Le secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix de l’ONU rappelle que la Minusma joue aussi un rôle politique.
Douze missions de maintien de la paix et plus de 90 000 casques bleus sont sous sa responsabilité. De retour du Mali où environ 12 000 soldats sont déployés dans le cadre de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), le secrétaire général adjoint des Nations unies aux opérations de maintien de la paix, Jean-Pierre Lacroix, souhaite donner à cette mission plus de capacités de réaction.
Au Mali, les casques bleus sont régulièrement visés par les djihadistes. Leur mandat est-il adapté ?
Jean-Pierre Lacroix : La Minusma a un mandat assez robuste, même si le terme de maintien de la paix pose question lorsqu’il n’y a pas de cessez-le-feu à faire respecter. Elle a un rôle de bons offices politiques – fondamental, car la solution ne sera que politique – et de protection des civils qui fait que là où elle est présente il y a de la sécurité. Nos partenaires comme les forces armées maliennes, le G5 Sahel et Barkhane ont un rôle plus proactif contre les groupes terroristes mais nous fonctionnons en complémentarité. Un plan d’adaptation de la Minusma est en cours de mise en œuvre pour lui donner des capacités de réaction supplémentaires.
Quelles conséquences aurait une réduction de l’engagement militaire français, que veut l’Elysée ?
Cela est encore hypothétique et relève de décisions souveraines françaises. Au Mali et au Sahel, nous avons un mandat pour soutenir la force du G5 Sahel et nous sommes en train de renforcer notre appui logistique. Nous travaillons aussi avec les forces armées maliennes, qui sont elles-mêmes formées par l’Union européenne, et essayons de favoriser leur retour sur le terrain. J’observe également la montée en puissance d’acteurs européens avec la Task Force Takuba.
Depuis l’intervention française, il y a huit ans, la menace djihadiste s’est répandue sur l’ensemble du Sahel. Comment la contenir ?
La Minusma et Barkhane évoluent. La force du G5 Sahel a été créée. Il ne faut pas se limiter aux questions sécuritaires : des efforts sont faits pour le retour de l’Etat et le développement de la gouvernance. La tâche est immense mais l’adaptation de la réponse internationale est significative.
Le Mali a connu un changement politique avec la mise en place d’une transition. Il reste quatorze mois avant les élections. Il est fondamental que ce temps soit mis à profit pour faire avancer des dossiers comme l’accord de paix pour le Nord, la mise en place d’une stratégie pour le centre et la restructuration des forces armées maliennes. Il y a une volonté de partenariat affichée par les nouvelles autorités. Nous serons là pour les soutenir.
Bamako souhaite négocier avec les groupes djihadistes. Soutenez-vous un tel dialogue ?
C’est une prérogative des autorités maliennes. Mais il y a encore beaucoup de questions à éclaircir. Quel est l’objectif ? Et qui est susceptible de s’asseoir, de bonne foi, à une table de négociations ?
Une équipe de l’ONU a enquêté à Bounti, là où une frappe aérienne française a fait des morts le 3 janvier. D’après vos constats, des civils ou des djihadistes ont-ils été tués lors de ce bombardement ?
Je n’ai aucun élément car l’équipe d’établissement des faits est encore sur place.
En République centrafricaine, la collaboration de casques bleus avec des paramilitaires russes ne pose-t elle pas un problème de principe ?
Nous avons eu mandat d’aider à la tenue d’élections prévues par la Constitution. En partie grâce à nos efforts, près de deux millions d’électeurs ont pu être enregistrés. Les Centrafricains voulaient voter. Quatre groupes armés à l’instigation de l’ancien président François Bozizé ont débuté des manœuvres pour gêner le processus électoral. Dans certaines zones, on s’est retrouvé avec une participation moindre, mais le président Touadéra a été élu. Il est vrai que le gouvernement a fait venir d’autres partenaires mais la Centrafrique est un Etat souverain.
Cela vous oblige-t-il à collaborer ?
