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L’accord d’Alger 2015 : Ce qu’il faut en retenir

L’accord pour la paix et la réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger, paraphé par les représentants du Gouvernement et de la plateforme des groupes armés (en attendant, espérons le, celui de la coordination des groupes armés) est le fruit des discussions les plus profondes, les plus participatives et les plus médiatisées de l’histoire de notre pays en ce qui concerne le conflit au Nord. Il constitue en cela une avancée majeure dont les historiens pourront mesurer, plus tard, avec exactitude la place dans l’histoire du Mali. De même qu’ils pourront aussi jauger sa valeur comparative par rapport aux nombreux pactes, traités, accords, arrangements sécuritaires…conclus au chevet de la situation vécue par le septentrion malien depuis plus de cinquante ans. Il nous apparaît important, à ce stade du processus de dialogue en vue d’une authentique réconciliation des maliens, de porter notre attention sur la vulgarisation du document pour faciliter sa bonne compréhension et contribuer à le faire accepter et, pourquoi pas, soutenir par une majorité de plus en plus importante de nos compatriotes. C’est le fondement de la présente contribution portant sur la présentation de l’accord et de ses annexes. Elle suit l’organisation du texte assortie d’explication facilitant la compréhension.

moussa mara ancien premier ministre pm parti yelema

e document de l’accord comporte un préambule,  7 titres majeurs qui se repartissent les 20 chapitres et les 67 articles formant le corps de l’accord auxquels 3 annexes sont jointes détaillant certains aspects importants du processus (Période intérimaire, défense et sécurité, Développement) et qui font expressément et officiellement corps avec le texte.

 

L’esprit de l’accord traduit dans le préambule  et le premier titre

Le préambule est un rappel solennel des parties signataires (Gouvernement d’une part et groupes armés de l’autre repartis en deux sous groupes) autour de leur volonté commune à sortir durablement de la crise en traitant de manière profonde ses racines. Ce rappel fait écho aux principes et engagements pris par les signataires à unir leur force pour faire face aux menaces contre le pays (chapitre 1) et à leur accord pour résoudre la crise sur fond de décentralisation approfondie de l’Etat (chapitre 2). C’est à ce niveau qu’est rappelée la nécessité de préserver la diversité de la nation malienne, de lutter contre la corruption, les trafics et le terrorisme, de discuter entre maliens autour du nom AZAWAD à l’occasion d’une conférence d’entente nationale ou encore de revoir toutes dispositions constitutionnelles, législatives et réglementaires qui permettraient de faciliter le vivre ensemble et la paix. L’implication de la communauté internationale pour accompagner les actions de développement à envisager, dans le cadre de zone de développement à formaliser au Nord, est prévue parmi les principes et fondements de l’accord de même que l’ouverture d’une période intérimaire de mise en œuvre de l’accord dès sa signature.

 

Gouvernance fondée sur la proximité avec le malien  et tenant compte de ses  spécificités

Le second titre de l’accord traite des questions politiques et institutionnelles considérées comme pouvant apporter les solutions durables à la crise malienne. Il y est abordé le cadre institutionnel et la réorganisation du territoire par le rappel de la libre administration comme principe de gestion des collectivités qui verra la région bénéficier de transfert de compétence de l’Etat central, le Président de Région élu directement devenir chef de l’exécutif régional.

Cette libre administration se traduira aussi par une accélération du rythme de travail des collectivités qui bénéficieront du caractère exécutoire de leurs décisions en attendant l’examen par la tutelle. Il est prévu la mise en place d’une seconde chambre du parlement pour accroitre la représentativité nationale de cette instance et l’accroissement du nombre de députés du Nord. L’Etat doit accélérer le retour de l’administration au Nord. L’exercice de la tutelle sera mieux encadré et surtout les représentants de l’Etat devront situer leurs activités dans un cadre de collaboration renouvelée avec les collectivités. La question du financement, véritable clé de la réussite du processus de responsabilisation des collectivités, est abordée dans cette partie avec une plus grande marge de manœuvre qui sera accordée aux collectivités pour créer des ressources adaptées et spécifiques en accord avec l’Etat. L’Etat fera un effort de transfert des ressources (30% des ressources budgétaires) conformément à ses engagements antérieurs et celà dans un horizon à définir. Une partie de ce transfert sera sans doute effective avec le transfert des services déconcentrés qui relèveront des domaines concédés aux collectivités (crédits budgétaires liés aux rémunérations des agents, au fonctionnement et à l’investissement de ces services…). Il est enfin traité la question des revenus miniers et pétroliers qui devront aussi revenir en partie aux collectivités sur les sols desquels ces ressources sont exploitées.

