II- Les lourdes conséquences
L’accord de cessez-le-feu signé le 23 mai à Kidal devait rouvrir la page de dialogue. Ce à quoi s’étaient clairement engagées les parties dudit document. Ainsi, dès le lundi 26 mai 2014, des plans de paix étaient à l’étude. Ce qui a conduit l’Algérie à proposer début juin 2014 des pourparlers sur son territoire. L’information a été donnée, en son temps, par le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra. Le Burkina Faso a réitéré sa disponibilité à continuer à aider notre pays, alors que le Maroc demandait une nouvelle fois aux groupes armés d’accepter de revenir autour de la table des négociations. Entre le régime et certains de ces groupes armés, le contact était désormais établi.
La tête du PM mise à prix
La lourde défaite de l’armée à Kidal, le 21 mai 2014, a sonné l’ensemble de la communauté nationale. Il faut dire aussi qu’elle était l’occasion pour l’Opposition politique de régler son compte à Moussa MARA. Ainsi, dès le 22 mai 2014, le lendemain du naufrage de Kidal, le député Soumaïla CISSE, de l’Union pour la République et la démocratie (URD) tenant son pain d’orge, lui demandait de démissionner, à cause de la situation créée, le 17 mai 2014, par sa visite à Kidal.
Intervenant au Studio Tamani, il a estimé que cette visite « n’était pas bien préparée et constituait un risque inutile ».
Selon l’opposant, le Premier ministre « a eu tort d’aller en ce moment à Kidal, surtout qu’il lui avait été déconseillé de ne pas s’y rendre… Le Premier ministre devait attendre d’abord que le Haut représentant du Président de la République, les membres de la Commission dialogue, vérité et justice s’y rendent ».
Pour enfoncer le clou, dans un réquisitoire ravageur, un autre député soulève la question de la visite de MARA à Kidal en s’étalant sur le nombre de victimes qu’elle a occasionnée. Pour ce député, il est allé donner de jeunes enfants à la mort à Kidal et sans être affecté outre mesure par son acte. C’est une désinvolture caractérisée qui a été dénoncée par l’inquisiteur du jour qui s’est préalablement employé à peindre le Premier ministre sous le jour d’un bourreau des enfants menés à l’abattoir de Kidal. Le député a réussi à émouvoir l’opinion nationale. Il a peut-être réussi à révolter de nombreux parents qui ont perdu un des leurs dans la bataille de Kidal ce mercredi.
Par contre, pour ce qui est de la démission réclamée, le député a obtenu une fin de non-recevoir cinglante. Les Maliens se souviendront longtemps de cette phrase prononcée en langue bamanankan du PM : « Ntè ! Nte ta yoro si » (Traduction libre : Je refuse ! je n’irai nulle part).
Quoi qu’il en soit, la débâcle de l’armée à Kidal et la réoccupation de la ville par les groupes rebelles seront indissociables pour toujours du nom de Moussa MARA dont une partie importante de la population estime que c’est par lui que tous les malheurs sont arrivés. Il s’agit d’un lourd fardeau qu’il devra porter sur la conscience tout le restant de son existence.
La démission de SBM
Le premier à faire les frais de la débâcle de l’armée à Kidal a été le ministre de la Défense et des anciens combattants, Soumeylou Boubèye MAIGA. Dès le 27 mai 2014, la présidence de la République annonçait sa démission. Le ministre secrétaire général de la présidence qui a donné l’information a poursuivi : « le Président de la République, sur recommandation du Premier ministre, a nommé Bah N’DAO ministre de la Défense ».
Mais s’agissait-il d’une démission du ministre MAIGA ? Il est possible que ce soit le cas. Il est également possible que le terme démission ne soit qu’une formule consacrée, mais qu’il a été contraint à rendre le tablier. Ce dernier cas de figure est le plus plausible à la lumière des propos tenus par le Président de la République, en juillet 2014, au cours d’un entretien avec Christoph Boisbouvier, sur RFI. Il disait, en effet : « … J’ai dit cela. Je ne peux pas le lendemain ordonner qu’on reprenne les armes. Donc, je ne pouvais pas ne pas réagir à cela. Vous avez bien vu que j’ai mis fin aux fonctions du ministre de la Défense. J’ai estimé que mes instructions n’avaient pas du tout été correctement transmises et respectées. On m’a vu en plein Conseil des ministres lorsqu’on m’a informé, dire “Cela suffit. Cessez-le-feu immédiat”. C’est contraire à mes instructions. Tout le monde, dans le cabinet, autour de moi peut en témoigner ».
