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L’avenir politique au Mali : L’ESPRIT, LE CŒUR ET L’ÉNERGIE

L’inclusivité n’est pas une démarche étrangère à la démocratie malienne. Mais elle a singulièrement besoin d’être revitalisée

comité suivi accord paix mali rebelle mnla cmaDans une année, le Malien moyen se souviendra-t-il encore de la semaine passée comme étant l’une des séquences politiques les plus mouvementées depuis le début de la législature ? Il y a très peu de chances que cela survienne. Le même citoyen considérera-t-il cette semaine comme celle d’un tournant dans les relations président de la République – opposition et comme celle d’un établissement de nouveaux rapports de force à l’intérieur du parlement malien ? Nous en doutons fort. La double surchauffe de la semaine passée a seulement eu comme effet celui de rappeler que le monde politique possède sa propre logique d’évolution, très souvent en porte-à-faux avec l’humeur générale du pays. Conformément à cette logique, se développent dans l’univers politicien des mini-crises sporadiques et parfois des psychodrames dont la trame aussi bien que les retombées laissent complètement indifférent le citoyen ordinaire. Le tribut d’un tel fonctionnement en vase clos est bien connu : les acteurs politiques se sont, par le passé, fait surprendre à plusieurs reprises par les réactions du pays réel dont ils avaient mal jugé l’état d’esprit et mésestimé les impatiences.

Il est ainsi arrivé qu’une sincère volonté réformatrice des autorités ait été assimilée par le commun des Maliens à un sombre complot ourdi à des fins personnelles. Cela fut par exemple le cas lorsque vers la fin de son mandat, le président Konaré avait voulu lancer deux ultimes chantiers législatifs, celui de la réforme du Code de la famille et celui d’une révision constitutionnelle. Les deux projets n’avaient pas été amenés en catimini. Ils s’étaient même pliés à une démarche participative, destinée à cautionner le caractère inclusif de leur élaboration. Mais – et comme cela a été trop souvent le cas – le schéma suivi n’a en fait donné lieu qu’à la consultation formelle d’une élite administrative, politique et de la société civile. Il ne pouvait donc pas prétendre refléter le sentiment profond de l’opinion.

