Alors qu’elle se relève à peine des innombrables bourdes qu’elle accumule et qui n’en finissent pas d’entacher sa crédibilité, dont la dernière en date fût sa fameuse Lettre circulaire, la Cour constitutionnelle vient d’étaler au grand jour, une nouvelle preuve du laxisme qui caractérise cette institution. Se prévalant d’un rôle pédagogique douteux, elle vient d’initier un « Programme pédagogique d’action de formation et d’information sur les élections de 2018 ». Trois fascicules ont ainsi été élaborés, mis en ligne sur son site (www.courconstitutionnelle.ml) et même déjà édités : « La liste électorale en questions », « Ce qu’il faut savoir du rôle de la Cour constitutionnelle du Mali en matière électorale », « Manuel du Délégué de la Cour constitutionnelle pour les élections présidentielles, législatives et les opérations du référendum ». Ces trois fascicules sont élaborés et édités alors même que la loi électorale qui leur sert de support juridique est actuellement en relecture à l’Assemblée nationale. C’est dire combien l’improvisation a pris l’ascenseur dans l’enceinte de la Cour constitutionnelle !
L’opportunité de gaspiller ainsi l’argent public dans un tel contexte est d’autant moins évidente que la qualité pédagogique des trois fascicules demeure sujette à caution. Le fascicule intitulé « La liste électorale en questions », une pâle reproduction pure et simple des articles de la loi électorale, n’est que d’une valeur ajoutée modeste par rapport à l’objectif d’initiation du citoyen moyen au droit électoral. Son approche n’a rien de pédagogique. Quant au fascicule « Ce qu’il faut savoir du rôle de la Cour constitutionnelle du Mali en matière électorale », il contient de nombreuses inexactitudes. Il prétend en contradiction avec le droit électoral malien que le vote est une obligation (Page 7). Sa définition du référendum est incorrecte du fait qu’elle véhicule l’idée erronée comme quoi il n’existerait pas de référendum législatif par exemple (Page 8). Il fait l’amalgame entre un projet de constitution et un projet de révision constitutionnelle en matière de référendum constitutionnel (Page 8). Il cite la CENI parmi les structures chargées de l’organisation des élections (Page 13). Enfin, le fascicule « Ce qu’il faut savoir du rôle de la Cour constitutionnelle du Mali en matière électorale » désigne à tort la DGE par Direction Générale des Elections au lieu de Délégation Générale aux Elections (Page 16).
Outre les deux fascicules cités plus haut, il y a un troisième fascicule intitulé « Manuel du Délégué de la Cour constitutionnelle pour les élections présidentielles, législatives et les opérations du référendum » qui fait véritablement scandale. En vérité, le cas du « Manuel du Délégué de la Cour constitutionnelle pour les élections présidentielles, législatives et les opérations du référendum » est assez symptomatique des dérives laxistes du Programme pédagogique d’action de formation et d’information improvisé par la Cour constitutionnelle. Ce Manuel contribue à saper la crédibilité de l’information juridique produite par la Cour et à faire tourner au fiasco le plus total ledit programme. Au lieu que ce Programme soit au service du droit dans sa rigueur scientifique, la Cour constitutionnelle par la légèreté, les aberrations et inexactitudes qui caractérisent le Manuel du Délégué, en a fait un cocktail dangereux distillé comme un poison au sein d’une opinion publique malienne non avisée sur les questions électorales.
Ce document de 23 pages n’est certainement pas un torchon. Et c’est tant mieux ! Néanmoins, au regard de son style pour le moins libertin et avare en rigueur d’écriture, et surtout des grossières erreurs et des interprétations fantaisistes de la loi électorale qu’il recèle, ce Manuel n’est pas à la hauteur des attentes par rapport à une Cour constitutionnelle chargée de veiller à la régularité des scrutins de 2018, qui se doit d’être irréprochable dans l’interprétation et la compréhension du droit électoral.
