Journaliste pour « Le Point » et « Libération », Olivier Dubois dévoile les secrets de sa détention dans le nord du Mali. Un récit en forme de long – et passionnant – reportage.
« Je suis journaliste. » Cette phrase, Olivier Dubois l’a répétée à ses geôliers chaque fois que ceux-ci l’accusaient d’être un espion français. À la lecture de son livre Prisonnier du désert – 711 jours aux mains d’Al-Qaïda (sortie le 30 janvier aux éditions Michel Lafon), il apparaît qu’aucune sentence ne résume mieux qui il est. Journaliste, il n’a jamais cessé de l’être. Du jour de son enlèvement par le Jnim, un groupe affilié à Al-Qaïda, le 8 avril 2021 dans la région de Gao, au Mali, à celui de sa libération, presque deux ans plus tard, le correspondant du Point et de Libération dans le Sahel a continué de faire son travail. Il est parvenu à prendre secrètement des notes et à les conserver tout au long de sa détention. Rassemblées dans ce livre, elles dévoilent la façon dont il a été trimbalé dans des lieux toujours plus reculés du désert malien.
Tentative d’évasion, interrogatoires musclés, nuits de doute au milieu des scorpions… Sous sa plume alerte – que les lecteurs du Point retrouveront avec plaisir –, le récit se lit comme un long et passionnant reportage. En prime, Olivier Dubois parvient à décrocher ce qu’il était venu chercher le jour de son enlèvement : un entretien avec un haut responsable du Jnim ! Un otage interviewant le chef de ses ravisseurs… Olivier Dubois n’a pas fini de nous surprendre. Revenu en France, il rêve déjà de nouveaux reportages. « Ma captivité n’a pas du tout altéré mon amour pour ce métier », confie-t-il. Journaliste jusqu’au bout.
Le Point : Les circonstances de votre enlèvement à Gao, dans le nord du Mali, sont toujours floues. En savez-vous plus aujourd’hui ?
Olivier Dubois : Je n’ai pas de preuve, mais le seul scénario qui se dessine est le suivant : mon fixeur m’a attiré dans un piège contre une somme d’argent.
Le Jnim, affilié à Al-Qaïda, vous enlève dans une région où opère également Daech. Était-ce une « chance » d’échapper à l’État islamique ?
C’était ma grande peur. Si j’avais été capturé par Daech, je ne serais plus là aujourd’hui. On sait comment ils opèrent : exécutions ultraviolentes, ultrasanglantes et filmées. Le Jnim, lui, kidnappe pour obtenir des rançons.
Passé l’effroi, vos réflexes de journaliste reviennent très vite…
Je le raconte dans mon livre : au début, la terreur domine. Puis, j’ai un sursaut. J’imagine que je suis en reportage, pour tenter de garder pied et pour ne pas sombrer. Je me mets à écrire des notes. Ça m’aide à prendre les jours les uns après les autres. Au bout d’un moment, deux questions se posent à moi : « Vais-je en sortir vivant ? Si oui, comment conserver mes notes ? »
Et vous y parvenez !
Oui. Ces notes, j’ai cru les perdre à plusieurs reprises, mais elles ont survécu. Elles ont été inondées pendant la saison des pluies, elles sont restées cachées des jours dans des sacs, elles ont été découvertes par des moudjahidines, à qui j’ai dit que c’étaient des recettes de cuisine pour qu’ils me les rendent. Elles sont toujours restées avec moi.
L’un de vos geôliers était l’homme qui avait tué deux journalistes de RFI en novembre 2013 au Mali, Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Qu’avez-vous appris sur ce tragique événement ?
Cette question, j’en ai fait ma quête pendant 700 jours. À chaque fois que j’interroge mes ravisseurs, les réponses sont globalement les mêmes. On parle d’une intervention française rapide pour tenter de faire échouer l’enlèvement de Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Certains évoquent des hélicoptères, d’autres des Mirage, on ne sait pas exactement. Toujours est-il que la fuite des ravisseurs est interrompue et que ceux-ci exécutent alors leurs otages. Cette version est validée par l’interview que je fais de Sedane Ag Hita, le numéro deux du Jnim.
Comment faites-vous pour décrocher un entretien avec le chef des djihadistes alors que celui-ci vous retient en otage ?
