L’entretien de France 24 depuis Bangui, la capitale de la République centrafricaine où nous retrouvons Jean-Yves le Drian, ministre français des affaires étrangères. Bonjour.
Merci d’avoir accepté l’invitation de France 24 aux termes de cette visite expresse en Centrafrique de 24 h, dans un contexte quelque peu troublé avec une crise politique sous-jacente depuis la destitution du président de l’Assemblée nationale et alors qu’on signale une reprise des violences notamment dans Bambari où 27 000 personnes ont encore été déplacées. Est-ce que, d’après vous, il faut craindre pour la situation sécuritaire et humanitaire en Centrafrique dans les prochaines semaines ?
Vous avez raison, la situation n’est pas stabilisée. Je n’étais pas venu ici depuis deux ans et je m’attendais à une forme de fatalisme, de résignation auprès des autorités mais aussi auprès de la population. Et je trouve que, malgré les difficultés que vous évoquez, y compris la permanence de l’insécurité, il y a de la détermination, de la volonté et voire même de l’espoir. J’ai trouvé aussi, de la part des autorités de Centrafrique, une volonté d’avancer, y compris de la part du président, d’avancer dans l’initiative africaine de paix, parce que c’est la feuille de route. J’ai trouvé qu’il y avait de la détermination et je sors de ce déplacement avec beaucoup plus de satisfaction que d’appréhension, même si j’avais beaucoup d’appréhension en arrivant.
Pour autant, si la capitale et les exemples que vous citez sont sous contrôle des autorités, on reste dans un pays où 75 % du territoire est aux mains de groupes armés. Que fait-on pour inverser cette tendance ?
Oui, mais il y a un processus qui est en cours. Maintenant, il faut que l’ensemble des acteurs soient au rendez-vous, sinon ils porteront la responsabilité devant l’histoire de la République centrafricaine de leur incapacité.
Malgré tout, cette médiation patine, dure et il y a même une double médiation menée par les Russes, les Russes qui sont de plus en plus présents ici.
Vous avez évoqué cette action de formation de l’Union européenne, mais les Russes forment aussi une partie de l’armée centrafricaine. Vous avez annoncé une livraison prochaine de fusils d’assaut, les Russes ont obtenu une levée partielle de l’embargo pour aussi livrer des armes à l’armée centrafricaine. Est-ce que la France est en compétition avec la Russie sur le terrain centrafricain ?
Deux remarques par rapport à ce que vous dites. D’abord, à ma connaissance, il n’y a pas eu d’initiative russe pour obtenir la paix en Centrafrique et pour avoir une nouvelle feuille de route ou je ne la connais pas.
Ce sont des discussions parallèles…
Je ne connais qu’une seule initiative, c’est l’initiative des Africains eux-mêmes. Je ne connais qu’un seul interlocuteur, c’est l’Union africaine avec son président, M. Kagamé, et le président de la Commission, M. Moussa Faki. Je ne connais pas d’autre initiative.
Alors, si la Russie a pensé utile de faire autre chose, il faut qu’elle le dise publiquement et qu’elle le dise et à l’Union africaine et aux Nations unies. Elle ne l’a pas fait à ma connaissance. Donc, cela n’existe pas.
Vous pensez que la présence de la Russie ici, cela fait du bien ou cela fait du mal ?
La Centrafrique, ce n’est pas un terrain de jeu, ce n’est pas un terrain de compétition. Le seul sujet qui doit préoccuper ceux qui veulent s’occuper de Centrafrique, c’est le bonheur et l’avenir des Centrafricains, la sécurité de ce pays, son développement, et non pas utiliser potentiellement les difficultés de ce peuple et de ce pays pour s’implanter dans un continent où il y aurait des ambitions voilées.
La France est un partenaire historique, elle est présente, elle a été présente aux moments difficiles. Il n’y avait pas grand monde, fin 2013, à aider les Centrafricains dans les ruptures difficiles que ce pays traversait, avec les violences que nous connaissions, dont on voit encore les conséquences, nous étions là. Certains même de nos soldats ont payé de leur vie cette participation à la défense de l’intégrité centrafricaine. Et nous sommes toujours là. Si d’autres veulent venir aider, ils sont les bienvenus mais c’est au gouvernement de le décider.