Déjà sur la page de garde du document, l’expression « les élections présidentielles » employée plutôt que celle plus convenable d’« élection présidentielle », est assez révélatrice. La présidentielle étant l’élection d’une seule personne (élection présidentielle), il est dès lors incorrect, surtout venant de la Cour constitutionnelle, de conjuguer la présidentielle au pluriel. Mais il y a bien plus grave, comme l’attestent les nombreuses bourdes qui suivent et que l’examen des 23 pages du Manuel fait ressortir.
PAGE 6 : La Cour incapable d‘illustrer ses définitions en référence au droit électoral malien
A cette page 6 où sont données les « définitions de quelques mots », le Manuel mentionne le suffrage direct définit comme le fait pour le corps électoral de désigner directement son ou ses représentants. En guise d’illustration permettant aux Délégués de la Cour de comprendre cette terminologie, le Manuel renvoie, non pas au droit électoral malien, mais plutôt au droit électoral français à travers les exemples de la présidentielle et des législatives françaises. La Cour constitutionnelle est-elle chargée de veiller à la régularité des élections françaises ? Le Manuel s’adresse-t-il à des délégués français de la Cour constitutionnelle ? Le Manuel sombre également dans le même complexe mimétiste lorsqu’en définissant le suffrage indirect, il s’en remet encore une fois à la France par l’exemple de son Sénat et va même jusqu’à s’exiler aux Etats-Unis dont l’élection présidentielle est citée en exemple. Comme pour faire comprendre aux Délégués que le droit électoral malien ne connait point de scrutins directs ou indirects.
A la page 7, le Manuel pour expliquer le vote nul, se perd également dans cette même aventure inappropriée d’expatriation juridique volontaire par des exemples laborieusement tirés du droit électoral français au mépris de notre propre législation électorale. C’est tout simplement honteux de la part de la Cour constitutionnelle !
PAGE 7 : Le vote blanc mal défini par la Cour
La Manuel se contente ici de définir le vote blanc uniquement par le fait « de ne voter pour aucun des candidats ou aucune des propositions dans le cas du référendum ». Il ajoute que le vote blanc « est à différencier de l’abstention (absence de vote) et du vote nul (vote non valable) ». Cette formulation bancale ne dit rien sur la conséquence du vote blanc, alors qu’elle précise par ailleurs que le vote nul est un vote non valable. Le Manuel aurait dû être plus explicite en notant que le vote blanc et le vote nul sont tous les deux considérés en principe comme des votes non valables en tout cas dans notre droit électoral et ne sont donc pas comptabilisés dans les suffrages exprimés.
PAGE 9 : Des omissions et des erreurs sur les compétences contentieuses et consultatives de la Cour
C’est le comble de l’absurdité que de constater qu’un Manuel officiel de la Cour constitutionnelle donne des informations erronées sur les compétences de l’institution elle-même ! Ainsi à la page 9, le contentieux normatif évoqué se borne au contrôle de constitutionnalité des lois organiques et des règlements intérieurs des assemblées. Pas un seul mot en revanche quant au contrôle de constitutionnalité des lois (autres catégories de lois selon la Constitution) et de certains engagements internationaux du Mali. De surcroit, le Manuel omet de citer l’ensemble des autorités habilitées à saisir la Cour constitutionnelle aux fins de contrôle de constitutionnalité, se contentant uniquement du Président de la République, du Premier ministre et du Président de l’Assemblée nationale. Il manque à cette énumération, le dixième des députés, le dixième des Conseillers nationaux et le Président de la Cour Suprême qui peuvent également saisir la cour constitutionnelle en la matière.
Le passage du Manuel relatif aux compétences consultatives de la Cour constitutionnelle est également tiré par les cheveux. Il est simplement écrit dans le Manuel que « la Cour constitutionnelle émet un avis lorsqu’elle est consultée officiellement par le chef de l’Etat ». Ce qui est assez réducteur, car l’on sait que la procédure consultative implique également le Président de l’Assemblée nationale et le Premier ministre. Par ailleurs, le Manuel se plante proprement en affirmant que « le gouvernement consulte la Cour constitutionnelle sur les projets de décrets relatifs à l’organisation du scrutin pour l’élection du Président de la République, des députés et le référendum ». C’est totalement faux et cette allégation ne repose sur aucun fondement juridique.
