Kafo Jiginew, institution mutualiste d’épargne et de crédit, ne cesse de grandir depuis sa création en 1987. A la veille de son Assemblée générale, et après sa digitalisation réussie, le directeur général, Ibrahima Kéita, explique les enjeux futurs pour l’institution. Entretien.
Mali-Tribune : Quel est le bilan 2022 de Kafo-Jiginew ?
Ibrahima Kéita : Je voudrais tout d’abord prier pour le retour rapide de la paix et de la quiétude, sans lesquelles aucun développement durable n’est possible ; m’incliner sur la mémoire de tous ceux qui ont perdu la vie pour le Mali.
Kafo-Jiginew évolue dans un environnement économique et social tributaire d’un environnement sous régional, international et national en crise. Deux faits saillants ont marqué la vie de l’institution en 2022. Il s’agit notamment de la fermeture de 16 guichets suite à l’insécurité dans le Mali Sud et leur délocalisation dans d’autres guichets situés dans les zones plus sécurisées. Aussi, la baisse drastique de plus de 20 milliards des recettes du coton de nos membres qui sont domiciliées dans les guichets, passant de plus de 27,7 milliards en 2021, à 7 milliards en 2022. Malgré le choc des différentes crises, Kafo-Jiginew a su faire face à la situation grâce à ses capacités d’adaptation et d’anticipation. Ainsi, nous avons mis en place une stratégie de gestion en adéquation avec notre plan d’affaire qui s’adapte à l’actualité économique, environnementale pour maintenir notre performance globale.
Nous avons également mis en place une feuille de route pour tracer des directives qui ont permis de mieux articuler la gestion de l’institution à toutes ces crises. La modernisation de notre système d’information, la digitalisation, l’adaptation des produits et services aux besoins des membres ont permis à Kafo Jiginew de persévérer. Ainsi, en 2022, l’essentiel des agrégats est à la hausse :
Le sociétariat a évolué de 10 645 nouvelles adhésions pour atteindre 458 000 sociétaires.
Les nouveaux crédits octroyés sont passés de 48 milliards à 52 milliards avec son corolaire d’accroissement de l’encours de crédit en fin d’année de plus de 2 milliards, passant de 45,2 à 47,3 milliards.
La qualité du portefeuille qui est un indicateur très important dans un contexte de crise, est bien maîtrisée, de même que la maîtrise des charges de façon générale.
La résultante de tous ces efforts a permis Kafo-Jiginew de consolider et de confirmer sa performance financière de 2021 qui était le record inégalé depuis sa création, en passant d’un résultat bénéficiaire de 1,68 milliards en 2021 à 1,82 milliards en 2022, correspondant à un accroissement de 1,31%. Cette performance financière est très encourageante dans notre contexte. Nous sommes en train de prendre des mesures pour prévoir l’avenir.
Mali-Tribune : Quel est le secret de cette réussite dans notre contexte ?
I.K : Une institution financière, c’est d’abord la compréhension de son environnement pour mettre en place une organisation et des outils de gestions adaptés. Ensuite, mettre les hommes et les femmes qu’il faut, à la place qu’il faut. A Kafo-Jiginew, cela est déjà un pari relevé. C’est l’occasion pour moi de féliciter tout le personnel et les élus (nouvellement en place), qui ont su insuffler un nouvel élan à l’institution. Les deux intelligences, élus et techniciens, plus l’accompagnement des partenaires techniques et financiers, des autorités monétaires et de l’état, nous ont permis de transformer les menaces en opportunités.
Mali-Tribune : Comment se présente la digitalisation du réseau ?
I.K : Nous sommes dans un monde de sauve-qui-peut. Le plus souvent les plus petits et les plus faibles sont absorbés par les plus grands et les plus performants. L’enjeu est de rester plus performant et dynamique afin de tirer une relation intelligente et gagnant/gagnant avec les autres acteurs. Ainsi, la modernisation a un coût et des exigences. Mais, aujourd’hui, elle est indispensable pour la survie de toutes les institutions à l’instar des institutions financières. Les acteurs économiques n’ont plus le temps de se déplacer pour certains services.
