Dans l’histoire des maladies infectieuses, la pandémie à COVID 19 a créé manifestement plus de stress au niveau des populations, des économistes et des praticiens en santé. Explication ? Explosion brutale d’une maladie incurable et mortelle obligeant à un confinement strict, moyens limités de prise en charge médicale même dans les pays dont le développement sanitaire a permis de réduire considérablement et de façon significative, la mortalité liée à certaines maladies jadis considérées comme constamment mortelles.
Depuis la fin des années 1950 et grâce aux découvertes de l’ère pasteurienne, la moralité par infection (bactérienne, virale ou parasitaire) est restée associée à un développement sanitaire insuffisant. L’attention des pays à forte capacité de recherche médicale se focalise sur les maladies non infectieuses désormais plus meurtrières (ex : les maladies cancéreuses, les maladies cardiaques, celles favorisées par certains comportements alimentaires ou habitudes de vie…). Dans ce contexte de nouveau paysage épidémiologique, l’échéance de la mort est très souvent connue, le praticien et parfois le malade bien informé s’y prépare avec l’espoir de survies encore plus longues grâce au développement technologique continu en recherche biomédicale.
Le COVID 19 est une infection virale qui a explosé brutalement. L’infection tue rapidement et défit un monde médical qui commençait à crier victoire sur les maladies. En effet, ce monde médical ne dispose aujourd’hui d’aucune thérapeutique curative ou préventive, ni de moyens de réanimation régulièrement efficaces pour sauver les malades qui en sont atteints (jeunes ou vieux).
La question éthique émerge forcément ici car il s’agit pour les praticiens d’optimiser des moyens insuffisants pour aider beaucoup de malades en détresse et qui peuvent mourir. Cette question éthique est malheureusement peu ou pas prise en compte dans les débats actuels sur la pandémie.
Optimiser les moyens dans ce contexte, revient à un choix, celui de décider pour quels malades il faut s’investir pour espérer les sauver de la mort.
Comment donc concilier ce choix avec les principes éthiques de bienfaisance et de justice?
Les professionnels de santé sont et doivent être attachés à ces deux principes. Pour chaque patient les meilleurs soins possibles doivent être prodigués quel que soit l’issue prévisible de sa maladie. Il convient de dire d’ores et déjà que l’approche communautaire pour défendre les intérêts d’un groupe ne se gère pas à l’hôpital, au chevet des malades, mais plutôt ailleurs et se dérober de ces principes éthiques n’est pas l’outil pour défendre cette approche communautaire !
L’éthique du prendre soin impose d’accompagner tout patient jusqu’au décès. Mais une vision utilitariste conduit naturellement dans certains cas à se poser la question du pourquoi « gaspiller » du temps des soignants, pour une cause perdue. Dans le cas de la pandémie au COVID 19, l’éthique renvoie à au moins trois questions essentielles : y-a-t-il aujourd’hui un traitement avéré curatif de la maladie due au COVID 19 ? Dispose-t-on aujourd’hui de facteurs prédictifs et critères scientifiques discriminants pour considérer que tel ou tel malade décédera de son infection ou pas ? A-t-on enregistré chez les patients guéris de la maladie due au COVID 19, des handicaps incompatibles avec une vie active descente (handicap mental, ou physique majeur)?
Ces questions qui doivent être répondues avant toute décision, renvoient à des expériences antérieures de gestion des épidémies de certaines maladies infectieuses. Lorsqu’on se trouve devant cinq enfants atteints d’une méningite à méningocoque sensible au thiophénicol, à des stades d’évolution différents, on ne dispose que de deux flacons du médicament, il est logique de privilégier la prise en charge de l’enfant qui est au début de son infection et qui guérira sans séquelle en recevant la dose efficace du médicament ; le partage de ces deux flacons entre les cinq malades ne guérira personne car personne n’aura reçu les doses efficaces du médicament et on enregistrera des morts et des enfants handicapés majeurs avec une vie active lourdement compromise. Dans une telle situation où on sait qu’il existe un traitement curatif avéré, que les séquelles de la maladie peuvent être lourdes, une telle attitude se défend éthiquement car fondée sur des critères scientifiques indéniables. Alain Pompidou écrivait «tout ce qui est éthique est nécessairement scientifique». L’attitude devant l’infection par le COVID 19 doit être différente car on ne dispose pas à ce jour de traitement avéré curatif de l’infection, ni de facteurs prédictifs de mortalité, la maladie tue mais elle n’entraine pas de handicap après guérison.
Dans le cas présent il parait pour le praticien et l’éthiciste, plus soutenable de plaider plutôt en faveur de la mise à disposition de moyens suffisants pour offrir les mêmes soins à tous les malades infectées quelle que soit l’appréciation qu’on fait de leur pronostic vital. Les résultats issus de la gestion de l’épidémie en Chine soutiennent largement cette attitude. Où qu’on soit, sommes-nous réellement en déficit de moyens pour traiter nos malades dans l’équité et dans le respect de leur dignité ?….
Pr Dapa A Diallo
Professeur d’hématologie
Ancien Directeur Général du Centre de Recherche et de
Lutte contre la Drépanocytose (CRLD), Bamako
Source: Le Pays