Le Manuel a tout simplement extrapolé à la présidentielle et aux législatives, ce qui n’est applicable qu’en matière référendaire où il est prévu une procédure systématique de consultation de la Cour constitutionnelle comme soulignée à l’article 26 de la loi organique sur la cour constitutionnelle selon laquelle celle-ci « est consultée par le gouvernement pour l’organisation des opérations de référendum… ». La consultation de la Cour constitutionnelle n’est pas systématique en ce qui concerne les projets de décrets relatifs à l’élection présidentielle et aux élections législatives. C’est ainsi par exemple que si le décret sur le modèle de déclaration de candidature à la présidentielle et aux législatives requiert l’avis préalable de la Cour, le décret convoquant le collège pour les législatives et la présidentielle et le décret relatif au soutien aux candidats en revanche sont exemptés de toute consultation préalable de la Cour constitutionnelle.
Page 12 : La Cour omet le cas de l’utilisation des scellés
C’est à se demander si la référence légale ayant servi à l’élaboration du Manuel ne date pas des années 90. Le Manuel conseille aux Délégués de la Cour de s’assurer dans les bureaux de vote de la « fermeture à deux clés de l’urne par le Président du bureau de vote qui en conserve une et remet l’autre à l’assesseur le plus âgé ». Or l’article 91 de la loi électorale en vigueur dispose à l’alinéa 2 : « Avant le commencement du scrutin, l’urne est fermée par scellé ou par deux serrures ou cadenas dissemblables… ».
PAGE 12 : La Cour invente des « assesseurs suppléants »
On peut ainsi lire en haut de la page 12 du Manuel qu’« après l’ouverture du scrutin, les assesseurs suppléants ne peuvent plus remplacer les assesseurs titulaires » ! Or nulle part dans la loi électorale, il n’est fait allusion à un quelconque assesseur suppléant. Il n’existe pas d’assesseurs suppléants. C’est bien pour cette raison que la loi électorale en son article 83, habilite le Président du bureau de vote à procéder le jour du scrutin au remplacement des assesseurs absents par des électeurs inscrits dans le bureau de vote concerné, qui se trouveraient sur place. C’est bien pour cette raison que la loi électorale prévoit également qu’en cas d’empêchement du président, l’assesseur le plus âgé assure la présidence du bureau de vote et complète le nombre d’assesseurs parmi les électeurs du bureau de vote concerné qui seraient disponibles sur place.
PAGE 14 : La Cour croit à tort que le Gouverneur fixe le nombre, l’emplacement et le ressort des bureaux de vote
C’est une formidable méprise de la part de la Cour que d‘écrire dans le Manuel que parmi les documents déposés sur la Table de vote, figure entre autres « un exemplaire de la Décision du Gouverneur de région fixant le nombre, l’emplacement et le ressort des bureaux de vote ». Le Gouverneur de région n’est nullement concerné par cette Décision.
Il s’agit dans le meilleur des cas d’une demie vérité, si l’on admet que la loi électorale considère le Gouverneur du District de Bamako et non le Gouverneur de région, comme l’équivalent du Préfet. Dans l’absolue, un tel document est tout simplement inexistant, puisque selon l’article 82 de la loi électorale « Le nombre de bureau de vote ainsi que le nombre d’électeur par bureau de vote, l’emplacement et le ressort des bureaux de vote sont fixés par décision du représentant de l’Etat dans le Cercle et dans le District de Bamako et de l’Ambassadeur ou du Consul ».
PAGE 14 : La Cour ne sait pas que les carte d‘électeurs non distribuées ne sont pas déposées dans les bureaux de vote
Comme autre document à déposer sur la Table de vote, le Manuel de la Cour cite « les cartes d’électeurs qui n’ont pu être remises à leurs titulaires avant le scrutin ». C’est totalement faux, puisque l’article 62 de la loi électorale dispose : « Les cartes NINA qui n’auraient pu être remises à leurs titulaires jusqu’à la veille du scrutin, sont déposées contre décharge auprès du Sous-préfet, du Gouverneur du District de Bamako, de l’Ambassadeur et du Consul avec le procès-verbal. Ces cartes resteront à la disposition de leurs titulaires qui peuvent à tout moment les retirer sur justification de leur identité ». En aucun cas, la loi électorale n’a prévu le dépôt et la distribution des cartes d’électeurs restantes dans les bureaux de vote. Du coup, l’alinéa suivant que l’on retrouve à la page 16 est complètement erroné : « Les électeurs qui dans la salle de vote veulent récupérer leurs cartes doivent justifier leur identité avant la remise de la carte ; mention en sera faite au procès -verbal ».
