Ces derniers jours se sont tenus une avalanche de sommets : G7 en Bavière, BRICS à Pékin, Commonwealth à Kigali et le plus consistant d’entre tous, celui de l’OTAN s’ouvre ce 28 juin à Madrid. Le seul mantra commun à ces réunions de chefs d’Etat pourrait être « choisis ton camp camarade ». De façon spectaculaire, le Togo et le Gabon, piliers de la Françafrique, ont choisi d’intégrer le Commonwealth
Une chronique de Leslie Varenne
Dans ce partage du monde qui se profile entre les Etats-Unis et leurs alliés d’un côté, la Russie, la Chine de l’autre, les « non-alignés » sont particulièrement courtisés. L’Inde, le Sénégal et l’Indonésie qui ont refusé d’imposer des sanctions à la Russie ont ainsi été invités en Allemagne. Depuis les votes à l’Assemblée générale des Nations Unies sur les sanctions à l’encontre de Moscou, les Etats africains qui se sont abstenus sont aussi l’objet d’une entreprise de séduction.
La guerre en Ukraine a ainsi accéléré et renforcé le mouvement de tectonique des plaques déjà en cours depuis quelques années sur le Continent. Grandes et moyennes puissances poussent leurs pions et tentent de dépecer les restes de ce qui fût nommé le « pré-carré français ». L’arrivée du Togo et du Gabon dans le Commonwealth est un épisode supplémentaire de ces luttes d’influences, qui se jouent aussi entre alliés.
Le Togo, le Gabon et le Commonwealth
Ainsi donc le Togo et le Gabon, deux désormais anciens bastions de la zone d’influence française ont adhéré au Commonwealth. Mais qu’est-ce qui a poussé ces deux Etats à faire allégeance à la couronne britannique, la reine Elisabeth II étant toujours la chef de cette organisation ? Qui ou quoi les a encouragés à rejoindre une alliance « néocoloniale », issue de l’empire britannique, à l’heure où le panafricanisme fait rage ? Il s’écrit ici ou là que les raisons en seraient économiques. Il n’en est rien. Ce sont surtout et avant tout des décisions politiques qui entérinent le divorce avec Paris, même si les deux pays restent membres de la francophonie. D’ailleurs les deux présidents ne s’en cachent pas. Ali Bongo a déclaré au début de l’année 2022, que son adhésion représentait un « tournant géopolitique majeur par la nécessité d’appartenir à un autre espace multiculturel dans un monde globalisé ». Faure Gnassingbé a parlé, lui, d’un renouveau « historico-politique », rien de moins. Ces deux pays rejoignent donc le monde anglo-saxon, ils rallient une alliance censée défendre, comme le prétendent ses textes, une langue, l’anglais, les « valeurs » occidentales : la démocratie, les droits de l’Homme, l’état de droit.
Que ces deux pays n’aient pas connu un seul scrutin, libre, crédible, transparent, depuis les indépendances ; que les deux familles Bongo et Eyadema règnent respectivement depuis 54 et 55 ans n’a pas ému l’assemblée ni bloqué leurs entrées dans la grande famille des démocrates. (Il n’est pas certain qu’à l’avenir, le Commonwealth garantira les fauteuils de ces chefs d’Etat avec la même constance que l’a fait Paris pendant des décennies.)
Que ce sommet se tienne à Kigali au moment où Londres est accusé de sous-traiter ses migrants au Rwanda, n’a pas posé de problème de droits de l’Homme.
Le Rwanda sur le banc des accusés
Que ce sommet se tienne à Kigali, au moment où le Rwanda est accusé par le groupe d’experts des Nations Unies, d’attaquer et d’endeuiller une nouvelle fois la République Démocratique du Congo par l’intermédiaire du groupe armé M 23, n’a pas non plus fait ciller les participants.
Le prince Charles présent aux festivités s’est néanmoins sacrifié à la traditionnelle minute de repentance en de telles occasions. « Je ne peux décrire la profondeur de ma tristesse personnelle face à la souffrance de tant de personnes, alors que je continue à approfondir ma compréhension des effets durables de l’esclavage. » S’apitoyer sur les horreurs d’antan en restant aveugle sur celles du moment est un exercice d’un cynisme assez rare.
Mais qu’importe puisque l’enjeu est ailleurs. Le déclassement français conjugué à la politique africaine illisible de Paris suscite des appétits, il s’agit dès lors de s’implanter dans son ancienne zone d’influence. A la manœuvre du lobbying intense mené depuis quelques années déjà, le Tony Blair Institute for Global Change de plus en plus présent en Afrique francophone. Pour rappel, l’ancien président malien, Bah Ndaw, avait lui aussi fait appel à ses services pour modifier la constitution de son pays. Mais l’affaire a tourné court après « le coup dans le coup » de mai 2021. Autre artisan de ce ralliement à l’anglosphère, Paul Kagamé, un proche d’Ali Bongo et de Faure Gnassingbé.