Je n’utiliserai pas le mot « collaborer ». Il y a des éléments rwandais et des éléments russes, appelés instructeurs. Sur le terrain, il faut faire en sorte de ne pas se tirer dessus. C’est dans ce contexte qu’ont été mises en place des instances de coordination. Nous travaillons en permanence avec le souci de protéger la population et de soutenir nos collègues humanitaires. Nous insistons pour que les autres partenaires prennent aussi en compte la présence de ces acteurs.
En République démocratique du Congo, le divorce politique entre Félix Tshisekedi et Joseph Kabila ne risque-t-il pas de menacer votre volonté de retrait graduel ?
Le Conseil de sécurité nous avait demandé de mettre en place une stratégie de sortie, ce qui est sain pour toute opération. Tous les Etats membres du Conseil de sécurité sont cependant d’accord pour dire que cette sortie doit être fondée sur des critères comme le retour de la sécurité, de l’Etat. La Monusco [Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en république démocratique du Congo] a déjà quitté les zones où sa présence n’est plus justifiée. Elle est partie des Kasaï et nous examinons la situation au Tanganyika.
A l’Est, c’est différent. Il y a toujours une économie de guerre. Sur le terrain, là où la Monusco est présente, elle crée des zones de sécurité. Il est très difficile d’empêcher à 100 % les attaques des groupes ou les assassinats des ADF [Forces démocratiques alliées, groupe armé islamiste] qui viennent la nuit dans des endroits reculés. Cela va au-delà du travail de la Monusco. Il faut un renforcement des forces de sécurité et de défense, une volonté politique de faire revenir l’Etat. Il y a une problématique majeure d’exploitation illégale des ressources naturelles. A l’avenir, nous souhaitons continuer de renforcer les capacités de prévention des menaces de la Monusco comme nous le faisons avec la brigade d’intervention rapide.
Aujourd’hui, l’attention est focalisée sur le changement de majorité à Kinshasa. Nous n’avons pas à nous y impliquer, mais nous espérons que cette page politique sera tournée rapidement car nous avons besoin d’un gouvernement en place, d’une majorité qui se focalise sur les problèmes du pays, notamment à l’Est.
Au Darfour le retrait de votre mission n’était-il pas précipité alors que de nouvelles violences se sont produites ?
Un changement politique important est intervenu à Khartoum avec un nouveau gouvernement qui correspondait à la volonté de la population soudanaise et qui a clairement exprimé son intention de réforme, de faire avancer la paix avec l’accord de Juba et de reprendre en main sa sécurité et la protection des civils. Quand nous sommes allés à Khartoum en octobre, on nous a présenté le plan national de protection des civils qui concerne notamment le Darfour. Parallèlement, le gouvernement qui veut marquer le retour à une certaine souveraineté, nous a dit qu’il ne souhaitait plus la présence de la Minuad [Mission conjointe des Nations unies et de l’Union africaine au Darfour] dont le mandat se terminait le 31 décembre.
Le départ de la Minuad ne doit pas cependant signifier l’arrêt du soutien international au Soudan, y compris dans le domaine de la sécurité et de la protection des civils. Il doit être basé sur les attentes exprimées par les autorités soudanaises et dans une approche différente de celle des années 2000 où il avait fallu forcer la main au président al Bachir avec toutes les difficultés qui en ont résulté. Aujourd’hui, la mission des Nations unies au Soudan est plus politique et l’un des enjeux du moment est la mise en œuvre de l’accord de paix de Juba.
Quelles conséquences a la pandémie de Covid-19 sur vos activités ?
Malgré les contraintes, les missions se poursuivent. Aujourd’hui, se pose la question de l’impact sur les finances publiques des Etats membres. Quel sera leur appétit pour continuer à nous financer ? Là-dessus, nous n’avons pas de levier. Or, les conséquences socio-économiques de la pandémie vont être terribles pour nombre de pays africains. Cette détérioration des conditions de vie des populations peut accroître la déstabilisation politique.