Les régions du nord croyaient qu’elles étaient oubliées, qu’elles ne faisaient plus partie de la République et plus personne n’oserait y remettre les pieds. C’était sans compter avec un ministre opiniâtre pour qui, la République est partout la même.
Le vendredi 29 août 2014, journée historique, s’il en faut, la ville de Gao ne parlait que de ça : « Aliou est venu et il nous a apporté la pluie ! » ‘’Aliou ?’’. Il s’agit d’Abdoulaye Idrissa Maïga, ministre de la République en charge de l’Environnement, de l’Eau et de l’Assainissement. « On avait bien entendu dire qu’il allait venir mais naturellement on n’y croyait pas », nous confie un natif de Gao qui se reprend aussitôt : « Et pourtant, venant de sa part, ça n’est pas surprenant ». Aussi bien dans les milieux intimes où on l’appelle ‘’Aliou’’ ou en dehors de ce cercle, tous connaissent le ministre et parlent de lui sans aucune réticence. Les habitants étaient tout ‘’bluffé’’ par l’événement : oser venir ici alors que personne n’avait osé le faire sous ‘’l’occupation’’.
Si la pluie a été le signe du soulagement (« cela faisait une semaine qu’on avait pas eu la moindre goutte »), l’arrivée du ministre débloque une vraie espérance. Même les policiers (qui s’étaient mis sur leur ‘’31’’) avaient l’air gonflés à bloc et fiers de servir en lui ouvrant, à lui et sa délégation, la voie à travers la ville. Mais ce constat par rapport à Gao – que le ministre apporte de l’espoir – est aussi valable pour toutes les autres localités des régions de Mopti et de Gao. Partout c’est le même authentique enthousiasme (on est loin des liesses mises en scène) et la même ouverture à l’espoir et à l’optimisme.
Il faut dire et redire que les populations du nord sont traumatisées par la crise de 2012 (elle doit être une leçon pour chacun pense le ministre) et l’’’occupation’’.
L’’’occupation’’, voilà un concept qui trace et rythme les tenants et les aboutissants de tous les raisonnements au nord : la crise est partie sans vraiment partir. Le spectre des djihadistes plane toujours sur les esprits. « L’Etat n’est pas encore revenu », entend-on à tout coin d’échanges, « la sécurité non plus ». Aussi il ne faut être surpris d’entendre dire ici : « vous comprenez avec l’insécurité qui règne personne n’allait s’hasarder ici ». Et pourtant l’arrivée de Abdoulaye Idrissa Maïga a fait sauter un verrou psychologique et beaucoup pensent malgré tout comme Ibrahima Sanogo de Bourem qui a lancé dans la salle de délibération de la Mairie de Gao, remplie de monde: « même les natifs de Bourem n’osaient pas venir à Bourem, la zone la plus dangereuse. Mais, personne ne peut plus dire qu’on ne peut pas venir à Goundam ».
Il a d’autant plus raison que des indiscrétions ont permis d’apprendre que d’autres ministres lorgnaient sur le saut du commando Abdoulaye Idrissa Maïga au-delà de Mopti pour étudier un plan de voyage. Mais ce qui est vrai pour les populations, est valide aussi pour les gouvernants et les élites locales : ils baignaient dans la lassitude de l’oubli du monde, tout ressort cassés. Les voilà tirés de leur torpeur (qui confinait parfois à l’irresponsabilité) et confrontés à une nouvelle réalité, une nouvelle méthode et une nouvelle façon d’être considérés et mis face à leur responsabilité.
Dépasser les contingences inhibitrices
Le ministre est venu avec une grille de lecture bien claire dans sa tête et il a tenu là où il est passé à délivrer un vari discours sur les méthodes (on aura l’occasion d’y revenir). Aussi bien, les populations que les courroies de transmission qui les encadrent – de tous les horizons, étatiques ou pas – ont été édifiés sur la nouvelle façon de faire ; celle qui rompt avec la niaiserie, le faux fuyant et la responsabilité confisquée. Au nom de cette façon de procéder, l’important devient : sortir de l’inertie, faire un pas, puis un autre…et avancer à coup de petits pas successifs.
Partout, le ministre s’est à un moment donné effacé afin que la synergie se crée et agisse en mettant face à face les responsables -régionaux comme nationaux, étatiques comme privés –pour trouver des solutions. Et dieu sait des solutions, il en été dégagées partout et devant tous.