S’AUSCULTER ET SE RÉNOVER. A l’époque – nous étions dans la charnière 2000-2001 – les résistances et les procès d’intention s’étaient déchaînés avec une telle intensité que le chef de l’Etat, prenant acte de l’impopularité des réformes proposées et de la difficulté à faire admettre leur utilité, avait préféré abandonner ces chantiers périlleux pour se consacrer au challenge qui consistait à convertir la préparation de la CAN 2002 en un projet de développement. L’ambition avouée du président Konaré était de faire basculer de la réticence à l’adhésion une opinion sceptique à l’extrême. Aujourd’hui, il est possible de relire les évènements avec une certaine distance critique. Mais la conclusion finale reste la même : la Coupe d’Afrique des nations organisée par notre pays demeure dans la mémoire collective comme une réussite exceptionnelle, une vraie raison de fierté nationale et un moment rare dans l’expression d’un patriotisme positif. Car elle a représenté la rencontre réussie entre une vision politique, un défi sportif d’organisation et un vrai enthousiasme populaire.
Le dernier élément a joué un rôle non négligeable. Les petites mains s’étaient mobilisées pour donner réponse aux imprévus et réparer les couacs inévitables dans une entreprise de cette envergure. Les simples citoyens s’étaient dévoués pour donner un sens concret à la bien connue hospitalité malienne en entretenant une atmosphère conviviale autour des délégations sportives et en facilitant aussi bien l’accueil que le séjour des hôtes. Et l’accompagnement chaleureux des supporters avait transcendé une sélection nationale montée en moins de trois mois. Pourquoi nous attarder ainsi en détails sur ces trois épisodes du deuxième quinquennat du président Konaré ? Parce que ceux-ci nous paraissent illustratifs des impératifs que doit plus que jamais accepter notre classe politique en cette période très particulière de la vie de notre nation.
Le premier de ces impératifs devrait être le soin apporté à instaurer une vraie inclusivité dans l’examen des grandes questions nationales. Ici, il s’agit moins d’innover que de redonner du sens et de la consistance à une démarche largement pratiquée depuis 1991, mais qui a basculé dans une sorte de routine. Il faudrait pour respecter l’exactitude historique rappeler que les échanges réunissant autorités, acteurs politiques et société civile embryonnaire avaient été inaugurés par le président Moussa Traoré lors de ce qui avait été baptisé à l’époque « rencontres avec les forces vives de la nation ». Mais la tentative du chef de l’Etat de prendre le pouls du pays et d’enregistrer une diversité d’éclairages ne pouvait recueillir que des résultats limités dans le contexte du parti unique. En effet, les seules voix véritablement dissonantes à l’époque s’étaient fait entendre du côté de l’Union nationale des travailleurs du Mali.
Ce fut donc l’avènement de la démocratie qui mit à l’honneur la notion d’inclusivité. Les dirigeants de la Transition de 1991-1992 avait, comme les autorités d’autres pays africains de l’époque, adopté la Conférence Nationale comme mode d’organisation d’un « brain storming » réunissant les acteurs majeurs de l’après 26 Mars. Ils prirent toutefois la précaution (indispensable dans la conjoncture d’alors) de ne pas accorder à cette Conférence le privilège d’être souveraine comme l’avait été celle tenue précédemment au Bénin. L’événement fit donc uniquement fonction de consultation nationale. Ses conclusions furent ensuite exploitées par le Comité de transition pour le salut du peuple (organe législatif de la Transition) et mises en oeuvre par le gouvernement. La Conférence nationale ne fut cependant pas le seul espace où le changement s’est construit à travers la parole libérée. L’époque était propice à la réévaluation quasi générale. Les débats nationaux, les journées nationales et les états généraux se sont succédé à une cadence soutenue. Presque tous les domaines et presque toutes les corporations voulaient en effet s’ausculter, se rénover et se dégager un avenir.

UNE EFFICACITÉ MOINDRE. Le premier exercice politique inclusif d’envergure pratiqué par la III ème République s’est situé en août 1994 à travers l’organisation des Concertations régionales. Les résultats de ces dernières furent analysés lors d’une synthèse nationale opérée en septembre de la même année sous la présidence du Premier ministre, Ibrahim Boubacar Keïta. La nécessité de l’initiative ne se discutait pas à l’époque. Le Mali cheminait en effet au milieu des épreuves. Deux ans après la prise de fonction du président Konaré, le pays enregistrait tout à la fois une reprise des attaques dans son Septentrion, une forte agitation scolaire, un front social régulièrement en ébullition et des rapports extrêmement tendus entre l’opposition et la majorité présidentielle. Il fallait donner la possibilité à des voix autres que celles politiques de proposer leur vision sur les périls que traversait le pays. Ce fut en s’appuyant sur les conclusions de ces Concertations qui dénonçaient notamment l’effritement de l’autorité de l’Etat que l’Exécutif se montra plus ferme dans la restauration de l’ordre à l’école et plus constant dans l’application du principe de « la négociation en position de force » à l’égard de ceux qui avaient repris les armes au Nord du pays.
Ainsi qu’on le constate, la tradition des échanges « multi-acteurs », en tant qu’instrument d’échanges et de catharsis, s’est instaurée dans des périodes exceptionnelles de l’histoire du Mali démocratique. Elle s’est perpétuée jusqu’à nos jours. Sans enregistrer de vraies remises en cause, mais en démontrant une efficacité moindre par rapport aux expériences initiales. C’est cette déperdition de qualité qui en 2000-2001 a fait délivrer par ces concertations une photographie inexacte sur l’état de l’opinion à l’autorité de décision. Actuellement, la question à se poser inévitablement est de savoir si l’inclusivité a su se renouveler, si elle s’est adaptée à l’évolution des problèmes qu’elle examine et si en se ritualisant à l’excès, elle n’a pas perdu de sa force d’analyse et de proposition.
Un premier diagnostic est déjà là. Tout récemment, dans le cadre des négociations d’Alger sur l’Accord pour la paix et la réconciliation, les espaces de consultation ouverts par le gouvernement pour écouter les remarques de l’opposition et de la société civile ont fait entendre des positions alternatives intéressantes, mais qui presque toutes restreignaient la marge de concessions envisageables par l’Exécutif. Pourtant ces remarques gardent toute leur utilité car elles constituent, à leur manière, un baromètre très précis des attentes et des préventions d’une partie de l’opinion. Autrement dit, de facteurs à garder à l’esprit dans la mise en œuvre de l’Accord.

