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L’Accord d’Alger, la Commission de bons Offices, le Programme d’urgence présidentiel, l’Accord politique de gouvernance, le Cadre politique pour la gestion de la crise du Centre, le Triumvirat pour le dialogue politique dit inclusif, le Haut représentant pour le Centre etc. : IBK ne s’emmêle-t-il pas les pinceaux ?

Confortablement élu en 2013 dans un contexte marqué par l’effondrement de l’Etat avec 77 des suffrages exprimés et réélu en 2018, le Président Ibrahim Boubacar Keita reste un capitaine dont le navire est toujours porté au gré du vent. Pourtant, les termes de son mandat étaient des plus précis (recouvrer l’intégrité territoriale, repenser l’outil de défense du pays, restaurer l’autorité de l’Etat, combattre la corruption, refonder la gouvernance, restaurer la Fierté nationale etc.)

 

Alors, pourquoi l’homme n’arrive toujours pas à régler ces grands problèmes qui accablent le pays depuis 2012 et ce, après six (6) années d’exercice du pouvoir ?

Dire que le Président IBK est en panne d’intelligence, qu’il ne cerne pas tous les méandres de la crise ou encore qu’il ne comprend pas les grands enjeux du moment, pourrait s’avérer aberrant. En revanche, se demander s’il dispose de vision politique cohérente ou s’il est prêt au sacrifice pour le Mali, serait déjà une excellente question. En effet, depuis son arrivée aux affaires, que d’instruments (le plus souvent éphémères) élaborés au rythme de galops d’essai sans jamais trouver de solutions définitives.

Ainsi, les analyses qui suivront tenteront d’appréhender les causes sous-jacentes de l’échec (si on peut l’appeler ainsi) d’IBK et surtout la problématique à laquelle renvoie cet échec : le profil type de l’homme politique malien post parti unique.

Il nous plaît de rappeler que dans l’histoire de l’humanité, seuls deux (2) types d’homme ont existé et existent encore dans la conduite des affaires publiques à savoir : les hommes engagés pour changer le cours des évènements et ceux qui s’engagent pour tout simplement accompagner le cours de l’histoire. L’intérêt des présentes analyses serait donc de parvenir à situer déjà, l’homme politique malien moderne de manière générale par rapport aux deux types d’homme susmentionnés et ce, à travers le président IBK.

Que de mécanismes ad hoc

A l’analyse de la gouvernance du pays sous IBK, nous constatons une navigation à vue, du coup après coup. En effet, de sa prise de fonctions à nos jours, aucune lisibilité dans les actions des différents gouvernements, très peu de cohérence. Quasiment toutes les politiques, toutes les initiatives prises ne sont qu’ad hoc pour des questions aussi structurelles comme celles que nous connaissons actuellement. Les problèmes se posent d’abord et ensuite les solutions sont envisagées alors que gouverner, c’est pourtant anticiper.

L’Accord d’Alger lui a été imposé sans être une solution à la crise (parce qu’il n’avait pas mieux à proposer), la Commission de bons Offices aura été de courte durée, le Programme d’urgence présidentiel a été élaboré en cours de mandat (l’orthodoxie voudrait quand même que l’on vienne au pouvoir avec un programme et non l’inverse). Aussi, comme si tout cela ne suffisait pas, sous une pression extraordinaire, c’est l’Accord politique de gouvernance qu’il sort comme une recette magique pour calmer les appétits de politiciens, au lieu d’une réponse structurelle à la tension sociale. Egalement, comme réponse à l’inédite crise des régions du centre, c’est le Cadre politique pour la gestion de la crise du centre et parallèlement à ça, un Haut représentant est nommé avec les mêmes objectifs sans préjudice du dispositif gouvernemental incluant déjà les différents services dédiés à la réconciliation et à la cohésion sociale. Nous n’avons même pas parlé du Programme intégré de sécurisation des régions du centre (PSRIC).

Trop d’instruments pour dire la même chose et produire les mêmes effets.

Puisqu’il ne semble pas avoir pour le Mali, de stratégie globale prédéfinie et bien pensée, une autre recette qui semble d’ailleurs mort-née, est venue grossir le lot des mécanismes ad hoc (le Triumvirat).

Le potentiel de l’homme lui permettait pourtant d’être à hauteur de mission

Rappelons qu’Ibrahim Boubacar Keita, c’est d’abord un homme avec au moins trente (30) ans de carrière politique derrière. C’est aussi des passages dans les grandes fonctions de l’Etat (conseiller diplomatique, ambassadeur, député, président de l’Assemblée nationale, ministre et même premier ministre). En outre, il fut directeur de campagne du président Alpha Oumar Konaré, il fut également président de la première force politique d’antan (l’ADEMA PASJ en 1992), fondateur de l’un des plus grands partis politiques du Mali. Il se réclame même du socialisme, ce qui suppose qu’il a subi une formation idéologique. Toute cette somme d’expérience n’aurait suffi qu’à porter l’homme à la présidence de la République, pas plus. Elle ne semble pas lui offrir les atouts nécessaires à dessiner les traits d’un homme d’Etat visionnaire et prêt au sacrifice.

