C’est parce que Maradona a beaucoup donné au football que presque tout lui a été pardonné
Envers les footballeurs, la côte d’amour des supporters n’est pas forcément celle des commentateurs. Elle est portée par un élan spontané qui fait délibérément abstraction des réserves propres aux analystes pour ne retenir que les moments de pur plaisir apportés par les fulgurances des artistes.
L’histoire du ballon rond est parsemée de destins incomplètement accomplis, mais qui continuent à nourrir dans les conversations des vrais amoureux du football une admiration mêlée d’une pointe de regret. Les enfants terribles qui savent mettre un grain de folie dans leurs exploits jouiront toujours d’une affection particulière dont ne bénéficieront peut-être jamais des stars peut-être aussi douées qu’eux, mais à la personnalité beaucoup plus lisse.
C’est en acceptant cette vérité que l’on peut comprendre l’extraordinaire engouement populaire qui a entouré jusqu’au bout Diego Armando Maradona. Cela malgré des foucades et des excès qui auraient réduit en cendres la réputation de toute autre célébrité. C’est en acceptant cette vérité que l’on peut aussi comprendre les raisons de l’extrême réserve que les Argentins continuent de nourrir à l’égard de Lionel Messi.
Omar da Fonseca, talentueux chroniqueur de la chaîne Bein Sports, expliquait dans une récente interview que ses compatriotes avaient en aversion tout «pecho frio», c’est-à-dire tout joueur qui ne salit jamais son short, qui joue dans le confort. Ils n’admettent pas non plus qu’un attaquant n’ait pas «le mensonge dans son corps». Autrement dit, qu’il soit pourvu d’une technique qui lui permette de tromper l’adversaire et de se sortir de toutes les situations.
On ne fera pas l’injure à Messi de se montrer incapable d’engagement, ou encore d’être défaillant dans son expression technique. Mais rapportée à celle de Maradona, sa légende reste encore à écrire en Argentine. Il faut se rappeler que le fameux but du siècle marqué par El Pibe de Oro a été valorisé par deux particularités. Il le fut non seulement sur la plus grande scène footballistique mondiale, mais aussi dans un contexte politique de tension très particulière entre son pays et l’Angleterre.
Le milieu de terrain Jorge Valdano, qui accompagna Maradona tout au long de sa percée (dix secondes de course et autant de touches de balle), raconta plus tard que Maradona lui avait avoué plus tard avoir eu à plusieurs reprises l’intention de lui donner la balle, mais à chaque fois, il s’était dit qu’il réussirait mieux seul. «Et il a bien fait», conclut Valdano.
UNE IMPLICATION HORS NORME- Il est important aussi de se rappeler qu’à la Coupe du monde de 1990 en Italie, Maradona avait tenu à bout de bras – et sans formuler la moindre remarque – une très médiocre sélection argentine qu’avait montée l’entraîneur Carlos Bilardo, adepte d’un football ultra-défensif, mais qui avait remis le destin de l’équipe entre les pieds de son prodige.
Il est dommage que nos lecteurs les plus jeunes ne puissent avoir la possibilité de mesurer l’implication hors norme démontrée dans un contexte ingrat par le meilleur numéro 10 au monde. En s’appuyant sur l’unique talent offensif du team, l’attaquant Claudio Caniggia, Maradona emmena les siens jusqu’en finale en battant notamment dans les phases d’élimination directe le Brésil et (aux tirs au but) le pays hôte. A bout de souffle, le maestro ne put empêcher l’Argentine de plier en finale sur un penalty d’Andreas Brehme.
C’est parce que Maradona a beaucoup donné aux supporters et au ballon rond qu’il lui a été presque tout pardonné par les vrais amoureux du football. Peut-on en effet imaginer, aujourd’hui, un grand talent quitter une institution comme le Barça et relever le challenge de mettre sur la carte du football un club sans palmarès, tel que le fut Naples ? Dans un univers qui fait actuellement flamber de manière artificielle la valeur supposée de joueurs de second ordre, El Pibe de Oro clôture sans doute la liste des enfants terribles sur laquelle figurent également ces talents explosés en plein vol que sont l’Irlandais Georges Best et le Péruvien Hugo El Cholo Sotil. Lorsque sont évoqués ces joueurs, les statistiques n’ont pas leur place. C’est l’émotion qu’il faut laisser parler.
G. Drabo
Source : L’ESSOR