Dans une lettre adressée à l’Inspecteur en chef des Services Judiciaires, le Président de l’Association Malienne des Procureurs et Poursuivants (AMPP) et de la Référence Syndicale des Magistrats (REFSYMA), le Magistrat Cheick Mohamed Chérif KONE, en réaction à l’instrumentalisation de l’Inspection des Services Judiciaires par le ministre de la Justice pour régler des comptes aux membres de ses organisations pour avoir en toute responsabilité décidé de se démarquer du projet référendaire concernant la nouvelle constitution, renvoie, avec des arguments de droits, M. l’Inspecteur des Services Judiciaires dans ses cours de droits. Très instructive… Suivez donc !
« Monsieur l’Inspecteur en Chef des Services Judiciaires, depuis l’avènement de la transition dite de rectification, nous déplorons le détournement inquiétant des missions de l’Inspection des Services Judiciaires, devenue un service de règlement de comptes du ministre de la Justice, sur fond de malveillance et de rivalités syndicales, au mépris du principe de l’égalité entre les syndicats de magistrats. Ce service dont les attributions et missions sont déterminées et définies par le texte qui le crée, viole manifestement la loi, en s’érigeant en un super conseil supérieur de la magistrature de fait, tel en gendarme du magistrat, relativement à ses actes détachables de ses fonctions classiques.
En violation flagrante des attributions de l’Inspection des Services Judiciaires, vous vous êtes donné le droit d’interpeller Monsieur Mohamed Saïd SENE, membre de l’Association Malienne des Procureurs et Poursuivants (AMPP) et Secrétaire Général de la
Référence Syndicale des Magistrats (REFSYMA), en date du mercredi 29 mars 2023, du seul fait de son appartenance à la Coordination des organisations de l’Appel du 20 Février 2023 pour Sauver le Mali, dont je suis le Coordinateur Général, laquelle plate-forme, loin d’être un parti politique, est un regroupement des démocrates et patriotes attachés au respect de la légalité constitutionnelle, des valeurs républicaines, de l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Sachant qu’il n’a aucun compte à vous rendre sur les questions liées à l’éthique et à la déontologie du magistrat, Monsieur SENE, par respect à votre autorité, a répondu à votre convocation. Avec la plus grande courtoisie, il vous a fait comprendre avec toutes les preuves légales, qu’il était dans l’exercice légal de sa liberté d’association, conformément à la constitution en vigueur et aux principes 8 et 9 des Nations Unies adoptés au Congrès de la Havane en 1990 sur la liberté d’association du magistrat.
Comme si cela ne suffisait pas, ce jour 31 mars 2023, c’est Monsieur Dramane DIARRA, membre de l’AMPP et Vice-président de la REFSYMA, qui vient de recevoir une convocation de votre part pour enquête administrative, du fait également de son appartenance à la même coordination, dont il est d’ailleurs le Rapporteur général. Celui-ci, avec tout le sens de responsabilité qui le caractérise, vous a répondu le même jour en vous renvoyant au cadre légal d’intervention de l’Inspection des Services Judiciaires.
Notre pays, dans le Préambule de sa Constitution, a souscrit à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 Décembre 1948 et à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 27 Juin 1981, lesquels instruments internationaux reconnaissent expressément le droit d’association à tout citoyen, pourvu que l’objectif de l’association ne soit pas illicite ou contraire à la loi. Quant au Statut Universel du Juge dont j’ai participé à la récente mise à jour, en tant que membre de la commission restreinte de rédaction, au nom du continent africain, il garantit cette liberté aux magistrats.
Pour vous convaincre que nos membres sont l’objet de traitement discriminatoire et de harcèlement de la part du ministre et de vous-même, nous vous renvoyons aux articles 5, 11, 20 et 23 de la Constitution en vigueur, lesquels disposent ainsi qu’il suit : Article 5 : « L’Etat reconnait et garantit, dans les conditions fixées par la loi, la liberté d’association, de réunion, de cortège et de manifestation ». Article 11 : « Tout ce qui n’est pas interdit par la loi ne peut être empêché et nul ne peut être contraint de faire ce qu’elle n’ordonne pas». Article 20 : « La liberté syndicale est garantie. Les syndicats exercent leurs activités sans contrainte et sans limite autre que celles prévues par la loi ». Article 23 : « Tout citoyen doit œuvrer pour le bien commun ».
Pour avoir été exclus des débats sur le projet d’une « nouvelle » constitution, du fait de la remise en cause de la qualité et du défaut de pouvoir de son initiateur, nous ne sommes pas en désaccord avec la loi, lorsque nous nous associons à d’autres organisations pour dénoncer les dérives des autorités de la Transition dont les missions sont limitativement déterminées par la Charte de la Transition. La constitution en vigueur et la charte de la Transition au respect desquelles le Président de la Transition s’est solennellement engagé sous serment, ne lui donnent ni qualité d’initier une révision constitutionnelle, ni un quelconque pouvoir ou mandat pour modifier une seule disposition de la constitution.
L’article 118 de la constitution est sans équivoque : « l’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République et aux Députés. Le projet ou la proposition de révision doit être voté par l’Assemblée Nationale à la majorité des deux tiers de ses membres… Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ». Le pays, à l’heure actuelle, n’ayant ni président de la république, ni députés, la Cour Constitutionnelle ayant été formelle en déniant la qualité de députés aux membres du Conseil National de Transition, il est évident que le projet de nouvelle constitution ou de révision constitutionnelle qui divise tant les maliens, est sans base légale, d’autant plus que le pouvoir central de Bamako n’est pas effectif sur une grande partie du territoire national.