Est-ce qu’ils aident ?
Il faut le demander au président Touadéra.
En avez-vous parlé, justement, avec le président Touadéra, d’autant plus on a l’impression ici, et ce n’est pas juste une impression puisqu’elle a été corroborée par certains faits, qu’il y a une campagne, en tout cas médiatique, quelquefois anti-française ? Et beaucoup pointent du doigt les Russes dans cette campagne.
Je ne suis pas venu ici pour faire des procès à quiconque, en particulier à une puissance étrangère. Je suis venu ici pour aider les Centrafricains à assurer leur sécurité et leur développement, c’est la seule chose qui m’intéresse.
Parlons d’un pays voisin de la Centrafrique, le Cameroun, où une élection présidentielle très contestée a eu lieu le 7 octobre dernier. Le président Paul Biya a été déclaré réélu le 22 octobre dernier par le Conseil constitutionnel, avec des accusations de l’opposition de fraudes. Est-ce que, de votre point de vue, ce scrutin au Cameroun était une élection libre et transparente ?
Je n’ai pas la capacité de juger puisqu’il n’y avait de mission de contrôle, de vérification initiée, où la France était présente. Je constate qu’il y a eu une élection qui s’est déroulée néanmoins dans le calme, même s’il y a eu quelques difficultés dans les régions anglophones. Je constate qu’un président a été déclaré élu, Paul Biya par le Conseil constitutionnel.
Qui est légitime à vos yeux ?
Il a été déclaré élu, donc je le constate par les institutions camerounaises. Je le constate. Et nous avons à l’égard de Paul Biya une relation de confiance mais une relation très exigeante.
C’est un allié ?
Je ne réfléchis pas en termes d’alliance, je réfléchis en termes de responsabilité politique des différents pays africains qui assument eux-mêmes leurs propres responsabilités politiques et qui font leurs choix. La France est là si on le lui demande.
Et, en l’occurrence, sur la situation au Cameroun, je pense opportun, d’ailleurs le président Macron le lui a dit, que le président Biya prenne les initiatives nécessaires pour montrer une nouvelle voie, pour d’abord appréhender de manière sérieuse la situation difficile des provinces anglophones, pour s’adresser à la jeunesse, pour leur montrer un destin et pour faire en sorte que le processus politique et la démocratisation du Cameroun soient vraiment l’axe principal de ce nouveau mandat qui s’ouvre.
Dans beaucoup de milieux de la société civile camerounaise, on entend ce discours qui dit : “la France ne dit rien, se tait, n’est pas à nos côtés, on trouve porte close et on n’arrive pas à faire entendre cette aspiration démocratique, cette soif du changement”. Est-ce que la France préfère aujourd’hui, en Afrique centrale, avoir des relations avec des Etats ou des régimes stables, un peu autoritaires… ?
Il y a bien longtemps, vous êtes peut-être d’un autre monde, mais il y a bien longtemps que la France ne choisit pas les gouvernements à la place des Africains, c’est de l’histoire, du passé. Si certains s’y complaisent encore, ils ont tort. La France reconnaît ce qui se passe et n’a pas à se substituer aux acteurs. Elle a à aider les acteurs quand ces acteurs le demandent. Et, en ce qui concerne le Cameroun, je dis très clairement qu’il nous paraît souhaitable que le président Biya fasse les inflexions nécessaires en raison de ce qu’il doit pouvoir lui-même constater, les aspirations à plus de démocratie dont vous faites état. La France intervient lorsque les principes fondamentaux sont remis en cause. Et si des journalistes sont enfermés, c’est inacceptable.
Dans cette zone, entre le président Deby, le président Sassou, le président Biya, le président Obiang Nguéma, on a des leaders qui sont au pouvoir depuis vingt, trente, parfois atteignent quarante ans ou vont atteindre quarante ans bientôt. Si la France ne choisit pas les présidents, est-ce qu’elle dit et prône l’alternance démocratique ?