Abdoulaye Idrissa Maïga croit ferme à la concertation sous toutes ses formes et partout. Chaque point de visite –station de pompage, borne fontaine, etc.- en a donné une illustration. Les échanges ont lieu sur place au pied du point visité ; le ministre jouant le no 10 ; celui du passeur et du meneur qui crée le jeu. Mais, deux concertations formelles et formalisées ont émaillé le périple, une dans la salle de la Mairie de Gao et une autre dans la salle de la Direction Régionale de l’Hydraulique. Chacun des participants, y compris ceux venus de Bamako, a compris – il faut l’espérer- qu’être responsable, c’est s’assumer et trouver des solutions, « nous, nous accompagnons » ; garantit le ministre.
A Gao, le ministre explique en substance : je viens de faire 1350 Km. J’aurais voulu aller plus loin … mais je reviendrais prochainement. En fait, à plusieurs occasions il signifiera son retour prochain, notamment avant la fin de l’année. Et si le ministre Maïga dit qu’il revient, c’est parce qu’il reviendra. D’abord parce qu’il tient à constater les progrès mais aussi parce « qu’il est un éléphant. Il n’oublie rien et il a un œil sur tout ». « Ma venue n’est pas un cadeau pour vous », lance M. Maïga dans la grande salle de Gao, « c’est pour conforter chaque citoyen ». Et sa philosophie ? ‘’Constater de visu les réalités’’ pour comprendre les situations et agir conséquemment. Procéder à de petites actions tous les jours pour avoir chaque jour un peu plus de paix (donc de progrès) : car « l’expectative ne paie pas ».
Thèmes et items d’une visite
Le ministre et sa délégation ont mis les pieds dans 8 localités, villages ou ville pour une action de constat de visu des réalités. Ils ont effectué dans ces localités, 21 points actions/activités en dehors du protocolaire ou autres. Les 7 lieux sont : Mopti, Bourem-Taoussa, Sorgho Sonraï, Gao, Bourem, Konna, Mopti, Sangha et Gountaka. Les taches effectuées au cours de ces haltes ont concerné : une station de pompage d’eau potable, une station d’épuration, visite d’une famille raccordée au système du mini égout et la rencontre à des autorités administratives(Mopti). Il y a aussi la visite du site de barrage de Taoussa (avec reconnaissance de la traversée par pirogue-moteur, la base bombardeé par Serval de l’escadron de gendarmerie, et la base de vie du personnel de l’entreprise chinoise Cggc Ltd. Il y a aussi Forgho Sonraï ou se trouve un système d’adduction d’eau avec panneaux solaires (endommagés par les rebelles et ou l’entreprise a consommé 4 mois sur 6 sans approcher la réception).
A Gao, il y eut la rencontre des responsables sur les thèmes de l’Eau de l’Assainissement et de l’Environnement, la visite des installations de pompage d’eau, celle d’une pompe à motricité humaine dans la périphérie, et aussi d’une plantation communautaire de bois.
A Konna, ce fut le forage, le château d’eau, la galerie naturelle d’exposition d’œuvre d’art de Bougo, également. A Gountaga, la localité heureuse d’avoir de l’eau, c’est la borne fontaine N°5 qui fut présentée au ministre et à sa délégation.
Il va sans dire que ces thèmes et items ne vont pas sans problèmes et parfois sans paradoxes.
A tout seigneur tout honneur, l’eau potable pose un problème dans l’ensemble. Mais il y’a des disparités. Cela va des privilégiés qui s’ignorent aux vrais démunis. Par exemple pour Gao, des voix se sont levées pour dire que l’eau délivrée par la Somagep était trop chère : 5000 à 10000 FCFA la facture mensuelle. Mais, séance tenante – nous sommes dans la salle de la Mairie de Gao – une autre voix, celle de Ibrahim Sanogo, se lève pour traiter Gao de privilégiée en la matière : « Gao est gâtée par la Somagep. Il faut venir à Bourem voir, là-bas je bois du ‘batakara’ (eau boueuse). Il faut décentraliser la Somagep ». Il convient d’ajouter ici le fait que la veille dans un quartier périphérique de Gao, la pompe d’eau potable à gestion communautaire assurée par Fatimata Ali Touré n’avait reçu le moindre client. Par ailleurs, 4000 abonnés – parfois irrégulièrement branchés sous « l’occupation », rechignent à régler leurs factures d’eau.