Un président rwandais assez peu reconnaissant puisque depuis l’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron, ce dernier n’a cessé de se rapprocher de cet ancien ennemi de la France et de lui faire des cadeaux. Il lui a offert sur un plateau la francophonie, en faisant élire à la tête de cette institution l’ancienne ministre des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, en octobre 2018. (Depuis cette date d’ailleurs, l’OIF est atone, jamais elle n’a été aussi absente de tous les grands sujets.) Autre signe de l’idylle entre Paris et Kigali, un projet de coopération militaire, qui devrait être étudié dès le mois de juillet. Après deux décennies de tensions extrêmes entre les deux Etats, signer un partenariat sécuritaire avec ce pays au moment où il attaque la RDC dénote un sens du timing tout à fait singulier de la part de la diplomatie française.
Autre sommet, autre ambiance…
A l’heure où se tenait le sommet du Commonwealth, qui regroupe désormais 26 Etats et quelques deux milliards de personnes avait lieu celui des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Le président indien, Narendra Modi dont le pays appartient aux deux entités, avait fait le choix d’être présent à Pékin et de se faire représenter à Kigali, montrant ainsi ses priorités. Cette alliance qui s’était assoupie depuis l’arrivée de Jaïr Bolsonaro au Brésil, a été brusquement redynamisée par la guerre en Ukraine à l’initiative de la Chine et de la Russie. Chaque camp rassemblant ses forces, même si officiellement ce format ne se présente pas comme un bloc anti-occidental.
Les rangs de l’Afrique au sein des BRICS devraient s’étoffer puisque Pretoria devrait être rejointe par le Kenya et le Nigéria et peut-être d’autres dans un avenir pas si lointain. L’homme politique ivoirien, Ahoua Don Mello, a été désigné par l’organisation pour la représenter en Afrique de l’Ouest et centrale. Le Mali et la Centrafrique, nouveaux alliés de la Russie, seront-ils bientôt admis comme observateurs au sein de l’organisation ? Hormis l’arrivée en fanfare de nouveaux membres, ceux précitées plus l’Argentine et l’Indonésie, ce sommet n’a pas donné lieu à de grandes annonces, mais à la réaffirmation des principes : la mise en place d’un monde multipolaire basé sur le droit international et la charte de l’ONU, les partenariats gagnant-gagnant, le respect de la souveraineté de chaque Etat. Avec les nouveaux entrants, les BRICS rassembleront la moitié de la population et du PIB mondial. Leur banque, New Development Bank, conçue comme une alternative au FMI et à la Banque Mondiale devrait donner quelques sueurs froides au dollar.
La carotte et le baton
Ceci n’a bien entendu pas échappé aux dirigeants occidentaux réunis dans les montagnes bavaroises, souriant allégrement en cette période de guerre en Europe et affichant leurs tenues décontractées. Pour rappel, lors de ces sommets, Jacques Chirac a toujours gardé la cravate refusant obstinément de se prêter à cette mise en scène infantile. Pour concurrencer le programme chinois de la route de la soie (BRI) et pour tenter de ramener dans leur camp quelques récalcitrants non-alignés, le G7 a décrété la relance de l’initiative Build Back Better World, qui doit lever 600 milliards de dollars pour des investissements à destination des pays à revenus faible ou intermédiaire. Comme toujours avec ces effets d’annonce, rien n’est détaillé. Personne ne sait donc où, quand, comment, ces fonds seront dispensés. Il en faudra sûrement plus pour convaincre.
En revanche, pour freiner la poussée de la Russie en Afrique (après le Mali et la Centrafrique, la RDC vient de relancer sa coopération militaire avec Moscou) point de monnaie sonnante et trébuchante. Les Etats-Unis ont fait le choix de la coercition. La chambre des représentants a déposé un projet de loi, le Countering Malign Russian Act. Ce projet qui ne manquera pas d’être voté par le Sénat demande au Secrétaire d’Etat américain d’élaborer une stratégie pour « contrer l’influence et les activités malveillantes du Kremlin » sur le Continent, avec à la clé, l’habituelle boîte à outils des sanctions.
Enfin, il faut attendre la fin du sommet de l’OTAN à Madrid pour savoir à quoi l’Afrique doit s’attendre dans ce basculement des plaques tectoniques. Se dirige-t-on vers une OTAN plus active et plus présente sur le Continent ? Ou carrément une OTAN africaine ? A suivre…
Source: mondafrique