bassidi Coulibaly, qui empêchaient cette fête prématurée, ont semé le doute, à la limite la panique dans les rangs de la soldatesque. Il faut donc rectifier le tir pendant qu’il est temps. Moussa Sinko Coulibaly, recevant ses ordres de Kati, était donc dans son rôle d’apaisement et d’assurance des électeurs du camp IBK. La preuve, dès la publication de cette première tendance, qui donnait IBK largement en tête sans un moindre chiffre a été accompagné par un tonnerre de klaxons de motos et de voitures à travers la ville, comme ce fut le cas au soir du 28 juillet.
Alors que rien n’obligeait le ministre de l’Administration territoriale, de la décentralisation et de l’aménagement du territoire, le colonel Moussa Sinko Coulibaly, ex-directeur de cabinet du président du CNRDRE, à se prononcer sur une quelconque tendance, fût-elle première du scrutin présidentiel du 28 juillet dernier. A l’analyse, la sortie du ministre était une sorte de ballon d’essai. S’il n’y avait pas eu cette réaction instantanée de la direction de campagne du candidat de l’URD et du tonitruant président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) Mamadou Diamoutani, IBK allait passer haut les mains dès le 1er tour. Puisse que le coup avait été préparé en avance. Il n’y avait rien de hasard encore moins d’anodin. C’était une façon subtile de faire passer leur candidat avec la complicité de la Communauté internationale, qui avait déjà préparée les esprits à accueillir la nouvelle. En témoigne, le compte rendu de mission des observateurs de l’Union européenne. Le chef de mission, Louis Michel, s’est félicité des conditions d’organisation du scrutin. A sa suite, le chef de mission de la Francophonie, le mauritanien Ahmedou Ould Abdallah, a outrepassé ses prérogatives d’observateur en déclarant que les informations qu’ils détiennent, si elles se confirment, l’organisation du second tour serait un gâchis.
Selon nos sources, avant la proclamation des résultats provisoires complets par le même ministre Moussa Sinko Coulibaly, créditant IBK de 39,2% suivi de Soumaïla Cissé avec un score de 19,4%, le candidat de l’URD avait été approché par plusieurs personnalités maliennes et internationales, notamment des émissaires de l’Union Africaine, de l’Union Européenne, la liste n’est pas exhaustive pour qu’il accepte le fait accompli. Mais, l’homme d’Etat qu’il est, Soumaïla Cissé, faisant foi à la seule vérité des urnes, a décliné les avances. N’ayant d’autres alternatives, Moussa Sinko et ses soutiens (militaires et de la Communauté internationale) était dans l’obligation de publier les résultats provisoires définitifs. Au Ministère de l’Administration territoriale, on jure la main sur le cœur que les résultats proclamés sont sincères. Vrai ou faux, il revient aux neuf sages de la Cour Constitutionnelle de dire la Vérité, toute la Vérité, rien que la Vérité.
Mais, Moussa Sinko, qui avait déclaré lors de sa première sortie du mercredi 31 juillet, que les écarts des premières tendances constatées lors du dépouillement du tiers des procès verbaux, sont élevés à tel point que le 2ème tour apparaissait peu probable, si les tendances se maintenaient comme telles. Après protestation vigoureuse, chiffre à l’appui de l’URD, trois jours après, le même Ministre revient pour dire le contraire. Sommes-nous sur quelle planète ? N’est ce pas une façon amateur de gérer un Etat ? Autant de questions qu’on est en droit de se poser.
Un ministre à mettre en quarantaine
Au regard de tout ce qui précède, force est de reconnaître que Moussa Sinko ne mérite plus sa place dans le gouvernement II de Diango Sissoko. Il doit assumer les conséquences de son incohérence. Le changement tant réclamé par les militaires doit commencer par eux-mêmes. On ne peut vouloir la chose et son contraire. De part son action, il a délibérément rompu l’équilibre précaire de la confiance, sur laquelle tout le système reposait. Parce que bien avant le scrutin, certains candidats ont émis des doutes sur s’impartialité, eu égard à la grande proximité des putschistes avec IBK. Le candidat de la CODEM et de la plateforme politique « PUR », Ousseyni Amion Guindo, n’est pas allé avec le dos de la cuillère en dénonçant sur RFI, le soutien des militaires à certains candidats. Pour Poulo, après tout ce que nous avons vécu, il est dangereux que les militaires descendent jusqu’à ce point dans l’arène sans même porté de gang. Déjà, Moussa Sinko portait un préjugé défavorable.