Un dispositif de défense et  de sécurité inclusif, présent partout sur le territoire et en bonne intelligence avec  les forces amies de la  communauté internationale

Les aspects de défense et de sécurité forment la colonne vertébrale de l’accord et conditionnent pour une large part son application. C’est ce qui explique les quatre chapitres qui leur sont consacrés ainsi que l’annexe 2 détaillant les prescriptions du corps de l’accord. Il est rappelé fermement l’unité de l’armée et son caractère représentatif de la diversité de la nation. Il est aussi indiqué au préalable la nécessité d’un redéploiement progressif de l’armée reformée sur l’ensemble du nord du Mali. Le chapitre 8 traite du cantonnement des ex combattants, de l’intégration de certains d’entre eux dans les corps constitués de l’Etat et du processus de désarmement – démobilisation et réinsertion (DDR).

La MINUSMA aidera l’Etat par la construction des sites de cantonnement. Le processus d’intégration de certains ex combattants et celui du DDR seront menés de manière concomitante avec l’Etat à la manœuvre à travers des commissions constituées à cet effet. Des patrouilles mixtes sont prévues pendant ce processus qui sera délicat à conduire. Le redéploiement des forces armées et de sécurité se fera de manière progressive avec l’implication des organes de soutien prévus (MINUSMA, Commission technique de sécurité…) et devra concerner des effectifs tenant compte d’une présence significative des ressortissants du nord. La réorganisation des forces armées et de sécurité, déjà entamée par l’Etat, est traitée par l’accord qui insiste sur le respect de règles internationales en la matière, préconise la création de police territoriale, l’association des citoyens à travers des comités locaux de sécurité et la réforme du secteur de la sécurité par un conseil national à réorganiser. Ce titre rappelle enfin la nécessité et l’engagement de tous à lutter contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière, le trafic de drogue et la mise en place éventuelle d’unités spéciales pour lutter contre ces fléaux dans le cadre de mécanismes internationaux ou non. Il revient aux parties signataires, par un engagement patriotique sans faille, de s’employer à appliquer de bonne foi les prescriptions majeures contenues dans ce titre et dans l’annexe 2 de l’accord pour restaurer durablement la sécurité au Nord et dans le pays.

 Le développement socio  économique et culturel  comme seule garantie de  non récurrence de la crise

La sécurité conditionne l’application des mesures de paix et de réconciliation et le développement garantit la sécurité à moyen et long termes. L’accord de paix aborde la question du développement en insistant sur la nécessité de donner plus de marges de manœuvre aux collectivités dans la planification et la mise en œuvre de leur stratégie en la matière. Il préconise la création d’une zone de développement au Nord pour cristalliser les efforts en la matière et amener les collectivités à travailler ensemble sur l’espace septentrional de notre pays à chaque occasion jugée nécessaire. Un groupe d’institution aidera à mettre en place une stratégie de développement sur quinze ans et fondée sur les projets et programmes phares (infrastructure de transport, énergie, soutien à l’activité économique, éducation, élevage, accès à l’eau, santé, recherche pétrolière…) contenus dans l’annexe 3 de l’accord. Celle-ci sera le support d’une conférence internationale organisée pour obtenir le financement extérieur nécessaire à sa mise en œuvre. Au préalable, le Gouvernement aura conçu un plan d’urgence à exécuter sur une année pour déployer les services de base au Nord, engager des actions en termes de sécurité alimentaire, développement rural, accès à l’eau, emplois des jeunes, accès à l’énergie, artisanat, tourisme…pour améliorer le sort de nos compatriotes du Nord. Les mesures d’adaptation des programmes scolaires aux spécificités socio culturelles, la promotion des langues locales, au soutien à la culture seront contenues parmi ces actions avec une implication des agences de développement régional à mettre en place dans le cadre de contrat plan Etat – Région.

 

Une sincère réconciliation  dans la justice et le respect des règles humanitaires au bénéfice des plus faibles

Le recul observé en termes de respect des droits humains, la déstructuration sociale opérée dans notre pays, les déplacements sans précédent des populations, les destructions de biens et les pertes en vies humaines ont été tellement significatives que le Mali doit  engager un vrai processus de réconciliation nationale dans le cadre du droit à la justice et à la réparation des victimes mais aussi en agissant dans le cadre du droit humanitaire pour que les plus faibles d’entre nous bénéficient de toute l’assistance nécessaire à un nouveau départ. Le titre 5 de l’accord aborde ces questions à travers les chapitres 14 et 15. Les partis s’engagent à une vraie réconciliation fondée sur certains éléments clés : élaboration de la charte nationale, mise en place de la commission vérité, justice, réconciliation, mise en place d’une commission de lutte contre la corruption et l’impunité, enquête internationale sur les violations des droits de l’homme pendant la crise, pas d’immunité et donc d’impunité. Il est préconisé la réforme profonde de la justice à travers le renforcement des ressources humaines, la valorisation des autorités traditionnelles, la formalisation du rôle des cadis. Les questions humanitaires sont évoquées pour créer les conditions pour un retour des populations refugiées et déplacées ainsi que leur intégration communautaire et leur réinsertion économique. Chaque partie, mais également les organisations non gouvernementales, ainsi que les agences internationales sont invitées à jouer leur rôle dans ce segment dans la bonne foi, la transparence avec le seul souci de secourir ceux qui sont dans le besoin.