Par rapport à la question : « vous êtes le chef des Armées, il y a eu une défaillance dans la chaîne de commandement ? » IBK a répondu : « C’est clair, je l’assume. Et l’assumant, j’ai pris la mesure, la première qui s’imposait. Celui que j’avais mis en charge de la Défense nationale en a payé les frais ».
Quant à la question : « mais est-ce que ça suffit ? Est-ce qu’il n’y a pas aussi défaillance au niveau de l’état-major ? », Il a répondu : « Chaque chose en son temps. Je n’ai pas besoin maintenant de perturber cette chaîne de commandement qui vient juste d’être mise en place. Les responsabilités seront situées et les corrections seront apportées ».
Il apparaît clairement que la démission du ministre de la Défense et des anciens combattants était surtout une sanction du Chef de l’État. Il fallait que quelqu’un paie et c’est lui qui en a fait les frais, même s’il ne se reconnait pas coupable du drame qui est survenu le 21 mai à Kidal. La preuve, en est que le samedi 31 mai 2014, il a demandé l’ouverture d’une enquête parlementaire sur les événements de Kidal. Il a fait l’annonce, dans une intervention devant un forum des femmes de son parti (ASMA-Cfp), que son parti va demander l’ouverture d’une enquête parlementaire sur les événements de Kidal. « Lundi prochain, ils (Ndlr : les députés de son parti) vont saisir les collègues de tous les groupes parlementaires pour mettre en place une commission d’enquête au sujet des événements de Kidal », afin de situer les responsabilités, a-t-il affirmé à l’occasion de ce forum des femmes de l’Alliance pour la solidarité au Mali-Convergence des forces patriotiques, le parti qu’il a porté sur les fonts baptismaux après son départ de l’ADEMA-Pasj.
Le nouveau statut de Kidal
Même si le Premier ministre de l’époque, Moussa MARA, s’égosillait à clamer sur les stations internationales : « ce que je peux vous dire simplement, c’est que Kidal est malien. Et cela est reconnu par toute la planète y compris les Nations-Unies qui mardi dernier (Ndlr : le 13 mai 2014) seulement, à travers le conseil de sécurité, ont fait un communiqué pour dire que la souveraineté de l’État malien sur son territoire ne saurait souffrir d’aucune exception y compris Kidal. Donc nous, nous estimons que Kidal est malien, seulement, il faudrait réussir à établir cela dans les faits » ; « l’État malien est là, à leur côté, et il fera tout pour que leurs droits et leurs libertés individuelles, leur droit à disposer de leur vie, à être prospère et à vivre décemment, soient respectés. Le Mali s’engage à cela. Inch’Allah, ce sera le cas », il n’en demeure pas moins que depuis un certain 21 mai 2014, rien n’est plus comme avant à Kidal.
Profitant du fait qu’ils contrôlent les lieux, les rebelles du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), et dans une certaine mesure ceux du Haut conseil pour l’unicité de l’Azawad (HCUA) et du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) ont revendiqué un statut particulier de l’Azawad qui comprend désormais l’ensemble des trois régions du Nord (Gao, Tombouctou et Kidal) et une partie de la Région de Mopti, au centre du pays.
Dans un document remis à la mission d’ambassadeurs africains et de représentants de la communauté internationale, qui s’est rendue à Kidal, le 17 mars 2015, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA exigeait une reconnaissance de l’Azawad en tant qu’entité politique, juridique et territoriale. Il s’agit des 10 points qu’elle pose comme condition à satisfaire avant toute signature du document d’accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger.
