Un politologue Rwandais avait coutume de nous dire: «la politiques a ses raisons que les raisons ignorent».
Ainsi, on pourrait dire que ce qui semble clair en politique est tout à fait obscur, pendant que «l’incompréhensible» saute aux yeux de tous ceux qui veulent voir ! Depuis l’annonce par IBK de sa décision de suspension de son projet de révision et donc de modification de la Constitution, les commentaires se succèdent, s’entremêlent mais divergent en bien de point.
Globalement, l’écrasante majorité des Maliens trouvent que le Président de la République a pris une décision vraiment «sage». Du coup dit-on, c’est là le vrai Président, celui qui est à l’écoute de son peuple.
Certes, il a reçu bien de sensibilités sur la question et il les a écoutés avec grand intérêt. Ainsi, loue-t-on son sens élevé de la responsabilité ! Selon une autre tendance, encore moins nombreuse, IBK était sous pression. Comme pour dire qu’il a cédé devant la contestation de plus en plus grande et généralisée pour sauver son pouvoir.
Dans ce cas de figure, il recule pour mieux sauter dans la mesure où il ne dit nulle part qu’il renonce à son projet qui fait l’objet de disputes entre les acteurs de la scène politique nationale d’une part et de l’autre le Président. Mais selon toute vraissemblance, IBK cherche à calmer les ardeurs et faire occuper les gens à autre chose.
Pendant ce temps, des bouches et des esprits seront cousus et probablement aux moyens de billets de banque et /ou de nominations dans les rangs des contestataires. Dans le numéro précédent nous avions déjà dit que ceux-là qui se font appeler «opposants» ne le sont que de façade juste le temps de trouver à cacher leur tête à des postes pour le moins juteux. Ils rejoindront les rangs du Président, pour vu que celui-ci les remette en selle. Ainsi va le Mali ! Ainsi se comportent bien de politiciens maliens.
Les hommes qui se font appeler maladroitement de l’opposition sont à vrai dire des politiciens criquets qui choisissent toujours de quel coté on vit mieux. Ils sont exactement comme ceux qui se disent neutres dans le cadre de la politique nationale ou de la politique tout court. Ceux-ci se veulent assis entre deux chaises.
C’est au regard de cette position pour le moins incongrue que Jean Pau Sartre a dit: «Refuser de choisir, c’est choisir de ne pas choisir. C’est aussi un choix». Leur vraie couleur n’est donc rien d’autre que celle d’un oppresseur, d’une sangsue. Desmond M’pilo Tutu, archevêque anglican sud et Prix Nobel de la paix, en 1984, disait avec juste raison. «Si tu es neutre en situation d’injustice, c’est que tu as choisi le coté de l’oppresseur».
Dans tous ces cas de figure, il ne fait l’ombre d’aucun doute que le Président n’avait pas le choix face à la montée fulgurante de la tension dans tous les secteurs de la vie nationale. Cette situation des plus défavorables à son règne a déjà été annoncée par l’accueil que notre jeunesse avait réservé à Ras Bath retour de sa tournée d’Europe.
IBK a du se rendre compte que le long silence de notre peuple ne signifie nullement qu’il a peur ou qu’il l’aime toujours. A- t-il fait la bonne lecture de ces propos de Louis Auguste Martin selon lequel «Le silence d’un peuple n’est qu’un effet de contrainte et non pas une adhésion volontaire à la servitude ; c’est le plus souvent, le couvre-feu d’une révolte à venir».
Le peuple laborieux du Mali s’est rendu, hélas, que la race de politiciens à l’œuvre traduirait vraiment dans les faits ses aspirations les plus profondes par surprise agréable. En tout cas, ces politiciens n’ont que faire de l’intérêt national. Ne pas comprendre cette triste réalité, c’est comme si l’on pouvait imaginer un instant des actes de charité des chats à l’adresse des souris.
Les politiciens maliens, dans leur écrasante majorité, doivent se rendre à l’évidence que notre peuple les a bien compris en dépit de leurs phraséologies creuses.
Aujourd’hui, les Maliens ne sont pas dupes et désormais ils veulent des actes concrets. Comme à coutume de le dire Nelson Mandela, il est indispensable de mettre en commun la théorie et la pratique, les bonnes intentions et les actes. Nos démocrates dans leur quasi-totalité n’ont aucune vision sérieuse et digne pour le Mali dont ils se réclament tant.
Au regard du cours des événements au Mali, trois (03) groupes politiques se dessinent :
– Le premier groupe qui se veut ou se réclame de la majorité félicite IBK pour son sens de la ‘’sagesse’’.
– Le deuxième groupe qui se dit de «l’opposition» crie victoire parce qu’un pas vient d’être franchi dans le sens de la transition politique qu’ils cherchent de tout leur cœur et en chœur chez les devins et les diables. Cela se comprend quand on sait qu’en cas de transition politique ils placeront leurs pions pour récupérer le pouvoir perdu. Rien que cela pour tous les Maliens qui les ont vus à l’œuvre depuis les élections de 1992.
– Le troisième groupe, sans être formel, se veut celui du changement. Tout le problème est de savoir s’il s’agit du changement à l’avantage des masses laborieuses de notre pays. Le doute est ici indispensable au regard de la souillure profonde des ressources humaines de notre pays. En tout cas, bien de politiciens ont crié ici contre le général Moussa Traoré mais c’était tout simplement la fallacieuse politique qui consistait à dire au tenant du pouvoir: «ôtes-toi que je m’y mette».