Le passage du tout nouveau hogon (il a été intronisé hogon à Sanga) Abdoulaye Idrissa Maïga servira à déboucher ce différend, comme cela fut le cas un peu partout.
Un autre problème d’eau, de taille celui-là, regarde le barrage de Taoussa ; ce projet dont on entend toujours parler mais dont on ne voit jamais la couleur. Il devait rentrer en fonction en cette année de grâce 2014, ce fut « un gâchis immense » : 4 ans de retard, 130 milliards de CFA au soleil, la base de la gendarmerie carrément dévastée, la base de vie de l’entreprise chinoise CGGC Ltd. dans la désolation et les bailleurs de fonds en débandade. Taoussa est-il compromis ? Le ministre Maïga ne veut pas en entendre parler : « Ce projet n’est pas un projet fantôme », prévient-il. Personne ne doute de l’impact socio-économique que la réalisation de ce barrage pourrait avoir sur une première étendue qui va de Diré à Labezanga ; première étendue car ce projet a un impact national, voire plus. Aussi, le ministre semble décidé à aller de l’avant pour la reprise des travaux du barrage : « Taoussa est une réponse à ce qui s’est passé. On en parle depuis 1960. Toute ma vie, j’en ai entendu parler. Il y’ a eu un recul de 130 milliards FCFA ».
Raison de plus, il veut relancer ce projet de barrage. Les travaux vont reprendre bientôt, d’ici la fin de l’année pour être plus explicite. Ce projet de barrage est trop important pour être négligé. Dans l’une des deux pirogues motorisées qui ont fait faire la reconnaissance du tracée du futur barrage, Almaimoune Maïga, 1er Adjoint au Maire de Bourem, nous a confié ses impressions et ses attentes (qui sont immenses) par rapport à ce barrage : « ici est une commune d’élevage par excellence. Beaucoup sont partis parce qu’il n’y a rien à faire. Avec le barrage ils vont revenir, car ici nous aimons rester chez nous », ainsi parla le sage homme.
Mais la route reste un facteur limitant en ce sens. Cela ne sert pas à grand-chose d’avoir un barrage de cette importance si le désenclavement n’est pas assuré. De Bamako jusqu’à Mopti-Hombori l’état de la route est bonne. Mais après, c’est le calvaire jusqu’à Gao, Bourem et Taoussa. Un chauffeur qui a sillonné les coins et tous les recoins en parle comme suit : « un chauffeur qui pratique cette route pour la première fois aura la désagréable surprise de sa vie. Partout ce ne sont que des nids de poule, des escaliers et des bordures rongées qui obligent à descendre de la route. De Mopti à Gao, c’est le calvaire, mais Gao-Taoussa est encore pire. Là-bas, c’est du « bon ka trou » (s’arracher pour se replanter) d’un trou à l’autre. Et si tu ralentis trop, tu te plantes et tu y restes ; sauf s’il y’a des villageois à côté pour te venir en aide, sinon c’est le danger. On est obligé de rouler au ralentit et il n’est pas question de conduire relax. On est toujours crispé et sur les nerfs et il faut tout le temps rester en alerte, tu montes et tu descends. Mopti – Gao, c’était maximum 5 heures de temps, mais à présent d’ici seulement Goundam à 150-160 km, tu peux y rester 3 heures de temps. De Douantza à Gossi, n’en parlons pas ! Là, c’est tout simplement les crevasses difficilement négociables. La route là est éprouvante pour la mécanique, sur le chauffeur et surtout sur les passagers qui s’énervent et qui crient sur le chauffeur qui est de ce fait exposé aux accidents. Non, la route là n’est pas bonne pour nos véhicules et n’est pas bonne pour nous-mêmes. Des trajets qu’on faisait en 5-6 heures demandent à présent toute une journée. De Gao à Mopti, on met près de 8 heures ».
A la question de savoir si selon lui le barrage de Taoussa pouvait être une réussite sans une bonne route, notre chevronné chauffeur est catégorique : « Il faut refaire cette route ».
Amadou Tall, Envoyé spécial