La prétention des groupes rebelles s’affirmait de plus en plus. Après avoir reconnu l’unité et l’intégrité du territoire national dans l’Accord préliminaire de Ouagadougou, profitant de leur nouvelle posture de maîtres de Kidal et de quelques autres localités, ils ne se gênaient plus de remettre en cause les dispositions dudit Accord.
Il est vrai que comme le soutiennent les opposants au régime pour qui Kidal est sortie du giron malien, elle n’y est plus que sur la carte et par la présence de populations maliennes dans les localités sous contrôle des mouvements armés au dessein séparatiste. Étant donné que partout où il y a un citoyen, l’État est présent, il est permis de dire qu’il est à Kidal, quand bien même sa présence se réduit à peau de chagrin. L’administration, les forces de défense et de sécurité, les services techniques ont tous vidé les lieux. Il n’y a plus qu’une copie pâle de la présence de l’Etat, depuis deux ans à Kidal, depuis ce maudit mois de mai où un aventurier de Premier ministre a jugé tout à fait normal de se rendre à Kidal. Intervenant sur BBC Afrique, il a ainsi tenté de défendre l’indéfendable, à savoir l’opportunité de sa visite : « La visite était d’autant plus opportune que toute la communauté internationale a régulièrement demandé à l’État malien de faire en sorte que l’administration soit présente le plus rapidement sur le terrain. La visite, son objectif, est de s’assurer que l’administration est présente sur le terrain et de lever toutes les difficultés de présence de l’administration sur le terrain, à Kidal, à Tombouctou et à Gao. Donc, en tant que chef de l’administration, je suis allé m’assurer de cela, et faire en sorte que l’administration soit au service des Kidalois. Donc, pour moi, c’est une visite dont l’opportunité ne peut pas être contestée ni même disputée ».
Cependant, ce que le Premier ministre d’alors ne dit pas, est qu’il comptait tirer de sa visite des dividendes politiques. Aller là où le Président de la République n’a pas daigné aller, depuis son élection ; tenir une conférence avec les représentants de l’administration sous les balles de l’ennemi ; prouver à la face des Maliens et du monde entier sa bravoure et sa détermination, voici l’exercice périlleux auquel il s’est livré, question de booster davantage sa cote de popularité. Malheureusement pour lui et pour le Mali, le projet a été contrarié par les rebelles qui ont considéré sa présence à Kidal comme une défiance à leur égard. L’on est d’autant plus fondé à croire que cette visite avait des non-dits que c’est un accueil populaire qui lui a été réservé la nuit où il est rentré à Bamako sous une fine pluie. Certaines sources généralement bien informées rapportent même qu’un budget a été débloqué pour l’organisation d’un accueil triomphal du PM, une voie royale pour faire désormais ombrage au Président IBK, si ce n’est pour un putsch politique.
En tout état de cause, l’ambition démesurée du Premier ministre de l’époque a précipité, une nouvelle fois, le pays dans le gouffre.
La recrudescence de l’insécurité
C’est un secret de polichinelle que les groupes armés rebelles ne peuvent pas assurer la sécurité des personnes et de leurs biens au nord de notre pays. L’État avec de plus importants moyens n’arrivait déjà pas à le faire à hauteur d’attente.
En plus d’avoir des moyens limités pour faire face à l’équation sécuritaire, la Coordination des mouvements armés (CMA) est entravée par deux autres facteurs non négligeables.
Le premier est qu’elle est elle-même une source d’insécurité. Il est connu de tous que les combattants des mouvements armés sont ceux-là qui braquent les camions de forains tuant et blessant leurs occupants ; les véhicules des Nations Unies et des organismes humanitaires. Ce sont eux qui extorquent de l’argent aux populations pour faire face à leurs frais de fonctionnement, exercent des exactions sur les populations sous toutes sortes de prétextes fallacieux. Dès lors, l’insécurité au Nord porte aussi leur signature.
D’autre part, la Coordination des mouvements armés (CMA) était à l’origine de tous les incidents au Nord, depuis la signature de la déclaration de cessation des hostilités, le 24 juillet à Alger. C’est elle qui a lancé deux attaques infructueuses contre les éléments de la Plateforme à Tabankorte. Elle a été l’origine de la reprise de la violence. Pour avoir perdu Ménaka, elle a décidé de s’attaquer indistinctement à l’armée, aux mouvements patriotiques de la Plateforme. Pour la nouvelle situation d’insécurité qui prévalait en ce moment dans le Septentrion, la responsabilité de la Coordination des mouvements de l’Azawad restait entièrement engagée.
