Dans les collectivités humaines, la production de la pensée a toujours constitué le ferment du progrès. L’être humain se distingue du règne animal par le potentiel de son cerveau et c’est ce puissant vecteur qui lui a permis de dominer son espace et de le mettre à sa disposition. Les nations qui sont situées à l’avant-garde des autres sont celles qui ont le plus utilisé les potentialités de la réflexion et de la connaissance pour développer des biens et services leur permettant de répondre aux défis auxquels elles font face, améliorer leur confort mais aussi leur donner des capacités de dominer les autres par la force ou par l’influence.
Ce n’est pas un hasard si les plus grandes universités, les lauréats du Nobel les plus nombreux ou encore le plus grand nombre de publications de savoir proviennent des pays les plus puissants. Les sciences et les technologies ont permis aux puissances occidentales de dominer le monde depuis plusieurs siècles. Elles ouvrent des perspectives notamment pour la Chine en vue de leur emboiter le pas.
L’avant-garde procuré par la connaissance scientifique est une évidence. Mais pas seulement ! Les capacités à penser et réfléchir sur les problèmes de société figurent également dans la catégorie des connaissances qui font avancer une nation. Les philosophes, les sociologues, les anthropologues, les hommes de lettre, les artistes sont tous utiles à une collectivité humaine et contribuent à l’améliorer par leurs recherches, leurs productions et leurs contributions intellectuelles.
A l’inverse, quand ce foisonnement intellectuel est absent, quand les élites intellectuelles abandonnent le sentier de la quête de connaissance et de la réflexion, c’est l’ensemble de la communauté qui s’enlise. Cela illustre la situation triste dans laquelle le Mali se trouve en matière de réflexion, de pensée et de quête de connaissance. C’est peu de dire que notre pays accorde peu, voire pas du tout d’importance aux savoirs et connaissances avec une tendance inquiétante à la stagnation voire au recul. Ce qui lui porte un tort significatif, au moins autant que les coups des terroristes.
La faiblesse de la pensée malienne fait d’abord écho aux pannes d’idées des politiques et des leaders. Le Mali est l’un des rares pays où on ne voit que très peu d’articles, de contributions et encore moins de livres écrits par ses leaders politiques. Pendant les campagnes électorales, les idées, si elles existent, sont souvent très générales et vagues. Les Hommes qui ont eu la chance d’occuper des fonctions majeures ne partagent pas leurs expériences par des écrits. Les principaux responsables n’ont presque jamais produit et publié. Parallèlement, les partis politiques ne cultivent que peu les idées et projets.
Ils ont peu de lignes et d’identifiants idéologiques ou programmatiques. Quand ceux qui doivent guider la collectivité n’ont pas d’idée ou de vision, le sort de cette dernière est forcément peu enviable.
La presse malienne est en léthargie. Les journalistes ne maitrisent pas les sujets de manière approfondie pour leur permettre d’acculer et de mettre en difficultés les politiques lors des interviews.
En économie par exemple, un domaine clé pour la vie politique mais peu abordée, peu de journalistes sont spécialisés et compétents. Il en est de même pour la justice, les questions de corruption, l’éducation, la formation professionnelle, l’agriculture ou encore la défense. En conséquence, notre vie publique se traduit par la faiblesse des débats, peu de confrontations, peu d’échanges, en français ou dans nos langues nationales, pour éclairer les populations et leur permettre de renforcer leur citoyenneté. Cela est valable dans nos localités et au niveau national. Le déficit du monde universitaire sur les questions de réflexion et de la production des connaissances est encore plus patent et alarmant pour le pays. Les universitaires forment avec les élites politiques, ceux qui doivent être le plus présents sur le sentier de la réflexion et de la pensée.
L’université constitue par définition le lieu de production de savoir le plus important pour une nation. On y rédige des rapports, des mémoires et des thèses mais également des publications dans les revues nationales et étrangères. Dans les faits, il y a peu de production dans nos universités et rarement nos universitaires sont réputés à l’extérieur du pays. Ils n’y sont que peu conviés pour participer à des colloques et des conférences et on ne leur confie qu’exceptionnellement des responsabilités scientifiques régionales ou continentales. Contrairement à d’autres nationalités comme le sénégalais Felwine SARR, mis en mission par le Président français. Comble de désaveu pour nos universitaires, c’est à un autre sénégalais, Alioune SALL, que le Président IBK a confié le mandat de l’aider dans la conduite de sa mission de champion africain pour les questions d’arts, de culture et de patrimoine.
Notre pays n’a pas la côte sur les questions intellectuelles. Nous le devons aussi à l’inertie de nos universitaires qui sont ainsi interpellés.
Au niveau de la société civile et du secteur privé, peu d’acteurs sont présents dans le secteur de la pensée et de la réflexion. Les think tanks sont rares aux Mali. Ceux qui en ont la capacité ne veulent s’en donner ni le temps ni les moyens.
En matière militaire et sur les questions de défense, nous déplorons là également un déficit criard de pensées. La recherche n’y est pas courante alors que notre contexte est favorable aux analyses militaires. Nous faisons face à une guerre asymétrique, avec des tactiques et approches des groupes armés qu’il convient d’étudier afin de concevoir des moyens pour les contrer. Cela permettra d’identifier les outils et équipements qui seraient plus efficaces pour supporter les stratégies adoptées ainsi que les aptitudes à inculquer aux soldats pour les appliquer. Dans la guerre, il faut savoir analyser minutieusement son adversaire pour trouver comment lui faire face. Surtout si celui-ci est d’un nouveau genre, sortant des standards enseignés dans les académies ! On ne perçoit pas cela au sein de l’armée ni au sein de l’État malien. Le centre d’études stratégiques logé aux affaires étrangères, doit s’y essayer. Les responsables de nos États-majors, de nos écoles militaires, les officiers généraux dotés de capacités de réflexion devraient se saisir de ces questions et multiplier les thèses sur ce qui se passe dans le pays pour aider les décideurs.
Le constat de la faible production intellectuelle malienne est valable dans tous les segments de notre société. Les religieux n’y échappent pas. Parmi ces leaders spirituels, on n’identifie pas suffisamment de responsables ayant produit des écrits. Ils accomplissent de nombreuses prestations orales,
d’exégèses des textes sacrés, mais guère de productions structurées, explicatives et formalisées qui éclairent sur la religion. Ce constat est valable pour les musulmans comme pour les chrétiens. Si les Maliens connaissent peu la religion au-delà des rites, c’est aussi parce que nos responsables religieux ne capitalisent pas leur connaissance et n’élaborent pas d’ouvrages formels destinés aux populations.
L’impression que les leaders religieux n’y ont pas intérêt et ne veulent pas partager leurs savoirs afin de maintenir les populations dans l’ignorance qui permet de les manipuler, est ainsi devenue prégnante. Ce qui est dommageable pour la collectivité. L’élite doit guider, orienter, et faire en sorte que la population soit de plus en plus autonome.
C’est ce qui fait de lui une élite, engagée à approfondir ses savoirs et à pousser les limites de la connaissance et de la maitrise de son domaine. Seules la recherche, la réflexion, la rédaction d’ouvrages permettent de capitaliser les connaissances, améliorent le savoir et les compétences des savants et tirent une collectivité vers le meilleur.
Au Mali, on semble prendre un chemin différent. On ne réfléchit que peu, on ne propose que peu, on ne cherche que peu et on se contente de peu ! Avec un résultat en régression car les autres avancent. Il est urgent de changer, si nous ne voulons pas continuer à être les objets des autres !
* www.moussamara.com
Source: l’Indépendant