 

Gestion participative de  l’accord avec une bonne présence de tous les amis du Mali

L’accord traite des quatre principaux aspects de la crise comme cela est résumé dans les chapitres précédents. La gestion du processus relève d’abord de la responsabilité des maliens, appuyée fortement par l’équipe de la médiation et la communauté internationale dans son intégralité. Cela fait l’objet de l’avant dernier titre à travers cinq chapitres. Il est souhaité un engagement sincère de toutes les parties pour une bonne application de l’accord.

A l’intérieur du pays, il apparaît nécessaire, comme cela est stipulé dans l’article 51, d’impliquer de manière significative les partis politiques, la société civile, les femmes, les jeunes…dans l’accompagnement du processus pour faire du dossier une préoccupation nationale. La médiation, sous l’égide de l’Algérie, reste impliquée dans l’écoute des parties, les conseils, le plaidoyer auprès de la communauté internationale en faveur du soutien au processus, elle sera également le dernier recours en cas de difficultés dans l’application. Cette implication est une garantie supplémentaire de l’application de l’accord.

La communauté internationale, dans ses différentes composantes (CEDEAO, UA, UE, OCI, BM, ONU…) est aussi impliquée pour soutenir l’entente notamment dans ses parties essentielles (défense et sécurité, politique et institutionnel et surtout développement). Il est demandé à chacun de jouer un rôle en tant qu’acteur ou mandaté par sa hiérarchie (agences des nations unies notamment). Le comité de suivi de l’accord (CSA), organe majeur du dispositif de suivi, a été institué par les articles 57 à 62 de l’accord pour le suivi de sa mise en œuvre, l’interprétation de son contenu, l’élaboration du chronogramme d’exécution des tâches à accomplir, la conciliation des positions le cas échéant. Il encouragera et accompagnera le gouvernement à aller vite sur certains segments comme le retour des services, la modification des textes, la mise en œuvre des actions d’urgence…

Le comité de suivi sera composé des parties, de la médiation (sous la direction de l’Algérie secondée par la Mauritanie, le BF, le Niger et le Tchad) et des membres permanents du conseil de sécurité des nations unies ; il peut faire appel à tout autre acteur dont la participation est souhaitable. Le CSA  est assisté par la MINUSMA, l’UA, l’OCI, l’UE. Quatre sous commissions sont créées pour l’assister dans sa mission : institutionnel et politique, défense et sécurité, développement et culture, réconciliation – justice – humanitaire. L’accord innove, dans ce chapitre du suivi, en prévoyant la nomination d’un observateur indépendant par le CSA pour lui faire des rapports tous les quatre mois, rapports qui seront publiés. Cet observateur sera un œil extérieur chargé d’informer sur l’implication de tous dans l’application de l’accord.

L’accord prévoit dans ses dispositions finales, à travers les trois derniers articles, le processus de son entrée en vigueur (après sa signature) et le pouvoir de modification de ses dispositions qui relève de l’entente entre les parties signataires après avis du CSA. Il est aussi évoqué l’importance des trois annexes qui sont partie intégrante du document. Ces trois annexes traitent de la période intérimaire, du processus relatif à la défense et à la sécurité et enfin des éléments relatifs au développement socio économique et culturel.

La période intérimaire est une phase de 18 à 24 mois ouverte à partir de la signature du document et durant laquelle la plupart des réformes majeures doit être conduite.

Il s’agit entre autres de mettre en place, d’ici les prochaines élections locales, un dispositif inclusif de gouvernance des collectivités territoriales du Nord du pays qui assurera une représentativité plus importante de ces collectivités leur permettant de jouer tous les rôles qui leur seront assignés dans l’application de l’accord et l’exécution des activités majeures qui y sont contenues. L’accord ainsi présenté, offre des perspectives sérieuses de sécurité, de paix, de justice, de réconciliation, de développement et de prospérité partagés si les maliens dans leur diversité s’engagent auprès des autorités à le mettre en œuvre de manière rigoureuse. C’est là tout le défi à nous lancé par ce document.

     Moussa MARA,ancien  Premier ministre

  moussamara@moussamara.com

 

Source: L’Indépendant

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