Le second facteur entravant de la Coordination est qu’elle fait cause et route commune avec les djihadistes. Ce sont ces derniers qui ont volé à son secours lors de son offensive sur la localité de Aguel’hok marquée par l’exécution de plus d’une centaine de soldats de l’armée régulière. Ce sont les mêmes djihadistes qui sont allés prêter main-forte au MNLA et à ses alliés, le 17 mai 2014, contribuant sérieusement à un changement du rapport des forces en faveur des rebelles et finalement à la débâcle de l’armée, le 21 mai 2014.
Pour cette raison, elle ne peut en aucune manière se mettre, en travers de leur route, pour quoi que ce soit, contrairement à ce que tente de nous faire croire une certaine opinion.
Pourtant, il est établi que ce sont les jihadistes qui posent les mines antipersonnel qui font régulièrement sauter les véhicules des Nations Unies, tuant et blessant des soldats de la paix. Un communiqué de l’Élysée fait savoir : deux soldats français sont morts « des suites de leurs blessures » dans le nord du Mali après l’explosion, mardi 12 avril, d’une mine contre leur véhicule blindé, a annoncé l’Élysée dans un communiqué. Le bilan de l’attaque de ce véhicule blindé s’élève à trois morts, un premier soldat étant décédé mardi. Cet attentat a été revendiqué par Iyad Ag Ghaly, chef de Ansar Eddine, dont les accointances avec Alghabass Ag INTALLA ne font l’ombre d’aucun doute.
Les services sociaux
de base
Parmi ceux qui ont payé un lourd tribut à la guerre, suite au retrait des agents de l’État de Kidal, il y a incontestablement les enfants qui, depuis deux ans, ne vont plus à l’école ou n’arrivent pas à suivre les cours dans de bonnes conditions.
Selon une enquête du ministère de l’Éducation nationale, en partenariat avec Global Éducation Cluster, publié en octobre 2014, la grande majorité des enfants kidalois n’a pas eu accès à l’éducation, depuis au moins 2012, soit trois ans. Le rapport indique qu’après les événements de mai 2014, toutes les écoles publiques ont cessé de fonctionner, à cause de la situation sécuritaire. Il est aussi indiqué : « ’Cependant, les conséquences de la crise sécuritaire sur l’environnement scolaire restent tout de même énormes à Kidal. Plus de 45 % des écoles ont été pillées ou détruites. On note également que plusieurs écoles ont servi ou servent toujours de sites d’hébergements aux groupes armés ou à la population.
L’insécurité, qui est devenue chronique à Kidal, ne peut que causer le départ des enseignants déployés dans la région. Cet environnement invivable, qui a amené de milliers d’autochtones à fuir leurs terres, ne pouvait pas rester sans conséquences sur les enseignants »’. « ’En effet, nous éclaire l’enquête avec des chiffres, sur 398 enseignants des écoles publiques déployés avant la crise, seulement 26 étaient dans les salles de classe des écoles fonctionnelles jusqu’à mai 2014, soit 7 % »’.
Au titre des mesures pour faire reprendre le chemin de l’école aux enfants, le rapport préconise : « ’il est important de noter que le rapport relève le désir des enfants de Kidal à bénéficier, comme tous les autres enfants du Mali, de l’éducation qui reste un droit fondamental. Comme action urgente, l’enquête note l’intérêt des kidalois pour des programmes scolaires radiophoniques.
« ’La mise en place d’un tel programme faciliterait la diversification de l’offre éducative et une plus grande participation des enfants aux activités éducatives »’, commente-t-on dans le rapport.
Par ailleurs, le rapport recommande notamment, comme autres actions à mettre en œuvre, la réhabilitation des infrastructures scolaires, un plaidoyer auprès des occupants des écoles afin de les amener à libérer les lieux, la prise en compte de la motivation des enseignants, les encourager à retourner et à rester dans la région ».