Qu’est-ce qui n’a donc pas marché ? (les enseignements de cet échec)

Le système politique né de l’après 1991 et dont le président Ibrahim Boubacar Keita est un produit, doit connaître à présent, sa première véritable évaluation. Cette évaluation nous permettra de savoir si nous devons continuer avec ce système ou si nous devons tout simplement le remplacer. Elle doit être la plus objective possible afin que notre intelligence collective trouve une base pour l’édification d’un nouveau contrat social qui sera exécuté si besoin en était, par une nouvelle génération d’hommes politiques. Nous l’avons dit en sus, l’objectif des présentes analyses est de prendre la gouvernance du président IBK pour échantillon, comme cas illustratif dans l’étude du système qui nous tient depuis près de trente (30) ans maintenant.

En effet, le système auquel nous faisons allusion a connu deux grands moments : la période dite de lutte et celle de l’exercice du pouvoir.

La première période a été caractérisée par la défense des idéaux, des valeurs démocratiques au sens de la gauche populaire et révolutionnaire. Le régime d’alors était considéré sinon étiqueté comme dictatorial, quasi totalitaire et clanique. Il fallait donc une nouvelle république beaucoup plus égalitaire à travers l’ouverture démocratique. Ainsi, toute une génération d’élites livrait un combat politique au parti unique (l’UDPM et ses tentacules). Finalement, la consécration intervint en mars 1991 avec la chute du général Moussa Traoré. Après un an de transition politique, des élections (qualifiées de premières élections libres et démocratiques) présidentielles et générales eurent lieu. Une nouvelle constitution fut élaborée en prônant essentiellement le multipartisme intégral (caractéristique d’une démocratie pluraliste) et la limitation du mandat présidentiel.

 

La deuxième période quant à elle, va de 1992 à nos jours. Elle se caractérise par la pratique du pouvoir par ceux qu’on appelle intelligemment, les gens du mouvement démocratique. En opinant sur le système de gouvernance qui caractérise cette période, nous dirons d’abord que des acquis importants ont été enregistrés. Nous pouvons citer la promotion de la liberté de presse, des libertés individuelles, de la liberté d’opinion. Pour faire court, les libertés de manière générale ont été significativement renforcées (bien que mal régulées). Outre ces acquis, beaucoup d’autres choses non reluisantes sont à porter au passif de ce système.

D’abord, il a précipité le bouleversement de l’ordre des valeurs morales, intellectuelles et sociétales. Les premiers signes annonciateurs de ce bouleversement remontent à l’année 1992. En effet, les campagnes électorales pour la présidentielle et les élections législatives et communales de 1992, se sont jouées à coup de billets de banque, de gadgets en tout genre, de clientélisme etc. l’achat des consciences venait de s’ériger en norme dans la conquête du pouvoir au Mali. Des milliards mobilisés avec l’aide ‘’d’amis’’ de l’extérieur ont été utilisés pour acheter les consciences, créer et entretenir des cercles d’influences en lieu et place des projets de société, des formations à la citoyenneté, des débats constructifs. Cette première opération électorale de l’ère démocratique a fait de l’argent, le moyen principal sur lequel se fonde désormais l’action politique. L’Etat est ainsi devenu un ascenseur social, les partis politiques vivent désormais au crochet de l’Etat. La fourberie, les faux fuyants, les manipulations, tout est bon pour arriver au pouvoir. La crise de confiance s’est ainsi installée entre l’élite et sa base entrainant une chute drastique et continuelle des taux de participations aux échéances électorales.

Le militantisme s’est substitué à la courtisanerie. Le système a consacré la dépendance des partis politiques à l’appareil d’Etat (leur santé dépend du nombre de postes ministériels qu’occupent leurs cadres) tuant ainsi l’esprit militant qui devrait amener chaque membre d’un parti politique à contribuer financièrement et intellectuellement au portage de l’action politique du parti. L’homme politique rompt désormais d’avec les convictions et considère le pouvoir comme un moyen d’entretenir un train de vie à travers des privilèges. Le sacrifice pour la communauté nationale qui l’a honoré en l’élevant au rang de dirigeant incarnant la dignité collective, devient désormais le propre des sots dit-on. Quasiment tous, sont devenus accompagnateurs sans aucune volonté d’entrer dans l’histoire.

Ensuite, faut-il dire que le système a progressivement détruit le rôle de l’Etat central unitaire qui est d’être le ciment de l’unité nationale en restant neutre et par rapport à la famille, et par rapport aux colorations politiques ou ethniques. L’Etat est tombé dans le néo-patrimonialisme débridé.

IBK est donc le produit d’un système qui a échoué, son échec est évidemment l’échec de ce système

Face à cet échec évident, il serait bien raisonnable que de proposer une reconfiguration de la classe politique. Concrètement, il s’agit de susciter l’avènement d’une nouvelle génération d’hommes politiques plus enclins au patriotisme et acquis aux causes nobles. Cette nouvelle génération pourrait sur la base des acquis incontestables des gens du mouvement démocratique, lancer le processus de la véritable refondation de notre Etat à travers un nouveau contrat social. En attendant donc cela, tous (hommes de medias, chercheurs, sociologues, anthropologues, politiques, fonctionnaires, leaders d’opinions, traditionalistes etc.), nous devons travailler à tenir le peu qui reste de notre pays tout en sachant que le problème du Mali, n’est nullement le problème d’un homme, mais d’un système.

Vivement donc la prochaine génération de patriotes !

Mamadou Lamine SIBY,

Analyste et homme politique

Source : Le Pays

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