Idriss Deby Itno est mort le lundi 19 avril 2021 des suites de blessures au front lors de combats contre un groupe rebelle, a annoncé l’armée tchadienne à la télévision nationale. Contrairement aux louanges des uns et des autres envers Idriss Deby, Fatime Raymonde Habré, épouse de l’ancien président Hussein Habré, dresse un bilan négatif à son égard.
Comme tout bon patriote, Fatime Raymonde Habré suivait l’évolution de la situation militaire qui prévalait au Tchad avec l’incursion des rebelles. C’est ainsi que le lundi matin, très tôt, elle a appris la nouvelle du décès du Maréchal du Tchad, Deby. “Vous savez, parfois dans ces genres d’événements, il y a beaucoup de fakes news et même les gens qui sont sûrs sont parfois manipulés. Je n’ai pas tout de suite cru à la nouvelle, mais je me suis dit qu’on ne sait jamais surtout avec la guerre.
A 10 h, deux heures de temps après, on a eu l’annonce de la télévision nationale tchadienne qui a annoncé officiellement sa mort”, décrit-elle.
A ses dires, c’était vraiment une grande émotion à cause de tout ce qu’il leur a fait subir. “Idriss Deby était au cœur de notre départ du Tchad, mais indépendamment de ça, c’était un homme qui nous a poursuivis ici au Sénégal avec l’affaire Hussein Habré. Le 30 juin 2013, quand la DIC est venue ici pour prendre le président dans le cadre de l’affaire avant le procès, lorsqu’ils l’ont pris et que ça a fait boum, Idriss Deby a sauté, crié de joie et pris son pistolet, sorti dans le jardin et tiré trois balles en l’air et appelé immédiatement son ministre de la Communication pour interrompre le programme de télé parce qu’il avait quelque chose à dire à la nation en disant ceci : «C’est un jour historique, c’est un jour de fête. D’abord je félicite et remercie mon frère Macky Sall d’avoir fait ce qu’il a fait et maintenant je déclare une journée chômée et payée. Toutes les mairies de N’Djamena, venez vite, je vous donne un budget car chaque mairie doit organiser une fête. Nous avons aussi attendu sa chute». Comme on dit, Allah Soubhana Watala nous a fait assister à sa mort, une mort terrible, une mort violente et je dis Alhamdoulillah», se réjouit Mme Habré.
A la question de savoir si elle est de ceux qui pensent que toute la vérité n’est pas dite par rapport à la mort d’Idris Deby, elle répond en ces termes : “Je sais qu’il est allé au front. Quand les rebelles sont rentrés vers la frontière tchadienne, ils ont pris 3 villes sans beaucoup de combat et puis ils ont piqué vers la capitale. Ils sont arrivés à peu près à 350 km de la capitale et il y a eu les premiers accrochages. Dès ces premiers accrochages, le chef d’Etat-major Mahamane Souleymane est décédé.
C’est déjà un coup, cela veut dire qu’il y a un problème parce qu’on envoie d’abord les gens et puis après s’il y a besoin de soutien, le chef d’Etat-major peut monter.
Du coup, le moral est un peu dans les chaussettes et les rebelles avancent à 300 km de la capitale. Lui, il dit, ‘prenons toute la garde présidentielle et on va faire un quartier général (QG). On va se positionner avant qu’ils n’arrivent et il installe son QG. Les gens partent et lui il reste à l’arrière dans le QG.
Même si c’est une grande tradition au Tchad depuis l’histoire de la rébellion, tous les chefs se battent avec leurs hommes et lui Idriss Deby, aujourd’hui il était âgé d’à peu près 70 ans. Je pense qu’avec tous les problèmes de santé, un homme qui a pris de l’âge ne peut pas sauter sur le territoire comme les jeunes combattants qui filent à 120 km à l’heure, c’est impossible. Mais sa présence est là pour galvaniser les gens et c’est tout. Il ne se battait pas réellement, il y a longtemps qu’il a arrêté ça”, croit savoir Fatime Raymonde.
Il faut savoir que dans les confrontations avec les rebelles, les armes ne sont pas égales et Mme Habré soutient que l’armée française a toujours joué un rôle déterminant dans l’écrasement des rebellions en faveur d’Idriss Deby.