La Plateforme ‘’Antè A Bana- Touche pas à ma Constitution’’ doit donc à son tour se disloquer dans une courte période de clarification du jeu politique national. Ainsi, si le Collectif pour la défense de la République (CDR) de Ras Bath tient au changement, il doit, sans tarder se démarquer totalement des sangsues qui pullulent dans les rangs de cette Plateforme.
Si le CDR tient au changement véritable, il ne doit plus demander conseil ni auprès des leaders religieux ni des politiciens qui ont contribué à mettre le pays à genou en lui mettant la chaîne au cou pour une forme de colonialisme français. Ces militants et responsables doivent garder à l’esprit ce que Nelson Mandela avait dit à la face des peuples d’Afrique et du reste du monde: «Une action qui n’est pas précédée d’une vision n’est que perte de temps ; une vision qui n’est pas suivie d’action n’est que rêve ; une vision suivie d’action peut changer le monde.».
En politique s’il y a de la morale, il n’y a pas de place pour le sentimentalisme pour tous ceux qui veulent servir autrement le Mali. Ceux des jeunes du CDR acquis au changement vrai doivent s’approprier cette réflexion d’un philosophe grec de l’antiquité en la personne d’Aristote de Stagire.
Il avertissait: «Les hommes obéissent bien mieux à la nécessité qu’à des paroles, à des châtiments qu’à des représentations. La loi seule a le pouvoir de les contraindre. On prend en aversion les hommes lorsqu’ils contredissent les passions, mais on ne hait point la loi.»
L’histoire récente du Mali nous enseigne que le peuple malien s’est dressé, en 1990-1991, comme un seul homme dans ce que l’on appelait ’’Mouvement démocratique’’ pour dire en chœur : ‘’An tè korolé fè fokoura’’, exigeant ainsi le kokadjè. Mais comme le dirait cette locution latine «Parturiunt montes, nascetur ridiculus mus» (les montagnes sont en travail: il en naîtra une souris ridicule).
La montagne de la «démocratie» a accouché d’une souris ridicule en République du Mali et pour cause :
– Non seulement trop de jeunes sont morts pour que ça change (quand bien même aucun enfant de ces démocrates n’y a perdu la vie. Les événements douloureux de 1991 ont coûté la vie à 224 jeunes et femmes. On dira en langue bamanan ‘’Timba yé amaga bala yé’’ (le porc- épic a travaillé gratuitement pour le hérisson).
– Le changement a été présenté par les voraces de la démocratie ou plus exactement par les ennemis du peuple malien comme inopportun. En tout cas, dès l’annonce de la chute de Moussa Traoré, le 26 mars 1991, les traites de la ‘’démocratie’’ ont pris leur bâton de pèlerin pour dire dans les cellules de combat, dans les maisons, dans les rues et même dans les cuisines que le kokadjè n’est pas bien pour le Mali parce qu’à force de laver ‘’l’enfant risque de couler avec l’eau de bain.’’ Comme si tous les Maliens étaient sales ! Depuis là, les jeunes qui se sont battus contre le régime rétrograde de Moussa Traoré ont été trahis. Tous les patriotes du Mali ruminent à présent cette haute trahison. Mais la roue de l’histoire continue de tourner.
– En lieu et place du changement, voilà les ‘’démocrates’’ érigés en mode de vie l’affairisme, le clientélisme, la gabegie, la délinquance financière, les détournements de deniers publics, la surfacturation, la concussion, le népotisme, la prostitution.
Bref, toutes les calamités reprochées à l’apache régime de Moussa Traoré se sont développées à très grande échelle. Ces hommes et ces femmes nourris et éduqués à la félonie par moult stratagèmes, se sont construit des maisons à étages et des villas dignes, des somptueuses demeures de Harlem à quelques pas des taudis réservés aux damnés de la terre que sont les Noirs aux USA.
– Dans la problématique de la construction démocratique en République du Mali, les politiciens au service d’intérêts sordides privés ont œuvré à soigner la plaie sur du pu. Mais ce décor était déjà perceptible depuis les questions centrales au procès ‘’crimes de sang’’ contre Moussa et compagnons. Ces questions étaient : ‘’Qui a tiré ?’’ ‘’Qui a donné l’ordre de tirer ?’’
En tout cas, ni Moussa, ni son Poste de commandement opérationnel (PC) commandé à l’époque par le lieutenant-colonel Bakary Coulibaly, ne disent rien de potable par rapport à ces questions, camouflant ainsi dans les méandres de l’histoire les acteurs des massacres de bien de nos femmes et de nos enfants. Mais Dieu ne dort pas et l’histoire continue son chemin. Un jour, le peuple exigera la vérité sur cette affaire.
– IBK doit faire la bonne lecture du fait que bien de ceux qui avaient voté pour lui, en 2013, ont participé à toutes les marches de la Plateforme ‘’Antè A Bana- Touche pas à ma Constitution’’.
– Nul doute que la jeunesse malienne a du tonus à revendre. Elle doit, dès lors, faire siennes ces lignes de Marx: «L’idée maîtresse qui doit nous guider dans le choix d’une profession, c’est le bien de l’humanité et notre propre épanouissement. La nature de l’homme est ainsi faite qu’il ne peut atteindre sa perfection qu’en agissant pour le bien de la perfection de l’humanité.»
L’on peut, au regard de ceux qui précèdent, se demander à qui profiteront les dividendes de la décision d’IBK de sursoir à son projet de révision de Constitution. A ce jour, rien ne semble joué d’avance du fait que l’avenir politique du président en dépend beaucoup.
Fodé KEITA
Source: Inter De Bamako