Ce qu’il faut aussi souligner, c’est que l’environnement sécuritaire délétère d’après mai 2014, qui ne permet de mettre en œuvre aucune des mesures. Ce qui fait perdre un temps précieux aux enfants pour une situation à laquelle ils ne sont en rien responsables.
Pis, apprend-on, certaines notabilités, qui voulaient imposer l’école coranique en 2013, ont désormais toute la latitude de le faire, la nature ayant horreur du vide. Il faut dire qu’une des raisons à la faible scolarisation des enfants dans la région de Kidal est qu’une grande partie de la population s’oppose à l’instruction occidentale.
Dans un communiqué de presse, en date du 25 avril 2016, l’UNICEF tirait la sonnette d’alarme : « ’les manifestations survenues les 18 et 19 avril à Kidal, dans le nord du Mali, ont interrompu l’éducation des enfants et mis en danger leur sécurité. Selon des sources vérifiées par l’UNICEF, plusieurs enfants ont été retirés des salles de classe pendant les cours afin qu’ils participent à des rassemblements populaires »’.
Fran Equiza, Représentant de l’UNICEF au Mali, déclarait dans le même communiqué : « ’les derniers jours, l’accès à l’éducation a été rendu impossible pour plusieurs enfants à Kidal. Les efforts consentis pour ramener des milliers d’enfants à l’école dans le nord du Mali risquent d’être réduits à néant si les enfants, dont le retour est encore fragile, sont retirés des salles de classe » »’.
Il faut donc dire que la visite de MARA n’a pas été pour améliorer particulièrement le sort des enfants de Kidal qui n’étaient déjà pas parmi les mieux lotis.
Du point de vue de la santé, après les combats violents de mai 2014, certains organismes humanitaires ont continué à délivrer des soins aux populations. Toutefois, faut-il noter, d’autres ont fini par se désengager, en attendant de meilleures conditions de travail. Une situation qui n’est pas sans pénaliser les populations locales.
Par ailleurs, les programmes de réalisation de forages de puits à grand diamètre pour permettre à un plus grand nombre de la population d’accéder à l’eau potable sont quasiment tous en arrêt, en raison d’un environnement sécuritaire peu propice.
Il s’agit d’autant d’éléments qui accentuent la misère de la population prise en otage par des rebelles qui ne cherchent en réalité qu’à servir leurs propres intérêts.
Les négociations cahoteuses
L’acceptation des négociations par les rebelles de la Coordination des mouvements armés, nonobstant les espoirs suscités, a marqué le début d’une nouvelle épreuve des nerfs pour les autres parties prenantes. D’Alger I à Alger V qui s’est soldé par le paraphe de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, le chemin a été long et semé d’embuches. Il a fallu huit mois de négociations, d’allers et retours dans la capitale algérienne pour y parvenir. Il est vrai qu’aucun observateur avisé ne s’attendait à ce qu’il y a un accord au bout de quelques jours de discussions, mais très peu s’attendaient à ce que le processus s’étale sur huit longs mois.
La vérité est que les rebelles séparatistes de Kidal avaient leur plan. Il s’agit avant toute chose que de faire durer au maximum les négociations pour mettre les nerfs des autres parties prenantes à fleur de peau. Pour ce faire, leur stratagème a marché comme sur des roulettes. Ils n’ont eu simplement qu’à user de rebuffade et de boycott comme lors de la séance où ils ont demandé que les questions politiques et institutionnelles soient traitées en premier lieu, contrairement à l’ordre du jour arrêté par la Médiation internationale.
Par rapport aux rebuffades, une est restée des plus spectaculaires. Les rebelles ont pris part à huit mois de pourparlers à Alger au cours desquels ils ont fait valoir leur point de vue qui a été pris en compte pour l’essentiel dans le document de préaccord et sans crier gare, le 1er mars, au moment de signer l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, ils demandent que leur soit accordé un délai de 15 jours pour aller consulter leur « base ». Après un simulacre de consultation, ils reviennent à la charge avec de nouvelles revendications qui ont été soumises à la Médication internationale. Ils posent comme préalable, à tout paraphe, ou signature du document d’accord, l’ouverture de nouvelles négociations avec le Gouvernement dont la réponse n’a pas tardé après celle de l’équipe de médiation : les négociations sont terminées.