“Chaque matin, l’armée française venait au QG de l’armée tchadienne avec les images satellitaires qui montrent le nombre de personnes par véhicule, le nombre de véhicules, leur positionnement, le rapport d’écoute, les armes dont ils disposent, parfois ils cherchent à savoir où se trouve le chef des rebelles. C’est pourquoi les Tchadiens sont toujours tous enturbannés, donc difficile de trouver le chef. Il n’en demeure pas moins que les équipements et les informations ne font pas tout dans une guerre”, rappelle-t-elle, avant d’ajouter : “Sur le front, ils font face à face sur la première ligne avec la garde présidentielle et un combat rude et meurtrier s’engage. Tout de suite, on a l’effondrement de toute la garde présidentielle. Il s’agit de 7 généraux, plus de 25 gardes de sa sécurité premier niveau et puisque les premières lignes sont écrasées, les rebelles vont vers le QG où se trouve Deby. De N’Djamena à la ligne de front, cela fait 300 km et il avait l’habitude de prendre un hélicoptère pour se replier. C’est pendant ce temps qu’ils se mitraillaient et Deby a été touché et lorsque ses hommes arrivent à l’hélico, il était déjà décédé”, retrace Mme Habré.
C’est ainsi qu’ils le mettent dans l’hélico, poursuit-elle, pour N’Djamena et arrivés là, ils le transportent au palais présidentiel et c’est le lundi matin qu’ils font l’annonce de son décès.
Il faut retenir que l’armée tchadienne compte 40 000 hommes pour son territoire. Le Tchad est très grand avec une superficie de 1 284 000 km2, mais la colonne vertébrale du régime c’est la garde présidentielle. C’est une unité d’élite, des éléments les plus compétents de l’armée. Selon Fatime Raymonde, la guerre c’est aussi l’engagement et la motivation en plus de l’équipement.
“Nous avions un homme usé avec 30 années de pouvoir alors qu’en face on a des jeunes de 16 et 17 ans qu’on appelle des rebelles. Comment ça se fait qu’en 30 années, il y a toujours eu des rébellions ? Les jeunes de 16 et 17 ans préfèrent prendre des kalachnikovs au lieu de se former pour avoir un avenir, un emploi, fonder une famille. C’est parce que ces jeunes sont issus des populations, des ethnies écrasées, humiliées et opprimées par Idriss Deby qui a mis un véritable clan qui s’est accaparé toutes les ressources du pays. Il a imposé un système de discrimination ethnique dans le pays. C’est ce qui explique les rébellions parce que les gens ont mal au cœur”, explique-t-elle.
Face à la thèse que les rebelles sont venus de la Libye, Mme Habré dit ceci : “Ce sont plutôt des Tchadiens qui sont partis se réfugier en Libye. Ils ont fui la répression, la pauvreté, la misère et ce qui est choquant est qu’il y a la présence de la communauté internationale. Il y a les Nations unies, les ambassades et il y a cette répression sauvage, on peut frapper, violer et tuer qui on veut”, s’attriste-t-elle.
A l’entendre, la France a une base militaire au Tchad avec des accords et c’est elle qui décide quand les appliquer et quand il ne faut pas les appliquer.
“Si les Français interviennent, ils parlent de protection de leurs ressortissants. Depuis 1994, 1996, 1998, 2003, 2006, 2008 et 2019, toutes ces rébellions ont été décimées par les bombardements des hélicoptères français. Ils le font de quel droit ? Parce que pour eux le régime a besoin de leur aide. Quand il s’agit des Français, ils qualifient les gens de terroristes, de jihadistes, d’islamistes alors qu’ils ne sont rien de ces qualifications. Ils sont juste des jeunes Tchadiens complètement opprimés et c’est cette rage qui les a fait décimer la garde présidentielle pour en finir avec cette répression.
Les Français ont oublié qu’aujourd’hui il y a plusieurs éléments qui concourent à expliquer la mise sous tutelle du Tchad parce quand on voit la liste du Conseil de transition, il n’y a personne qui est capable de dire aujourd’hui Idriss Deby n’est pas là, on supporte et on met ce jeune garçon au pouvoir, alors quelle est sa légitimité ?