Toute institution financière qui n’a pas les moyens de paiement à distance est vouée à l’échec à moyen et long terme. Cette transformation digitale est indispensable à la modernisation. La digitalisation et transformation technologique sont pourtant le pari le plus risqué d’une institution. Les statistiques mondiales ont montré qu’elle connaît un taux d’échec de 75%. C’est vous dire combien l’enjeu est grand dans la gouvernance d’une entreprise.
Nous avions commencé la modernisation depuis fin 2020 début 2021. Nos défis étaient encore plus grands. Sur nos 153 guichets, plus de 100 sont en milieu rural, là où il n’y a pas d’électricité, ni de connexion internet qui sont pourtant indispensable pour un « SIG » moderne et la digitalisation. Nous saluons également nos devanciers à la tête de Kafo-Jiginew qui ont compris la nécessité de l’interconnexion de nos réseaux et qui avaient mis la modernisation du réseau parmi les axes majeurs. Tous les investissements ont été faits sur fonds propre sur les 5 dernières années et conformément aux directives du plan d’affaire 2019-2024. Aujourd’hui, nous avons nos 153 guichets interconnectés, électrifiés avec des panneaux solaires souvent, ce qui est un lourd investissement.
En ce qui concerne la modernisation du système d’information et de gestion, il y a eu des phases compliquées, comme la migration du plan comptable et celle du système d’exploitation. Nous avons connu beaucoup de perturbations de l’activité, un véritable pari risqué, mais un pari réussi. Aujourd’hui, les avantages sont nombreux et incommensurables, la digitalisation a permis par exemple, que les 16 guichets délocalisés à cause de l’insécurité n’impactent pas les populations. Malgré l’absence des guichets physiques, grâce à la digitalisation, elles vont continuer à bénéficier de tous les services de Kafo-Jiginew. L’institution est encore là parce qu’elle a su anticiper et faire face à la concurrence. Aujourd’hui, nos sociétaires ont commencé à bénéficier des services innovants, et à moindre coût en partenariat avec Orange Finance à travers Orange money, avec la FINAO à travers la carte bancaire co-brandée « FINAO/Kafo Jiginew) et bientôt avec la BNDA ou nos membres bénéficierons les services digitaux des cartes bancaires en utilisant les lourds investissements des banques et des « FINTECH » partenaires.
Mali-Tribune : Quels sont vos objectifs pour 2023 ?
I.K : Comme je le disais, nous avons su transformer les menaces en opportunités. C’est en 2023 que nous verrons beaucoup plus les effets des impacts de certaines situations, comme la crise ukrainienne, la crise du coton. Les riches s’enrichissent, les pauvres vont continuer à s’appauvrir et même disparaître. Et pour résister aux effets néfastes de ces chocs, il faut innover et persévérer.
La crise russo-ukrainienne et l’insécurité ont impacté le coton qui fait vivre plus de 4 millions de Maliens. Il est une grande source de la rentrée des devises pour le pays. En 2021, les flux de trésorerie des recettes coton qui ont transité par nos caisses étaient de 27 milliards F CFA. Il est tombé à 7 milliards F CFA en 2022. C’est pour dire que toute cette tension économique amorcée en 2022, va avoir plus de répercussion en 2023.
Malgré tout, nous travaillons pour atténuer les risques. La modernisation et la digitalisation constituent des réponses, car avec notre membership, la digitalisation nous permet d’engranger des ressources et des commissions complémentaires qui permettent de faire face aux chocs.
Nous sommes optimistes et confiants malgré la crise.
L’avenir est dans la digitalisation. Nous travaillons conformément à notre Vision qui est « d’Assurer l’inclusion financière par une bancarisation de masse sur tout le territoire national » et notre Mission qui est « Offrir des services financiers de proximité tels que (l’épargne, le crédit, le transfert d’argent et autres prestations) au plus grand nombre de personnes au Mali pour l’amélioration de leurs conditions de vie ». Nous n’allons pas nous écarter de cette ligne directrice. En notre qualité de coopérative financière, nous travaillons à la satisfaction de nos membres et à rester compétitifs, en tenant compte de l’insécurité et de la concurrence et en intelligence dans un partenariat gagnant/gagnant avec les autres acteurs de l’écosystème sur le plan national, sous régional et international.
Propos recueillis par
Alexis Kalambry
Mali Tribune