Curieusement, alors que personne ne s’y attendait vraiment, les rebelles qui avaient déjà fait une fausse alerte décident de parapher l’Accord, mais comptent sur de nouvelles négociations pour procéder à la signature comme l’ont fait le Gouvernement et la Plateforme, le 15 mai 2015, à Bamako, en présence de l’ensemble de la communauté internationale.
Selon certaines informations, la MINUSMA de concert avec le chef de file de la Médiation internationale, l’Algérie, lui ont lancé un ultimatum à signer l’Accord de Bamako, au plus tard le 15 juin prochain. Voilà bien l’arroseur qui se trouve arrosé.
Ce qu’il ne faut pas perdre de vue, est le fait d’avoir à supporter les caprices de ces rebelles de la Coordination des mouvements de l’Azawad, de souffrir huit longs mois de pourparlers, conséquence d’une mission aventureuse à Kidal qui a fait perdre au pays l’avantage qu’il avait autant sur le plan politique que militaire. Il est clair que ce sont les rebelles qui étaient demandeurs d’accord. En effet, le 13 mai, le HCUA était prêt à négocier, mais dans un autre pays. Il ressort d’un communiqué relatif à cette disponibilité à négocier : le congrès du Haut conseil pour l’unicité de l’Azawad (HCUA) a pris fin ce jour. Il fut notamment question de la nouvelle orientation du mouvement et des futures négociations avec le gouvernement : « Oui, pour les accords de Ouagadougou, le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad reconnaît le drapeau malien » ; « Oui, également pour le dialogue avec Bamako », avec comme préalable, pour le HCUA, la libération de prisonniers. Dans le cadre des futures négociations, les groupes armés demandent à la communauté internationale de désigner un médiateur, et que les discussions se déroulent dans un pays neutre. Enfin, le Haut conseil demande à tous les autres groupes armés de le rejoindre pour créer un seul mouvement.
Des relations sulfureuses
Entre les populations maliennes et ceux qu’elles applaudissaient et acclamaient comme des libérateurs, c’est le divorce.
La première à se trouver dans cette situation est la France. Quand en janvier 2012, elle déployait, dans notre pays, ses soldats et ses impressionnants matériels terrestres et aériens, nombreux sont nos compatriotes qui ont vu en elle le messie, celui qui vient sauver tout un peuple de la barbarie d’une horde de jihadistes qui menaçait sérieusement. Mais certains sont restés sceptiques et dubitatifs face à l’enthousiasme débordant de leurs compatriotes. Parce que, eux, avaient compris dès le départ, contrairement à beaucoup, que la France n’intervient pas par pure charité chrétienne.
L’heure du réveil a inexorablement sonné pour ceux qui ont naïvement cru que la France venait nous aider parce que nous étions des amis ou pour payer une dette comme a eu à le dire le Président HOLLANDE dans notre capitale. Une succession de faits regrettables est à l’origine de ce réveil : des soldats français qui faussent compagnie aux Forces armées maliennes à Gao pour se rendre seuls à Kidal alors que jusque-là ils avaient combattu côte à côte ; des déclarations qui ne laissent aucune place au doute quant aux relations privilégiées qu’entretiennent la France et le MNLA, qui à coup de battage médiatique, a été sortie du lot des jihadistes, épousseté, lavé et classé dans la catégorie très recherchée des mouvements laïcs, des propres.
Quant à la MINUSMA qui est l’expression de la solidarité internationale, elle, a aussi déçu par son comportement. Cette organisation, dont l’impartialité est la principale caractéristique s’est contentée d’emboîter le pas à la France. Comment comprendre que face au changement de rapport de forces en faveur de la Plateforme à Tabankort où elle était régulièrement attaquée par la Coordination des mouvements armés, la Mission onusienne, à travers le chef de ses forces, signe un accord secret avec le chef d’état-major du MNLA pour définir une zone tampon ? Pour être impartial, pourquoi n’a-t-elle pas associé la Plateforme à la signature de l’accord en question ? On peut comprendre que les FAMAs ne sont pas présentes dans la zone concernée. Mais il s’agit tout de même d’une partie du territoire national. Alors, pourquoi le Gouvernement malien n’a-t-il pas non plus été associé, contrairement à certaines allégations mensongères qui ont soutenu que cela a été le cas ? Comment comprendre qu’à Ménaka elle veuille coûte que coûte faire partir la Plateforme qui en a délogé le MNLA après des combats héroïques ?