Envisager l’amnistie dans la constitution, en plus d’être une incohérence des auteurs du projet, procède d’une incongruité. Il est curieux que le projet, après avoir indiqué que l’amnistie relève du domaine de la loi ordinaire, ait encore pris le soin de la viser pour organiser l’impunité de crimes considérés comme imprescriptibles, en l’accordant à des personnalités identifiées ou identifiables à l’avance. La suppression subtile de la Haute Cour de Justice au moment où les Etats font des efforts pour rendre cette juridiction, hautement politique, plus fonctionnelle, en revoyant sa composition, en visant des faits constitutifs d’infractions purement politiques, comme matière de travail, s’analyse comme un moyen de couvrir des crimes de forfaiture imputables à des hauts magistrats de la Cour Suprême, dont un a été justement, le rapporteur général de la commission de rédaction du projet.
-Un autre fait fâcheux dans le projet, c’est l’atteinte par tripatouillage subtile au droit du peuple à la désobéissance civile pour la préservation de la forme républicaine de l’Etat, en cas de remise en cause de cette forme. Monsieur l’Inspecteur en chef, nos associations perdraient leur raison d’être si elles devaient soutenir un tel projet illégal ou afficher l’indifférence à un texte taillé sur mesure, plein de contradictions, lequel organise l’instrumentalisation pure et simple de la justice, ainsi que l’impunité, par endroits, de certains crimes ou de certaines personnalités.
Outre le défaut de qualité de l’initiateur de cette révision constitutionnelle tant au regard de la constitution en vigueur que de la charte de la Transition, auxquelles il s’est pourtant solennellement engagé au respect sous serment, ce sont la légalité constitutionnelle et l’indépendance de la magistrature qui sont gravement mises en péril. L’option démocratique étant irréversible d’une part, et la liberté d’association du magistrat étant garantie d’autre part, nous n’avons pas besoin d’une autorisation particulière ou spéciale pour nous associer à tel ou tel groupe qui décide de défendre, à nos côtés les valeurs républicaines et l’indépendance de la magistrature. C’est dire que notre appartenance à l’appel du 20 Février 2023, tout en étant conforme à la constitution en vigueur n’a rien de contraire à une quelconque loi de la République.
Nous défions le ministre de la justice et vous-même de démontrer le contraire. L’exercice de la liberté d’association reconnue au magistrat par la constitution n’étant ni sélectif, ni discriminatoire pour être tributaire de l’humeur des tenants d’un régime, il est temps pour vous de vous rendre à l’évidence, que vous êtes en plein, dans la violation flagrante, tant de nos droits que de la loi qui crée et détermine les attributions et les missions de l’Inspection des Services Judiciaires. L’exercice de la liberté d’association du magistrat étant organisé au Mali par la constitution d’une part, et le domaine d’intervention de l’Inspection des Services Judiciaires, étant, d’autre part, encadré par la loi, nous n’entendons plus vous laisser évoluer en électron libre dans l’intention de nous dresser des obstacles non prévus par aucune loi.
Le citoyen devant individuellement ou collectivement œuvrer pour le bien commun, nous estimons que l’abandon de ce projet de nouvelle constitution pour des raisons évoquées, ainsi que le retour à l’ordre constitutionnel, conformément au chronogramme souverainement établi par les autorités de la Transition, vont dans le sens de l’intérêt commun. A cet égard, pour l’atteinte de nos objectifs, il n’y a rien de plus normal pour les magistrats que nous sommes, de nous associer à toute organisation licite pour défendre les principes et acquis démocratiques, l’Etat de droit, et les valeurs républicaines quand ceux-ci sont gravement menacés.
Les magistrats ont toujours agi dans ce sens, depuis l’avènement de la démocratie pluraliste, sans interpellation d’une quelconque autorité relevant de la tutelle du ministre de la justice. Les objectifs de l’AMPP et de la REFSYMA étant sans équivoque, elles ne peuvent rester indifférentes face à une telle entreprise illégale, n’ayant autre but que de perdurer une Transition devenue insaisissable et trop encombrante, portée sur l’imposition de la pensée unique et des atteintes graves aux libertés et droits fondamentaux, quand bien même que le président de la Transition ait pris l’engagement dans son serment de préserver les acquis démocratiques.
Monsieur l’Inspecteur en chef, la liberté d’association du magistrat, prévue par les instruments internationaux qui lient le Mali, est garantie par la Constitution, qui en fixe les conditions. Il est grand temps de mesurer la portée des actes que vous posez de façon discriminatoire contre nos organisations, sur instructions d’un ministre qui se perd dans un amalgame indescriptible entre la mission assignée au service de l’Inspection des Services Judiciaires, et celles exclusivement dévolues au Conseil Supérieur de la Magistrature.
Dénonçant les traitements discriminatoires dont les membres de nos organisations sont l’objet en raison de leurs divergences avec le pouvoir politique sur les questions de la légalité et de l’indépendance de la magistrature, nous ne voyons pas quelle règle vous conduirait à cautionner d’un côté, les errements des magistrats associés à des groupes de pression qui soutiennent ce projet illégal de constitution et une transition sans fin, et de l’autre, à persécuter ceux attachés à la légalité constitutionnelle, aux valeurs républicaines et à l’indépendance de la magistrature.
Nous concluons que, la liberté d’association du magistrat étant réglée par la Constitution, vous êtes tenu au même titre que le ministre, de vous conformer au principe d’égalité entre les syndicats de magistrats, dans le respect strict de la loi portant création et attributions de l’Inspection des Services Judiciaires ».
La Rédaction
Source : Notre voie