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Le journaliste Jean-Yves Nau est mort

Docteur en médecine, ancien instituteur, journaliste spécialiste des questions de santé, il avait travaillé au Monde puis à Slate.
Il y a tout d’un homme dans sa façon de marcher. Jean-Yves marchait lentement. Sans doute parce qu’il avait l’assurance de ceux qui maîtrisent le temps, les horloges et les saisons: après tout, n’était-il pas enfant de viticulteur, devenu instit’, puis médecin puis journaliste? Pas n’importe où. Au Monde. Le journal du soir bouclé au matin. Logique, le temps, finalement.
Jean-Yves marchait lentement, mais il écrivait vite. Capable de tomber du feuillet comme peu de journalistes le peuvent, il aurait sans doute pu écrire un quotidien à lui tout seul. Mais le papier, il en avait fait le tour, disait-il. Il s’intéressait humblement au «journalisme numérique», avec l’avidité des convertis. Internet n’avait ni fin, ni horaire. Et Jean-Yves avait une idée d’article par jour. Voilà un défi à sa taille. Heureusement pour nous, il n’était pas payé au feuillet.
Quand je lui faisais remarquer que son papier n’était «pas assez Slate», parce qu’il ne tenait pas son angle, il rappelait qu’il avait été journaliste au Monde pendant trente ans, et qu’on ne changeait pas comme ça. Il cherchait réellement à comprendre ce qu’on attendait de lui. Alors il reprenait son texte, maugréait deux minutes, changeait trois phrases, une virgule, ajoutait un lien hypertexte. Et renvoyait l’affaire. Nouveau refus? Re-virgule changée. Nouveau refus? Le jeu pouvait durer longtemps. Souvent on cédait. Mais il finit quand même par ouvrir un blog.
En 2011, il fit la chronique de l’épidémie de H1N1. Il était persuadé qu’un virus finirait par nous mettre tous sur le flanc. Que personne n’était prêt. Ce ne fut pas le H1N1. Le 13 mars 2020, un sms: «Il suffisait d’attendre.» Le temps et sa connaissance de la médecine lui ont malheureusement donné raison.
Jean-Yves préférait poser les questions qu’y répondre. Par pudeur, ou par prudence. Il aimait tellement ça, les questions, qu’il finissait souvent ses articles en en posant une.
Comme il s’est longtemps réveillé de bonne heure, Jean-Yves avait gardé l’habitude de correspondre tôt. C’est un peu comme ça qu’on s’est trouvé, avec le docteur. Ses premiers mails, ou sms, selon l’humeur, partaient souvent autour de 7h du matin. Généralement laconiques, ils pouvaient avoir trait à un sujet lié à la santé, sa spécialité. Ou au rugby, son amour de jeunesse. Ou une vacherie. Parfois tout à la fois, avec un art maîtrisé de la mauvaise foi. Ça oui: on s’était bien trouvé avec Jean-Yves…
Souvent, les échanges commençaient par une question. «France-Irlande?» C’était alors le début d’un jeu de piste qui n’avait rien à voir avec la question. Il ne fallait céder ni sur la durée des échanges, ni sur la mauvaise foi, encore moins sur le bon mot. Un exemple? Le mail «Dieu existe donc?» qu’il nous envoya à Henri Tincq, spécialiste des questions religieuses au Monde puis à Slate et à moi-même, n’était qu’un prétexte à commenter avec malice la promotion express d’une connaissance commune. Mais on savait qu’il n’était que l’occasion de refaire, pour la 2.000e fois sans doute, le match «hussard noir» contre «myrrhe et encens», comme deux joueurs d’échecs peuvent pousser le bois en connaissant par cœur leur partition. Et l’issue du match. Égalité. Henri est mort le 29 mars. Jean-Yves a signé sa nécrologie.
Jean-Yves marchait lentement, mais il arrivait toujours un peu en avance à la conférence de rédaction hebdomadaire. Je crois qu’il n’en a jamais manqué une seule. Il aimait y retrouver ses anciens collègues du Monde, se frotter aux plus jeunes. Ou l’inverse. Il arrivait, à pas mesurés, dans la cour pavée de Slate, on aurait dit un vieux chat. Un vieux chat avec un imperméable et un cartable en cuir, d’où il tirait un livre, parfois une bouteille. Transmettre, poser des questions, arrondir les angles, panser les plaies d’ego mal placés, il avait aussi ce rôle-là à Slate. Précieux.
Un jour, nous marchions, forcément lentement, sur les bords de sa Loire. L’heure était aux rillons, à l’introspection. On avait parlé journalisme, comme toujours, de la clinique de La Borde, d’antipsychiatrie, et de rugby, forcément. On connaissait nos failles et nos erreurs, nos désaccords, l’amitié se mesurait par silences. Jean-Yves préférait poser les questions qu’y répondre. Par pudeur, ou par prudence. Il aimait tellement ça, les questions, qu’il finissait souvent ses articles en en posant une. Plus par prudence que par pudeur, ça lui laissait la possibilité de ne pas conclure ou de faire semblant de ne pas avoir la réponse. Alors souvent, on les enlevait. On aurait peut-être dû les conserver. Alors, docteur: Dieu existe donc?
Par: Slate.fr
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