Pourquoi Hervé Ladsous, secrétaire général adjoint de l’ONU, en charge du maintien de la paix se sent-il, obligé de mentir sur le compte de l’armée malienne accusée de violation des accords de cessez-le-feu ? Pourquoi ce deux poids deux mesures au niveau des enquêtes de la MINUSMA, selon que ce sont des éléments de l’armée ou de la Plateforme qui sont soupçonnés d’exactions ou que c’est le MNLA et ses alliés jihadistes ? Pourquoi la MINUSMA a-t-elle tiré sur les populations noires de Gao qui dénonçaient, de leur bon droit, son accord scélérat avec le MNLA et accepter docilement les agressions de jeunes et de femmes touareg à Kidal ? Pourquoi inventer, de toute pièce, un accord sur Ménaka pour justifier sa prise de position ?
Il y a trop de zones d’ombre. Il y a indéniablement anguille sous roche et les Maliens ont compris qu’il y a un parti pris flagrant de la MINUSMA en faveur des rebelles de la Coordination des mouvements armés parce que de toute évidence le MNLA en est membre.
Il est difficile, voire impossible que les Maliens portent dans leur cœur la France comme la MINUSMA après ce qu’il leur a été donné de voir au cours de ces trois dernières années. Le désamour est d’autant plus patent que le Président IBK s’en est fait l’écho lors de la cérémonie de signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger en admonestant le Secrétaire général adjoint des Nations Unies chargé des opérations de maintien de la paix Hervé Ladsous.
Les agressions d’agents de la MINUSMA pourraient relever également d’un sentiment de rejet d’une partie de la population. Cela, même s’il est avéré qu’en la matière, il y a aussi des montages grossiers et grotesques de la part de la Mission onusienne qui fait de la victimisation sa meilleure défense, depuis qu’elle subit une volée de bois vert de la part de la population civile.
Tout cela est arrivé, parce qu’un jour de mai 2014, un Premier ministre pressé de grimper la colline de Koulouba, a cru devoir s’aliéner la sympathie de l’ensemble des Maliens et qui n’a obtenu que la chute de Kidal a décidé de s’y rendre. Par son populisme effréné, il a plongé le Nord dans un sable mouvant et le Sud en situation de désamour avec la France et la communauté internationale que le pays de HOLLANDE a ameutée peu après son arrivée dans notre pays.
Une fête qui tourne au pugilat
La signature de l’accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger dans notre capitale, le 15 mai 2015, s’annonçait comme une fête, malgré les sérieuses réserves quant à la participation des rebelles de Kidal. Elle devait être la matérialisation de l’aspiration profonde de l’ensemble du peuple malien de voir l’épilogue d’un long processus se jouer dans notre capitale. Mais au-delà de l’émotionnel, elle devait permettre la signature d’un document qui va aider à tourner la page de la crise et à sceller durablement la paix et la réconciliation dans notre pays.
Pour cette cérémonie de signature, les autorités ont mis les petits plats dans les grands pour réserver le meilleur accueil possible aux hôtes de marque. Tout a été mis en œuvre pour que la fête soit belle. Effectivement, tout était parti pour que ce soit le cas ce soir où le Président IBK voyait se réaliser un de ses vœux les plus chers, lui qui disait dans son discours de prestation de serment que la réconciliation nationale sera sa priorité la plus pressante. Une priorité déclinée déjà lors de la cérémonie de lancement de sa campagne électorale au Stade du 26 Mars devant plus de 50 000 militants et sympathisants.
