Grâce à l’immunité diplomatique, l’épouse de Robert Mugabe a échappé à la justice alors qu’elle est soupçonnée d’avoir agressé un mannequin, le 13 août, à Johannesburg. Dans un pays en crise, ses frasques exaspèrent les Zimbabwéens.
Goûts de luxe, frasques et accès de colère : la réputation de « Gucci Grace » n’est plus à faire. Mais, en une semaine, l’épouse de l’inoxydable président du Zimbabwe, Robert Mugabe, 93 ans, dont trente-sept au pouvoir et près de trente à la tête du pays, est parvenue à mortifier pour de bon ses compatriotes par ses agissements à l’étranger.
La scène du dimanche 13 août au soir, dans un hôtel luxueux de Johannesburg, semble sortir tout droit d’une émission de téléréalité. « On était installés tranquillement dans une chambre. Lorsque Grace est entrée, je ne savais même pas qui c’était. Elle était hors d’elle. Elle s’est mise à me frapper avec une rallonge électrique », a relaté Gabriella Engels, 20 ans. Le jeune mannequin a eu le malheur de côtoyer les fils du couple présidentiel. Excédée par le train de vie de ses rejetons rebelles, la mère colérique, lancée à leur recherche, aurait reporté sa rage sur la jeune femme. Photos de son front balafré à l’appui, Gabriella Engels a raconté sa mésaventure sur les réseaux sociaux. L’Afrique du Sud crie au scandale.
Plainte et imbroglio diplomatique
Grace Mugabe n’en est pas à son premier accès de violence. Début août, à Singapour, elle aurait tenté de réduire en morceaux le matériel de deux journalistes. En 2009, à Hongkong, le photographe britannique Richard Jones en faisait les frais. A la sortie d’un hôtel, Grace Mugabe lui aurait administré quelques coups de poing avec ses bagues incrustées de diamants, sous le regard médusé des passants.
Cette fois, la victime a porté plainte et l’affaire a tourné à l’imbroglio diplomatique.
En plein mois d’août, « Mois de la femme » en Afrique du Sud, plusieurs voix du gouvernement sud-africain se sont élevées pour exiger un châtiment exemplaire. D’autant que la première dame, convoquée par la police, ne s’est pas présentée. Pendant plusieurs jours, sa disparition a alimenté toutes les spéculations et forcé la police sud-africaine à décréter« l’alerte rouge » aux frontières pour l’empêcher de quitter le territoire.
Dans un ultime rebondissement fort embarrassant, son entourage aurait proposé de l’argent à la victime présumée pour « classer l’affaire », comme l’a affirmé en conférence de presse l’avocat de Gabriella Engels, Gerrie Nel. Ce ténor du barreau n’est autre que le procureur pugnace qui, en 2015, avait obtenu la condamnation du champion paralympique Oscar Pistorius pour meurtre. Il entend désormais accrocher la première dame du Zimbabwe à son tableau de chasse.
Au terme de ce curieux feuilleton, son mari, Robert, qui peine à garder les yeux ouverts pendant ses propres discours, est accouru sur place pour la sortir du pétrin. Pour ne pas froisser son encombrant voisin, Pretoria a fini par couvrir l’incident de l’immunité diplomatique et, dimanche 20 août, le couple Mugabe est discrètement rentré à Harare. Depuis, la polémique ne désenfle pas : jeudi 24 août, les avocats de Gabriella Engels ont annoncé avoir lancé une procédure pour casser cette immunité qui cristallise les protestations.
Une thèse de sociologie introuvable
Au Zimbabwe, tandis que le gouvernement et les médias publics sont restés silencieux sur l’affaire, les opposants à la dictature des Mugabe ne décolèrent pas. « Les Zimbabwéens devraient tous avoir honte », amorce un éditorial du quotidien indépendant NewsDay publié le 16 août, qui juge les actions de la « Fist Lady » (la dame aux poings) « embarrassantes, honteuses et disgracieuses ». « Comment peut-on confier la responsabilité de toute une nation à un homme qui n’est même pas capable de contrôlersa propre famille ? », est-il écrit.
« J’AI LES PIEDS ÉTROITS, JE NE PEUX PORTER QUE DES FERRAGAMO. » GRACE MUGABE
Le début de l’idylle du couple remonte à 1987 : Grace est l’une des secrétaires de Robert – de 41 ans son aîné – et devient sa maîtresse. Ils se marient en 1996 devant 12 000 convives lors d’une cérémonie qui défie les limites de l’extravagance. Peu appréciée de ses compatriotes, elle s’est longtemps cantonnée à un rôle de première dame potiche aux goûts de princesse, qui écume les boutiques de luxe des capitales européennes pendant que son pays s’enfonce dans la crise économique. « J’ai les pieds étroits, je ne peux porter que des Ferragamo », justifiait alors la « First Shopper », l’un de ses nombreux sobriquets.
Ses affaires illicites dans l’immobilier et les diamants, à l’origine de son enrichissement, sont source d’exaspération. « Tous ceux qui ne sont pas du parti au pouvoir la méprisent singulièrement pour son manque de décorum, sa vénalité, son manque d’éducation », résume l’analyste zimbabwéen Derek Matyszak, de l’Institute for Securities Studies, basé à Pretoria.
L’ex-dactylo est pourtant depuis peu promise à un destin politique. En 2014, elle révèle ses ambitions en menant une campagne sans merci contre la vice-présidente Joice Mujuru, jusque-là bien positionnée pour succéder au président nonagénaire. La même année, elle obtient un doctorat en sociologie, seulement deux mois après s’être inscrite à la prestigieuse Université du Zimbabwe. La thèse est introuvable, au grand dam du milieu universitaire.
En 2015, elle est propulsée à la tête de la branche féminine du parti de Mugabe et devient l’une des favorites dans la course à la succession au plus vieux chef d’Etat en exercice du monde. Le président-dictateur, qui se refuse à désigner un dauphin, loue sa « grande force de caractère ». « C’est un feu d’artifice, n’est-ce pas ? », disait-il en février. Cet épisode sud-africain pourrait effectivement constituer le bouquet final de ses ambitions politiques.
Car dans la guerre de factions qui fait rage au sein du ZANU-PF, le parti au pouvoir, Grace avait jusque-là le soutien du « G40 », la jeune génération qui prépare l’après-Mugabe. Mais aujourd’hui, ils sont furieux. « Cet incident vient saboter leurs plans, décrypte Derek Matyszak. Robert Mugabe lui-même se rend compte qu’avec l’antipathie qu’elle génère il n’est pas possible de la proposer au poste de président. »
Par lemonde | 25.08.2017 à 13h57 | Par Adrien Barbier