À HAUTEUR D’HOMME. Le second impératif à faire accepter par le politique est la prise en compte d’une vérité en apparence évidente, mais qui dans les faits demeure très diversement interprétée. La rationalité et la cohérence d’une grande idée ne s’imposent aux populations que si s’établit une réelle proximité entre les actions du projet et les intérêts les plus immédiats de ces populations. L’acceptabilité par le citoyen ne se confère pas, elle se construit par des preuves données au jour le jour et sur une durée raisonnable. Le projet de développement CAN 2002 n’a convaincu de sa faisabilité que lorsque, peu à peu, les habitants des villes d’accueil en ont ressenti les effets dans leur quotidien. Ce fut à ce moment qu’une majorité de nos compatriotes ont cessé de percevoir la CAN comme le caprice pharaonique d’un Président sortant. Répétons-le une fois de plus, les Maliens ont acquis tout au long de 55 ans d’indépendance une expérience suffisante des épreuves pour ne s’attendre ni à des améliorations providentielles, ni à des changements miraculeux. Mais la plupart d’entre eux aimeraient se voir donner par les décideurs des armes pour un futur meilleur et se faire indiquer un chemin pour atteindre celui-ci.
Telles sont en fait les attentes placées dans l’Accord pour la paix et la réconciliation, telles sont les dividendes que les Maliens escomptent des compromis acceptés. Des attentes et des dividendes qui s’incarneraient dans une amélioration de la situation sécuritaire, une relance de l’économie et un accès égalitaire aux appuis accordés à la reconstruction du pays.
Loin de nous l’idée de mettre absolument en parallèle ce qui a été conçu il y a une quinzaine d’années et les priorités d’aujourd’hui. Les enjeux et les contextes sont absolument différents. Les deux défis présentent cependant des points communs. Tout comme l’avait fait le challenge de 2002, l’actuel grand chantier de la paix, de la réconciliation et de la reconstruction nécessite que les Maliens en admettent sans restriction la nécessité pour accepter ensuite d’y investir le meilleur de leur esprit, de leur coeur et de leur énergie. A notre avis, ce préalable peut se plaider sans trop de difficulté auprès de nos partenaires. Ces derniers, en prêtant l’oreille à la rumeur du pays profond, admettront sans peine qu’il est indispensable de mettre dans un premier temps l’accent sur les initiatives qui amèneraient dans un délai relativement bref des améliorations à hauteur d’homme et immédiatement perceptibles. Ainsi que le font par exemple les projets à impact rapide mis en route par la MINUSMA.
Une chose est certaine : le meilleur plaidoyer en faveur l’Accord d’Alger se construira non pas sur une exégèse répétitive de son contenu, mais sur la valorisation intelligente des améliorations que sa mise en œuvre amène aux populations semaine après semaine, mois après mois. Ce qui peut se faire aisément à travers une communication idoine.
Les préoccupations majeures qui obnubilent aujourd’hui les Maliens sont suffisamment connues pour qu’il ne soit besoin de les rappeler, ni de les commenter. Faut-il le souligner, elles sont très éloignées de ce qui a fait l’actualité politique de la semaine passée, c’est-à-dire les derniers feux jetés par la polémique sur les propos présidentiels et les péripéties qui ont accompagné le renouvellement du bureau de l’Assemblée nationale. Le politique trouvera certainement dans un proche avenir des opportunités pour rattraper le décalage d’avec l’opinion. Pourvu seulement qu’il ne les laisse pas passer.

G. DRABO

source : Essor

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