Ce n’est pas notre vocation. Les Etats africains sont autonomes, indépendants, souverains. Et c’est quand des points fondamentaux sont remis en cause que la France doit parler, mais c’est vrai pour l’Afrique comme c’est vrai pour tout autre pays du monde. L’Afrique n’est pas le pré carré de la France. Où avez-vous cherché cela ?
C’est terminé, cela ?
Sauf pour vous, semble-t-il. En tout cas, pour le gouvernement français, oui.
On va parler maintenant du G5 et du Sahel. Où en est-on dans la collecte de fonds pour mettre en place cette force militaire et est-elle toujours censée dans un avenir proche remplacer l’opération Barkhane ?
Ce que l’on n’a pas perçu suffisamment, en particulier en Europe mais même aussi en Afrique, c’est le caractère extrêmement novateur de cette force conjointe. Donc, cela demande du temps, c’est une véritable mutation culturelle.
… et de l’argent…
… et de l’argent. Du temps et de l’argent. Et l’argent, aujourd’hui, est au rendez-vous. Il vient doucement mais il vient. Il faut aussi beaucoup de volonté politique pour le faire venir mais les deux choses vont en même temps. C’est-à-dire plus vous avancez dans l’unification de la force, plus les donateurs sont amenés à être au rendez-vous. La France est au rendez-vous, l’Union européenne est au rendez-vous avec 100 millions d’euros et la construction de cette force commune est en cours.
Est-ce que, pour autant, la France ne va pas être encore obligée d’intervenir. Elle l’a fait de manière ponctuelle l’autre jour au Burkina Faso où vous étiez. Est-ce que la France va intervenir plus au Burkina Faso, qui apparaît ces dernières semaines comme le maillon faible de cette…
Le Burkina Faso a des difficultés en ce moment de sécurité, c’est vrai – je m’y suis rendu il y a quelques jours – et la force Barkhane est intervenue à la demande des autorités burkinabè contre des groupes terroristes qui menaient des actions dans une partie du pays. Il y a des fragilités. Barkhane peut être une réponse ponctuelle, elle l’est si les autorités burkinabè le demandent, mais pas en se substituant à la décision.
Mais cela veut dire aussi que le Burkina Faso doit lui-même structurer sa propre sécurité pour être en mesure de répondre lui-même aux attaques de ces groupes qui sont des groupes qui veulent harceler l’autorité de l’Etat. Parce que le sujet au Burkina Faso comme d’ailleurs on l’a vu tout à l’heure en République centrafricaine, c’est d’assurer l’autorité de l’Etat.
Si je comprends bien, si les Burkinabè le demandent, la France peut mener des frappes, va mener des frappes, en évaluant, j’imagine…
J’espère que nous ne serons pas amenés à le faire de trop parce que les Burkinabè sont aussi présents sur leur propre territoire et l’action des terroristes n’a rien à voir au Burkina Faso avec celles que nous avons connues au Mali en 2013. Ce sont des actions ponctuelles, asymétriques, cela ressemble à du grand brigandage pour une grande partie du temps. Donc, cela signifie aussi que la mise en place de forces de police et de gendarmerie, suffisamment motivées et déterminées, suffisamment équipées au Burkina, doit permettre de régler le problème.
Dernière question : est-ce que vous avez des nouvelles du président Ali Bongo ?
Non, je suis comme tout le monde. Je sais qu’Ali Bongo a été hospitalisé à Riyad après un malaise. A ma connaissance, il est toujours hospitalisé, mais je n’ai pas d’informations supplémentaires.
Aucune information sur ce qui lui est arrivé ? Œdème cérébral, comme on a entendu dire, AVC… ?
Je ne suis pas son médecin, et même si j’étais son médecin, il y aurait le secret médical, mais je n’ai pas d’informations particulières.
Jean-Yves Le Drian, merci d’avoir répondu à nos questions