Il devait en conséquence s’abstenir de toute déclaration subjective, tendant à jeter du discrédit sur l’issu des scrutins présidentiels. Car, même si IBK gagnait au second tour, le doute est déjà installé dans la tête des partisans de Soumi. Puisqu’il ne peut pas se tenir tranquille, qu’il se retire du gouvernement en attendant l’installation de son candidat à Koulouba. S’il ne le fait de son propre chef, son patron de l’ex-junte, le capitaine Amadou Haya Sanogo, le Premier ministre, Diango Sissoko, et le président de la République par intérim, Dioncounda Traoré, peuvent prendre l’initiative en le démettant de ses fonctions. Et confier la tâche à celui qui peut observer la stricte neutralité. En tout cas, si les Autorités tiennent encore à la crédibilité et à la sincérité du scrutin du second tour, la démission de Moussa Sinko s’impose comme une nécessité vitale de notre démocratie. Même s’il faut repousser la date du second tour comme ce fut le cas à côté de chez nous en Guinée, où le vote de partage entre Seydou Daleine Diallo et d’Alpha Condé a été reporté, pour permettre la recomposition de la CENI, qui avait été jugé partisane par le camp d’Alpha Condé. Puisse qu’il s’est montré partisan, il doit quitter le navire pour se consacrer à son rôle de directeur de campagne d’IBK. Comme ce fut le cas en France. C’est-à-dire qu’il doit assumer toutes les conséquences politiques de son incohérence en rendant le tablier. S’il le fait de lui-même, ce serait une bonne chose.
Il faut rappeler que le double langage du ministre Moussa Sinko Coulibaly n’est pas le fruit du hasard. Il découle d’un plan intelligemment préparé et mis en œuvre par un groupe de militaires, appartenant à l’ex-junte. L’objectif étant d’installer Ibrahim Boubacar Kéïta au pouvoir dès le premier tour. Comme en France, le manège a été découvert grâce à la magie de l’internet. Des échanges de mails cadrant le rôle à chaque commando du groupe a été découvert par des informaticiens. L’information a fait le tour de toutes les Chancelleries présentes à Bamako par les leaders du FDR.
Dans le plan, il était convenu que dès la fermeture des bureaux de vote, une radio de la place allait publier les résultats des bureaux de votes qui donnaient Ibrahima Boubacar Kéïta, largement vainqueur avec des scores à la soviétique. Les jeunes conditionnés pour ce faire allaient prendre les rues de la capitale clamant la victoire d’IBK dès le 1er tour. Le Takokélén se réalise. Mais, puisse que cette stratégie n’a pas marché. Il fallait passer au plan B, consistant à publier par anticipation les premières tendances du scrutin pour conforter la rue dans sa compréhension du Takokélén.
En recoupant ces informations avec la réalité du terrain, force est de reconnaître que le ministre Sinko Coulibaly était belle et bien dans son rôle. Mais, le plan a malheureusement foiré. En bon militaire assermenté, il doit assumer les conséquences de son action. Qu’il le fasse ou pas, la confiance n’est plus de mise. Si IBK doit gagner dans ces conditions, il doit avoir la probité morale et intellectuelle de dire publiquement au peuple souverain du Mali, « qu’en 2002 il a été triché au profit du candidat Amadou Toumani Touré par Alpha Oumar Konaré. En retour en 2013, les putschistes de Kati aussi ont triché pour l’installer au pouvoir ». Son solde est ainsi crédité, le pays ne lui doit plus rien.
Mais, comme le Mali n’est pas la France, sinon il allait subir le même sort que Jérôme Cahuzac. L’ex-ministre français du Budget, Jérôme Cahuzac, puisqu’il s’agit bien de lui, accusé de fraude fiscale, avait feint d’ignorer l’existence de son compte en Suisse avant de passer à l’aveu devant la perspicacité des journalistes. L’information avait été révélée par le site d’information « MédiaPart », reprise en boucle par les autres médias. Ainsi, acculé jusqu’au dernier retranchement, il a été obligé d’admettre la vérité. Comme c’est un pays de Droit, Il n’avait d’autre choix que de tirer toutes les conséquences politiques de son action. Il jeta l’éponge en démissionnant du gouvernement de Jean-Marc Ayrault et ensuite du parlement, où il détenait un mandat de député. Même son Parti, le PS (Parti Socialiste) lui a retiré sa carte d’adhésion.
Mohamed A. Diakité