Familière du business des otages, cette source tend à privilégier, dans le cas de l’assassinat de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon à Kidal, la piste d’une bande de “sous-traitants” opérant pour le compte d’un groupe djihadiste.
“En l’absence de revendication dans les 72 heures à venir, l’hypothèse de l’enlèvement et de l’assassinat des envoyés spéciaux de RFI par une bande criminelle opérant pour le compte d’un groupe djihadiste deviendra la plus crédible”. Joint dimanche dans la soirée, l’homme qui s’exprime ainsi connaît fort bien les arcanes du sinistre business des otages dans l’aire saharo-sahélienne. “Les factions terroristes, insiste-t-il, finissent toujours par revendiquer leurs attaques.”
Cet initié fonde sa conviction sur un constat: plus des quatre-cinquièmes des Occidentaux kidnappés dans la région l’ont été par des “sous-traitants” avides de monnayer leur butin humain auprès d’éventuels commanditaires.
“Celui qui a détenu le plus de captifs européens, à savoir l’Algérien Abou Zeïd, n’a jamais planifié ni exécuté en personne le moindre enlèvement”, poursuit-il. Allusion au chef d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), tué en février dernier lors d’un assaut des forces françaises du dispositif Serval. “Tel fut notamment le cas en septembre 2010 pour les otages d’Areva, cibles à Arlit (Niger) d’une opération imputée à tort à Abou Zeïd. Lui-même n’était pas sur le terrain. Selon toute vraisemblance, l’assaut a alors été dirigé par un islamiste de père arabe et de mère touareg, Sultan Ould Bady.”
Un temps membre de la katiba -brigade- d’Abou Zeïd, ce dernier a ensuite fondé sa propre phalange djihadiste, tout en maintenant des liens étroits avec son ex-mentor. Il a notamment revendiqué l’attaque-suicide lancée le 23 octobre à Tessalit contre un détachement tchadien, assaut fatal à deux soldats venus de N’Djamena ainsi qu’à un enfant malien. Selon notre témoin, le même Bady serait impliqué dans les kidnappings d’un couple suisse, d’une Allemande et des deux Français enlevés à Hombori (est du Mali), Philippe Verdon -assassiné depuis lors- et Serge Lazarevic.
S’agissant du sort de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon, un autre facteur tend, selon la source citée ici, à fragiliser la thèse de l’enlèvement perpétré par le chapitre maghrébin d’Al-Qaïda: “Les sanctuaires d’Aqmi, avance-t-il, se trouvent à l’extérieur de la ville.
Et ses combattants s’abstiennent de recourir aux moyens de communications modernes. Dès lors, je doute qu’ils aient eu le temps de monter une telle opération et d’infiltrer un commando dans Kidal. Pour autant, on ne peut exclure formellement ce scénario, d’autant que les groupes djihadistes ont affiché à plusieurs reprises leur volonté de s’en prendre aux ressortissants français afin de châtier Paris pour son engagement au Mali.
Mais encore une fois, plus le temps passe, plus je penche pour le gang de sous-traitants désireux de faire un coup et qui, craignant d’être repérés par une patrouille ou un hélicoptère français, auraient cédé à la panique et se seraient débarrassés de leurs prisonniers pour fuir au plus vite.”
Ces supplétifs, précise ce vétéran des missions secrètes, “peuvent venir de n’importe quel groupuscule, y compris d’Ansar ed-Dine”, la mouvance djihadiste fondée par le Touareg malien Iyad ag Ghali, associée lors de la conquête des deux-tiers nord du pays à Aqmi et au Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao).
Le secteur de Kidal, espace de non-droit
Faut-il établir un lien entre le meurtre du tandem chevronné de Radio France Internationale et la libération, quatre jours plus tôt, des “quatre d’Arlit”? Notre source ne croit guère à l’hypothèse, évoquée çà et là, d’un contentieux déclenché par la répartition de la rançon supposément versée en contrepartie du retour à la liberté de Daniel Larribe, Pierre Legrand, Thierry Dol et Marc Féret. ”
Il n’y a jamais de problème de partage, précise-t-il. Tout cela est très bien orchestré par la maison-mère, depuis ses bases arrières du sud algérien. Seule connexion envisageable entre les deux épisodes: une bande de jeunes bandits inexpérimentés, fascinés par le montant qui a très vite circulé -de 20 à 25 millions d’euros-, aurait pu tenter l’aventure.”
Au-delà de ces conjectures, le vieux routier des mystères sahéliens a une certitude: l’assassinat des journalistes de “la radio mondiale” est la conséquence de l’état d’anarchie qui prévaut depuis des mois à Kidal, berceau de l’irrédentisme touareg. “Voilà ce qui advient quand on laisse plusieurs armées rivales cohabiter sans qu’aucune ne maîtrise vraiment la ville et sa sécurité.”
Référence à la coexistence orageuse entre l’armée nationale malienne, qui tente de reprendre pied dans ce fief indocile, et les forces du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), matrice initiale de la rébellion touarègue, chassées par Ansar ed-Dine et ses alliés djihadistes au printemps 2012, mais qui ont repris les commandes de la cité du massif des Ifoghas au début de l’exercice 2013 dans le sillage de Serval, avec l’aval implicite de Paris. Analyse partagée à l’évidence par le ministre nigérien des Affaires étrangères Mohamed Bazoum.
Lequel, à la faveur d’un entretien diffusé ce lundi matin sur RFI, suggère que le MNLA et la communauté internationale -donc la France- ont une part de responsabilité dans la dérive d’un abcès de fixation réduit à l’état d’espace de non-droit. Dérive propice à la résurgence de cellules terroristes, quels que soient les atours dont se vêtent leurs “moudjahidines”.
Par Vincent Hugeux, publié le 04/11/2013 à 11:03
Source: L’Express