PAGE 15 : La Cour ne sait pas que les cartes NINA qui font office de cartes d’électeur ne sont pas estampillées
Le Manuel resté coincé dans les profondeurs du passé, n’a très probablement pas conscience des évolutions du droit électoral de notre pays. L’avènement des cartes NINA en 2013 a rendu obsolète cette procédure d’estampillage qui n’est plus prévue par la loi électorale en vigueur.
PAGE 16 : La Cour piétine la procédure légale de vote quelle maîtrise mal
Le premier acte de procédure de vote décrit par le Manuel est le suivant : « L’électeur présente sa carte d’électeur ou fait constater son identité (par la présentation d’une carte d’identité, d’un carnet de famille ou du témoignage de deux électeurs) ». Encore du faux et usage de faux! Cette disposition n’a rien à voir avec la loi électorale en vigueur qui, en son article 89, dispose : « A son entrée dans le bureau de vote, l’électeur fait constater son identité par sa carte NINA. La carte NINA est l’unique document d’identification admis dans le bureau de vote. Le citoyen inscrit sur la liste électorale, mais ne disposant pas de sa carte NINA, ne peut en aucun cas être admis à voter ».
Comme chacun peut le constater au vu de ces erreurs grossières dont nous n’avons pourtant retenu que les plus caractéristiques, ce Manuel dont la Cour constitutionnelle fait actuellement la promotion à coups de matraquage médiatique, n’honore guère la République. De quel droit la Cour constitutionnelle chargée de veiller à la régularité des scrutins de 2018, se permet-elle d’élaborer et de publier « sous son haut patronage »un Manuel cousu d’inexactitudes juridiques qui est pourtant censé aider ses Délégués à s’acquitter correctement des tâches qui leur reviennent le jour du scrutin dans les bureaux de vote.
Il faut d’ailleurs rappeler ici que dans cette histoire de Délégués, la pratique en la matière n’honore déjà pas trop la Cour constitutionnelle qui abuse manifestement de l’alinéa 3 de l’article 26 de la loi organique sur la Cour qui est pourtant assez explicite : « La Cour peut désigner un ou plusieurs délégués choisis avec l’accord des ministres compétents parmi les magistrats de l’ordre judiciaire et administratif pour suivre sur place les opérations référendaires et les élections présidentielles ».Dans la pratique, on a vu la Cour plutôt s’affranchir de cette contrainte en faisant recruter du tout-venant comme Délégués, au point de rendre suspect et douteux pour défaut de base légale, les rapports qu’ils produisent.
En se proposant de mettre à la disposition de ses Délégués tout-venants, un document truffé de grossières erreurs d’interprétation de la loi électorale, le Cour ne fait que fragiliser davantage la valeur de preuve éventuelle des rapports d’observation desdits délégués, et partant, l’autorité même de son propre pouvoir de contrôle des scrutins de cette année 2018.
L’édition 2018 du « Manuel du Délégué de la Cour constitutionnelle pour les élections présidentielles législatives et les opérations de référendum », à cause des nombreuses irrégularités qu’il comporte et qu’une cour constitutionnelle digne de ce nom ne devrait patronner, ne peut que s’assimiler à un parchemin destiné à piétiner la loi électorale.
On ne saurait, dans l’irrégularité, prétendre veiller à une régularité. L’édition 2018 du Manuel du Délégué doit tout simplement être retirée du site officiel de la Cour constitutionnelle et de tous les circuits de distribution du document pour être ensuite jetée à la poubelle, le temps pour la Cour de revoir entièrement sa copie comme un élève assez moyen qui peut mieux faire.
Dr Brahima FOMBA
Université des Sciences Juridiques
et Politiques de Bamako(USJP)
Source: L’ Aube