Suite à l’assassinat de la jeune fille albinos, Ramata Diarra, à Fana, en mai dernier, un groupe de jeunes dynamiques, tous les bords confondus, a pris l’initiative de rendre hommage à cette jeune âme à travers la plume. Derrière cette initiative se trouve Aicha Diarra, écrivaine et présidente de l’Association Voix du Mali qui œuvre depuis 2013 dans le domaine de la culture et des droits de l’Homme. En tant que footballeuse, elle a été championne du monde des moins de 14 ans (Norway CUP 2008). Contactée par notre équipe, elle nous parle de cet ouvrage commun intitulé « 200 poèmes pour Ramata Diarra ».
Lisez l’entretien !
Le Pays : Pourquoi rendre hommage à Ramata ?
Aïcha Diarra : D’abord, il faut noter que je ne suis pas une experte des questions de l’albinisme, je suis juste une citoyenne, une activiste, une écrivaine sensible aux violations des droits de l’Homme. Le droit à la vie fait partie des conditions humaines ou universelles. L’absence de mélanine dans le corps qui justifie cette différence au niveau des couleurs de la peau est malheureusement mal comprise ou mal interprétée dans notre société. Ce phénomène a engendré des croyances et des superstitions qui consistent à rejeter les albinos comme des sous-hommes ou bien même à dire que les membres d’un albinos procurent la richesse ou le pouvoir. Cette croyance que s’est appropriée une partie de notre société est une violation flagrante des droits de l’homme et de nos valeurs culturelles comme par exemple la charte du Mandé dans laquelle il est dit :
« 1. Les chasseurs déclarent :
Toute vie (humaine) est une vie.
Il est vrai qu’une vie apparaît à l’existence avant une autre vie,
Mais une vie n’est pas plus “ancienne“, plus respectable qu’une autre vie
De même qu’une vie n’est pas supérieure à une autre vie.
- Les chasseurs déclarent :
Toute vie étant une vie,
Tout tort causé à une vie exige réparation.
Par conséquent,
Que nul ne s’en prenne gratuitement à son voisin,
Que nul ne cause du tort à son prochain,
Que nul ne martyrise son semblable. »
C’est dire que cette croyance superstitieuse ne fait même pas partie de la culture de notre pays et est condamnée à juste titre à travers cette partie de la charte du Mandé que je viens de citer.
Rendre hommage à Ramata est d’abord un cri de cœur car nous ne pouvons pas continuer à garder le silence face à ce phénomène cruel et inhumain qui existe au Mali, en particulier depuis des années, et en Afrique en Général. Les albinos sont victimes de sacrifices humains et de superstitions.
Rendre hommage à Ramata Diarra à travers la plume, plus précisément à travers des écrits, est une manière de maintenir vivante la mémoire d’une enfant victime de croyances superstitieuses rétrogrades. Par la même occasion, secouer une société qui s’est appropriée cette superstition et qui est caractérisée par son indifférence et son absence d’engagement militant. C’est aussi un moyen d’alerter le monde sur le sacrifice rituel des albinos et pas seulement les albinos, mais aussi des enfants en général. C’est donc un moyen de pérenniser ce combat contre cette barbarie.
Qui vous accompagne dans cette initiative ?
Nous avons le soutien de la Fondation Salif Keita, de l’Association Malienne pour la protection des personnes atteintes d’albinisme, du Magazine Magma, de l’Association Kalan ani Gnèta, de la Foire aux manuscrits, de MaliCulture, du Groupe Agoratoire, de Otina Communication, du Café de Laye.
Il est évident que ce projet nécessite des appuis, surtout pour la conception de l’ouvrage en quelques milliers d’exemplaires. Malheureusement nous avançons avec nos moyens propres, notre bonne volonté.
Nous lançons un appel à toute personne ou organisation pouvant aider dans l’élaboration de ce projet et de lutter contre ce fléau.
Les revenus du livre seront-ils destinés à la famille de la défunte ?
Nous souhaitions distribuer le livre gratuitement partout au Mali et en dehors du Mali, dans les écoles, les bibliothèques, etc. Malheureusement nos moyens ne nous permettent pas de le faire. Concernant l’édition de l’ouvrage, nous sommes en train d’avancer à compte d’éditeur, c’est-à-dire que l’éditeur finance le livre avec ses moyens, à ses risques et périls. Quel que soit le nombre d’exemplaires, 50% reviendront à l’éditeur qui se fera rembourser à 50 % la somme engagée et 50% sont destinés à la famille de notre chère petite Ramata, paix à son âme.
Au départ, nous aurions voulu que l’intégralité revienne à la famille, mais malheureusement les réalités de l’édition ne nous le permettent pas. Certaines mauvaises interprétations peuvent laisser penser que nous sommes en train de nous faire de l’argent sur ce livre, mais c’est faux. Nous ne le ferons jamais, nous n’empocherons aucun sou provenant de cette initiative née d’un drame humain. Ce serait une insulte pour la mémoire de Ramata.
Aussi, je souhaite rassurer les uns et les autres que cela n’est pas notre intention. Au contraire, le comité de pilotage déploie ses moyens propres pour l’aboutissement de cette opération. Nous le faisons avec notre cœur parce que notre vrai objectif derrière tout ça, c’est de rendre Hommage à Ramata, c’est d’alerter, c’est de lutter contre cette pratique inhumaine qui existe au Mali, voire en Afrique.
Le prix du livre pourrait être fixé à 2 000 FCFA, un prix accessible pour tous et dont 50% des recettes de vente reviennent à l’éditeur et 50% à la famille de la fillette.
Les principaux contributeurs sont-ils tous des jeunes ?
Il faut d’abord noter que nous avons la participation d’une dizaine de pays, dont le Mali, le Sénégal, le Niger, le Maroc, le Cameroun, le Gabon, l’Algérie, la Côte d’Ivoire, la France.
Nous sommes majoritairement des jeunes universitaires et des cadres de différents domaines qui travaillent sur le projet, mais pas seulement des jeunes. Nous avons la participation de personnes plus âgées, par exemple Monsieur Benjamin Jules Rosette, directeur-fondateur du Théâtre Noir de Paris et conseiller au Ministère de la Culture et du Tourisme du Sénégal. Ce dernier a environ 74 ans. Donc presque chaque couche est représentée pour dire tous ensemble que nous sommes Ramata.
Parmi les principaux contributeurs, il y a une équipe très dynamique qu’est le comité de pilotage que je dirige. Derrière moi se trouvent des personnes compétentes, animées de bonne volonté qui contribuent tous, à leur manière, à la réussite du projet. Ce sont Mohamed Diarra, écrivain (Mali) Cheick Oumar Traoré, informaticien (Sénégal) ; Oumou Armand Diarra, écrivaine, enseignante (Mali) ; Chérif Diallo (Guinée Conakry) Youssouf Tata Diarra, anthropologue (Mali) ; Assane Koné, Journaliste (Mali) ; Faganda Keita, chercheur (Mali) ; Mahamane Sangaré, président de l’Association Lecture vivante Tombouctou.
Nous travaillons sous l’hégire de l’Association Voix du Mali qui est une association pour la culture et la défense des droits de l’Homme.
Propos recueillis par Fousseni TOGOLA
Source: Le Pays