Lors de la visite du Président IBK en France, François Hollande a rappelé que la France resterait en « première ligne » aux côtés du Mali, avec l’octroi de 360 millions d’euros dont 80 pour le Nord, sous forme de prêts et de dons. Bon nombre de maliens conçoivent l’évènement comme une bonne nouvelle. Mais est-il le cas réellement? Seule l’utilisation de cet argent peut désormais réparer cette erreur économique d’IBK et de Mamadou Igor Diarra.
Problématique et contexte de la dette
Durant la période 1980-2000, l’environnement économique des pays pauvres, particulièrement du Mali, a été marqué par une crise de la dette extérieure très élevée qui, de nos jours, demeure un obstacle majeur pour la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Cette crise qui au demeurant reste d’actualité préoccupe aussi bien les politiques, les principaux bailleurs de fonds que l’opinion publique à travers le monde comme étant l’un des principaux facteurs retardant le développement économique du Mali. Les effets négatifs du niveau élevé de l’endettement sur le suivi des politiques macroéconomiques nécessaires à la croissance et au développement ont été admis en partie.
Au milieu des années 1990, il était devenu manifeste que les mécanismes d’allégement de la dette comme les menus d’options combinant réduction et refinancement de la dette, les nouveaux concours officiels, bref l’ensemble des mesures visant à réduire les besoins d’emprunt, n’étaient pas suffisants pour ramener l’endettement à un niveau tolérable. En 1996, les institutions de Bretton Woods (le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale) ont lancé conjointement une initiative en faveur des pays pauvres très endettés afin de proposer une solution durable aux problèmes d’endettement des pays pauvres.
Le Mali, avec la crise du nord ne fait pas exception au problème récurrent de l’endettement sans précédent des pays en développement. La visite du Président IBK en France présente des dangers économiques imminents pour le Mali. En effet, 368 millions d’euros est une bien coquette somme. Belle somme qui ne règle en rien la crise du nord et que les générations futures auront à payer avec des intérêts conséquents et amers.
Le service continuel de la dette restreint donc les capacités du Mali à atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Le service de la dette à quelque niveau que ce soit est incompatible avec la réalisation des OMD dans de nombreux pays africains, y compris le Mali. Pour que l’Afrique réalise les OMD, il faut, au minimum, que les taux de croissance doublent pour atteindre de 7 à 8 % par an dans les dix prochaines années. Lesquels impératifs financiers sont incompatibles avec les niveaux actuels et projetés du service de la dette.
De 1970 à 2002, l’Afrique subsaharienne a reçu en tout 294 milliards de dollars du Nord et a remboursé 268 milliards de dollars au seul titre du service de la dette. Le service de la dette des pays africains constitue un transfert de ressources inverse en direction des créanciers, provenant d’un groupe de pays qui n’en ont pas les moyens.
L’organisme des Nations Unies note que même une annulation intégrale de la dette ne suffirait pas à atteindre les OMD mais constituerait pour de nombreux pays africains une première étape sur la voie du rétablissement de la croissance économique. Alors, par quelle magie, le Mali pourra t-il rembourser cette dette de la France d’Hollande en plus de celles antérieures ? Qu’est ce qui montre que la France ne créera pas d’autres conditions comme cette « crise du nord » pour créer des conditions à créer d’autres prêts à l’endroit du Mali. Des prêts qui pousseront le Mali du futur à vendre son âme au Diable pour s’enfoncer encore plus.
La solution
Dans une économie saine ou en crise, l’emprunt sert à investir pas à consommer.
Dans un village qui vit du tourisme, il n’y a plus de touristes, à cause de la crise. Pour survivre, tout le monde emprunte à tout le monde. Plusieurs mois passent, misérables. Arrive enfin un touriste qui prend une chambre dans l’hôtel, qu’il paie avec un billet de 100 euros. Le touriste n’est pas plutôt monté à sa chambre que l’hôtelier court porter le billet chez le boucher à qui il doit justement cent euros. Le boucher va lui-même aussitôt porter le même billet au paysan qui l’approvisionne en viande; le paysan, à son tour se dépêche d’aller payer sa dette à la prostituée à laquelle il doit quelques «services».
La prostituée va à l’hôtel pour rembourser à l’hôtelier les chambres qu’elle louait à l’heure. Comme elle dépose le billet de 100 € sur le comptoir, le touriste, qui venait dire à l’hôtelier qu’il devait repartir tout de suite, ramasse le billet et disparaît. Au total, chacun a payé sa dette; rien n’a été dépensé, ni gagné, ni perdu, par personne. Et plus personne dans le village n’a de dettes. N’est-ce pas ainsi qu’on est en train de résoudre la crise mondiale? Pourquoi ne peut-on en faire de même pour la crise du nord Mali ?
Ce texte étonnant appelle bien des commentaires :
1. Quel est le tour de passe-passe? Comment est-il possible de faire disparaitre l’ensemble des dettes de tout un village sans que personne ne dépense un sou (sauf peut-être l’hôtelier, qui a perdu la disposition de sa chambre pendant le temps, même court, pendant lequel le client l’avait louée)? Tout simplement parce que, chaque villageois a une dette à l’égard d’un autre; de façon circulaire. Il suffit donc, pour l’annuler pour tous, de l’annuler pour chacun.
2. La situation globale de l’économie réelle au Mali et dans le monde ressemble à la situation de ce village, car chacun, est à la fois créancier de l’un (au moins sa banque) et débiteur d’un autre (au moins une banque), et même de plusieurs autres. Et le total des dettes, par définition, est égal à celui des créances.
3. Cette histoire donne une belle leçon d’économie: personne, dans les institutions financières au moins, ne pense à rembourser sa dette; au contraire, beaucoup s’emploient, avec l’argent nouveau qu’ils peuvent recevoir, à en créer de nouvelles, pour eux-mêmes et pour d’autres.
4. Si l’argent que distribue en ce moment de façon presque illimitée, dans chaque pays, la Banque Centrale (ici, le touriste) servait à rembourser les dettes de tous, et d’abord celles de l’Etat (ici, l’hôtelier), plutôt qu’à en accumuler de nouvelles, en le dépensant, la crise pourrait être résolue beaucoup plus vite et plus sainement qu’aujourd’hui, où le recul de la crise s’annonce comme la préparation d’une autre, bien plus terrible, par accumulation de dettes insurmontables.
5. Peut-être faudrait-il enseigner ainsi l’économie et la socio économie. Sans doute comprendrait-on mieux quelques idées simples. Et d’abord, que la priorité d’une économie, c’est d’utiliser l’emprunt pour investir, et pas pour consommer. Mais de cela, le système financier ne veut pas entendre parler. Même aujourd’hui, alors que la crise est encore intense, il n’a qu’une seule préoccupation: retourner au plus vite à son métier principal, endetter les autres, pour faire le maximum de profits.
Abdoulaye A. Traoré
Doctorant en sociologie
Source: InfoSept