Si c’est le clan qui est au pouvoir, il y a les enfants d’Idriss Deby. Ce dernier est son fils adoptif, c’est le fils non reconnu d’un ancien officier tchadien qu’il a rencontré dans une caserne étant donné que c’était un règne militaire et qu’il faut rester avec la répression pour tenir. Il a cherché quelqu’un en vain parmi ses enfants pour jouer ce rôle, il ne l’a pas eu parce que ses enfants n’étaient pas intéressés par la chose militaire”, indique Fatime Raymonde.
A en croire Mme Habré, c’est la France qui a imposé ce jeune garçon parce qu’il était dans le contingent malien. “La préoccupation essentielle de la France aujourd’hui pour Emmanuel Macron qui est déjà en campagne électorale, c’est de ne pas avoir une mauvaise surprise au G5 par rapport à la zone sahélienne.
La France n’acceptera pas que le Tchad se déstabilise et leur ambassadeur a dit qu’ils vont appuyer le Tchad sur le plan militaire. Cela veut dire le bombardement, l’écrasement de cette rébellion parce qu’un embrasement de la situation est impossible, les gens ne peuvent pas se soulever sinon ils seront massacrés”, signale l’épouse de l’ancien chef d’Etat du Tchad
A son avis, le bilan du règne du président Idriss Deby Itno est négatif sur le plan politique et même économique parce qu’en 2003, la Banque mondiale leur a annoncé le plus grand projet du siècle en Afrique concernant le pétrole, mais après c’était fini et la Banque a dit dans son rapport que c’était un échec.
“Idriss n’était ni panafricaniste, ni pacificateur. C’est un pion important dans la politique d’occupation de l’espace sahélo-saharien. Ce n’est pas le Mali qui a fait appel à Idriss Deby, mais la France. Ses hommes sont installés à Kidal et travaillent avec l’Etat-major français et aujourd’hui les Maliens disent que c’est une partition de leur pays et c’est la faute à Idriss Deby. Les blessés tchadiens au nord du Mali sont soignés au Niger où les Français ont installé un hôpital. Idriss Deby a déboursé 90 milliards de F CFA du Trésor tchadien pour la partition du Mali alors que les Tchadiens manquent de tout. Il n’y a pas d’eau, il n’y a pas d’électricité, pas de soins, les gens font recours au Cameroun ou à l’Algérie pour se soigner. Des régions entières sont appauvries”, relaie-t-elle.
Fatime Raymonde Habré souligne qu’en réalité il n’y a pas de guerre parce que ça fait 11 ans maintenant et on allait trouver qu’ils ont fini avec tout le monde. “Les attentats ne justifient rien. Aujourd’hui, il y a 5000 Tchadiens au Mali en plus des autres contingents. C’est presque 20 000 hommes, mais impossible de dire le nombre de terroristes et où ils sont exactement alors qu’on les voit circuler sur des motos neuves enturbannés. Ils ont le même scenario d’attaque toujours, deux personnes sur une moto et celui de derrière tient la kalachnikov et ils entrent dans les villages et mitraillent les gens. La question que je me pose, d’où viennent ces motos, le carburant ? Comment les pays africains ne peuvent-ils pas gérer ce genre de problèmes ? Il suffit de prendre un hélico, circuler pour connaître les coins où ils s’alimentent en carburant. Il y a juste de petites incursions qu’il faut contrôler et y rester”, conseille-t-elle.
Avec la mort de Idriss Deby, la manifestation de la vérité n’a été cherchée par personne, selon Mme Habré concernant le dossier Hussein Habré, son époux, parce que le Conseil national de transition c’est Idriss Deby à travers son fils, donc il a dépensé des milliards pour acheter la vie de Hussein Habré.
Dans l’affaire Hussein Habré, il y a 3 composantes à retenir. Il s’agit d’Idriss Deby qui a tout donné, acheté des consciences, donné de l’argent depuis Abdou Diouf jusqu’à Macky Sall. La deuxième composante est la France qui veut la mort de Hussein Habré et essaie de l’obtenir par tous les moyens et la dernière composante c’est l’ONG Human Right Watch.
En conclusion, il faut retenir qu’une demande de permission de 6 mois au nom d’Hussein Habré, à cause de sa maladie, vient d’être rejetée. Aux dires de sa femme, c’était pour qu’il fasse le ramadan parmi les siens.
Marie Dembélé
Source: Aujourd’hui-Mali