C’était sans compter avec la détermination et la mauvaise foi d’individus qui avaient fait le déplacement pour justement gâcher la fête. Au nombre de ces personnes mal intentionnées figurait un certain Hervé Ladsous, secrétaire général adjoint des Nations Unies, chargé des opérations de maintien de la paix. C’est sur un ton condescendant, au mépris de l’éclat et de la solennité du jour, qu’il s’est donné le droit de faire la morale aux Maliens.
Il n’en fallait pas plus pour faire sortir le Président IBK de ses gongs et asséner ce que tous les Maliens souhaitaient entendre depuis longtemps.
N’ayant plus d’espace où s’exprimer, Hervé Ladsous a organisé le lendemain une conférence de presse, question de laver l’affront subi la veille. Mais il avait perdu toute grâce aux yeux des Maliens, depuis sa sortie méprisante. Mieux, il a donné l’occasion aux Maliens de taire leurs divergences pour faire bloc dernière le Président de la République en qui ils se reconnaissent. La mobilisation exceptionnelle, suite à l’appel lancé par la Coordination de la Plateforme de la société civile, pour soutenir l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger était aussi un message pour dire que les Maliens soutiennent leur Président.
Le fait est que l’ensemble des Maliens aurait souhaité que ce jour, 15 mai 2015, soit l’apothéose ; que par cette cérémonie de signature, le monde entier découvre que les Maliens peuvent vaincre toutes sortes d’adversités.
Un autre point noir de ce jour annoncé exceptionnel qui n’est pas en réalité une surprise a été l’absence à la cérémonie de signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation, au CICB, des représentants de la Coordination des mouvements armés (CMA). Ils ont argué le même prétexte avancé en mars 2015 pour ne pas parapher « ’l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger »’. Il s’agit de la reconnaissance de l’Azawad en tant qu’entité politique, juridique et territoriale. Ce qui impose l’ouverture de nouvelles négociations dont le Gouvernement ne veut plus. D’ailleurs, la Médiation internationale a elle aussi été très claire sur ce point : les négociations sont terminées, mais il y aura d’autres créneaux pour résoudre les questions qui restent en suspens.
L’attitude des rebelles séparatistes de boycotter la cérémonie solennelle de signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation ne peut être comprise que sous l’angle d’une volonté de tout mettre en œuvre pour que le processus de paix et de réconciliation n’arrive pas à bon port, malgré leurs déclarations de bonnes intentions. Il ne peut d’ailleurs pas en être autrement, dès lors que le statu quo est observé, ils ont ce qu’ils revendiquent : un statut particulier de Kidal qu’ils contrôlent et exploitent à leur guise parce qu’il n’y a pas une administration ou des forces de défense et de sécurité pour les en empêcher.
Enfin, les Maliens ont pu le remarquer que la France, qui a été la première à intervenir dans notre pays, à travers l’opération Serval, pour libérer les grandes villes, était représentée par une Secrétaire d’État. Que le Président HOLLANDE ne puisse pas venir, on passe. Il aurait quand même pu envoyer le ministre de la Défense ou celui des Affaires étrangères qui ont effectué de nombreuses visites, dans notre pays. Il y a un paradoxe qui n’est apparent.
Pour de nombreux observateurs, il y a des raisons évidentes à ce choix : le MNLA qui est l’enfant chouchou des Occidentaux ne venant pas, c’était connu, la France aussi devait trouver le moyen d’être sous-représentée. Ce qu’elle a fait ; donnant une nouvelle fois raison à ceux qui l’accusent de tout mettre en œuvre pour défendre les intérêts des rebelles séparatistes touareg de Kidal. Pour elle, il s’agit de continuer à préserver les relations d’amitié et de fraternité avec le groupe rebelle séparatiste à dominance touareg. Un haut responsable français n’a-t-il pas dit qu’ils étaient l’ami de la France, qu’ils les aident à combattre les terroristes ? Il ne pouvait mieux confirmer ce que tout le monde pense tout bas, même si maintenant, excédés, les Maliens mettent à profit toutes les tribunes pour dénoncer cette alliance contre nature. C’était encore le cas, lors de la grande marche organisée par la Coordination de la Plateforme de la société civile pour soutenir l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger.
Par Bertin DAKOUO
Source: info-matin