Au départ, je voulais parler à l’émir d’Al-Qaïda au Sahel, Iyad Ag Ghali, car j’ai pris mon enlèvement comme une trahison. J’ai été kidnappé alors que j’avais une lettre d’invitation pour un entretien. Je pensais que tout était cadré et je me retrouve pris en otage. Je me dis que peut-être cette katiba [un groupe de combattants, NDLR] m’a enlevé par erreur. Au quatrième jour de détention, j’écris une lettre à leur chef pour demander une interview. Je finis par obtenir un entretien avec le numéro deux, Sedane Ag Hita. Il me dit que l’invitation que j’avais reçue pour ma première demande d’interview ne venait pas d’eux. Mais quand je leur demande pourquoi ils m’ont kidnappé et réceptionné à Gao, il y a une gêne. Ils prétendent avoir appris qui je suis en écoutant la radio.
Vous lui demandez même une photo, pour illustrer l’interview. L’avez-vous eue ?
Je voulais une preuve pour authentifier l’interview. C’est un réflexe journalistique. Les photos figuraient bien sur la carte SD qu’ils m’ont transmise.
Qu’est-ce qui a été le plus dur pendant votre captivité ?
Le temps. Lors d’une captivité, tout est très long et moi, ça me révolte. J’avais l’impression que mes ravisseurs me volaient mon temps. L’autre aspect difficile, c’est l’inconnu. On imagine souvent que le plus effrayant, ce sont les hommes qui tiennent les armes et vous menacent. Mais on s’y habitue. On s’habitue aux coups de feu. Par contre, être confronté à l’inconnu, ne pas savoir ce qui va se passer demain, dans une heure, dans une minute, cela fait très peur. Tout peut s’arrêter en un instant. Il suffit d’un message radio, d’une altercation… ça peut basculer très vite.
Deux ans c’est très long, mais bizarrement, dans mon cas, je peux dire que ça a été rapide.
Parmi vos geôliers, certains sont plus ouverts que d’autres. Comment qualifiez-vous la relation qui s’installe entre vous ?
Ça se passait globalement toujours mieux avec les gradés, plus âgés et qui parlaient français pour certains d’entre eux. Je pense particulièrement à Sidi Mohamed, qui devait être un chef de zone et qui m’a traité respectueusement. Avec les jeunes, qui me gardaient la plupart du temps, c’était plus difficile.
Vous croisez d’autres otages pendant votre détention. Le Jnim s’est-il spécialisé dans les enlèvements pour se financer ?
C’est une pratique qu’ils contrôlent depuis plusieurs décennies. On le sent quand on est là-bas : tout est rodé, que ce soit la chaîne logistique, les gardes… Je suis passé par beaucoup d’endroits où ont été détenus d’autres otages, comme Sophie Pétronin. Il y a des zones prévues pour ça, des endroits où personne ne va les chercher.
La mobilisation des autorités françaises a-t-elle été à la hauteur ?
Je ne connais pas tout ce qui a été mis en œuvre. Deux ans, c’est très long, mais bizarrement, dans mon cas, je peux dire que ça a été rapide. Je me voyais être libéré au bout de cinq à six ans ou ne pas m’en sortir du tout… Quand j’entends un audio me disant « dans quatorze jours, tu sors », je n’y crois pas. C’est inespéré.
Il est devenu très dangereux de travailler au Sahel. Les journalistes européens et français doivent-ils continuer d’y aller ?
C’est un problème sérieux pour la presse : les zones de conflits sont désormais tellement étendues… Certaines parties du Sahel sont devenues trop dangereuses, surtout pour les Occidentaux, qui sont perçus, c’est malheureux à dire, comme des millions de dollars sur pattes. C’était compliqué d’y aller à l’époque, ça l’est encore plus aujourd’hui.
Allez-vous continuer à faire des reportages ?
Pour moi, c’est évident, il y a un avant et un après. Je ne vais pas retourner demain avec mon calepin et mon stylo dans le nord du Mali. Mais ma captivité n’a pas du tout altéré mon amour pour ce métier. J’aime le reportage, j’ai envie de continuer à faire mon métier et à former des jeunes journalistes.
Source : Le Point