Devant cette assemblée recueillie, je veux d’abord confesser mon inconfort de devoir parler de Issa Doumbia, « Sacré Issa » à ses compagnons de lutte et à ses confrères, dont je ne suis pas par la pratique mais seulement par ma qualité de journaliste. Le florilège des témoignages sur les médias sociaux, dès l’annonce du décès, montre à suffisance combien il y a de voix plus autorisées que la mienne pour camper plus éloquemment et plus complètement « Sacré Issa » ! Mais je me console à l’idée que de ses chefs, j’ai été celui qui l’a le plus longtemps gardé sous son autorité (près de dix ans) et qu’ainsi les moments et lieux partagés peuvent fonder une prétention à dire Issa et à célébrer « Sacré » dans la mort ! « Ina lilahiwainalilahirajihoun » ! (A Dieu nous sommes, et c’est à Lui que nous retournons).
Issa, « Sacré »,
Te souviens-tu sans doute qu’à l’Ecole de journalisme, au CESTI, le premier exercice auquel tes maîtres t’ont soumis dans les enseignements professionnels, c’était la rédaction d’une brève, texte court en trois ou quatre phrases pour donner la quintessence d’une information.
Ta vie vaut bien une édition spéciale d’un journal, et pourquoi pas un livre, mais je m’imposerai, à la manière du rédacteur d’une brève, de la résumer en une somme de valeurs, de savoir-faire et de savoir-être.
Issa « Sacré Issa »,
A la Commission de l’UEMOA, où j’ai eu le privilège de servir durant cinq années, une collaboratrice d’un pays de la sous-région m’avait relaté, un jour, les conditions de la mort de son frère, un jeune officier à l’occasion de troubles politiques. Au cœur de la tourmente, la famille vit débarquer à la maison des soldats commis à l’arrestation de qui était encore pour quelques minutes leur compagnon d’armes. Ils mirent en joue, le jeune homme qui leva les bras au ciel en guise de reddition. Il lui fut ensuite intimé l’ordre de se mettre à genou, ce à quoi, le jeune officier avait fièrement, fermement et définitivement répondu : « Chez nous, un homme ne met pas un genou à terre devant un autre homme. Ou il est debout ou il est couché à jamais ! Faites votre devoir ! ». Il s’est affaissé sous une rafale.
Sacré Issa faisait partie de cette race d’hommes qui ne savent pas se mettre à genou, sauf, sauf, la précision est importante en ce qui le concerne, sauf pour se prosterner et prier Allah son Créateur ! Ta piété est connue de tous ceux qui ont eu l’occasion de t’approcher.
Dans la vie professionnelle, dans la vie tout court, « Sacré » était d’un caractère altier, voire d’un si haut orgueil qu’il se laissait rarement prendre à défaut. La profession s’accorde unanimement sur les valeurs de probité et de dignité que tu as portées en tant que journaliste et plus tard comme conseiller à la Présidence de la République. Ceux qui t’ont prodigué à l’université les cours d’éthique et de déontologie peuvent être fiers du bon usage que tu as fait de leurs enseignements.
Cet attachement viscéral à la morale journalistique était servi par un talent hors du commun. Qui d’entre nous n’a pas ressenti un jour de l’émerveillement devant un reportage, une analyse, un commentaire de Sacré Issa ? Une plume étincelante, un style flamboyant, toujours adossés à des sources robustes.
Ton humour corrosif n’épargnait rien, ni personne mais il avait la saveur de l’intelligence. C’était toujours piquant mais jamais méchant !
La religion des faits était ta boussole professionnelle et la facilité d’écriture ne t’a jamais fait perdre de vue l’exigence du travail documentaire, avec la conviction chevillée au corps qu’un bon papier est un papier bien écrit mais aussi bien informé !
Peu d’entre nous savent que cette demeure, qui était la tienne, n’était pas qu’une maison à usage d’habitation, qu’elle est aussi une bibliothèque privée où tu as patiemment, passionnément, obstinément rassemblé un trésor d’archives sur l’histoire politique du Mali.
Tu n’étais pas peu fier, et à juste raison, de faire visiter ce sanctuaire inviolable qu’une ligne jaune séparait du reste des pièces. Ta médiathèque (le mot rappellera sans doute des souvenirs aux anciens du CESTI) est un précieux legs qu’il convient de préserver.
Pour finir mon propos, Issa « Sacré »,
Je me souviens qu’un jour de 2004, tu es venu me voir à mon bureau, avec une coupure du journal Le Soleil de Dakar et j’avais eu la surprise de découvrir le texte que j’avais produit le jour du départ de Nelson Mandela du pouvoir en 1999. Etudiant à l’époque, tu m’as dit l’avoir archivé parce que touché par le contenu de l’article.
Dans ledit article, j’avais écrit (je cite de mémoire) que Nelson Mandela, après ce qu’il a enduré et incarné pouvait désormais, avant même sa mort, s’installer dans le plus beau des Panthéon, celui du cœur des centaines de millions d’Africains.
Je te vois sourire à l’idée même que je puisse tenter un rapprochement, mais saches Issa qu’à ton échelle, tu es aussi pour moi, pour beaucoup d’entre nous un héros à qui nous offrons avec émotion et affection, le PANTHEON DE NOS CŒURS MEURTRIS.
C’est l’expérience du malheur qui nous aide à mieux goûter les instants de bonheur. Notre malheur est aujourd’hui grand et notre douleur indicible ! Mais nous te faisons le serment de surmonter très vite notre chagrin en nous souvenant des graines d’amitié, de fraternité et de confraternité que tu as semées en nous ! Et surtout nous voulons pouvoir dire à Beydi, à Sanaba, à Seydou, à Habib, à Bourama, tes enfants, que leur père fut un brillant journaliste, un Conseiller avisé, un homme de conviction, à la limite de la rigidité ! Bref qu’il fut un « Sacré Monsieur » !
Un dernier message Issa, sans doute celui que tu attends le plus, depuis ma prise de parole. Dès l’annonce de ton trépas, j’ai appelé le Président Amadou Toumani TOURE et son épouse pour leur communiquer l’information. Tu peux deviner leur tristesse et leur affliction.
Le Président ATT, que tu appelais affectueusement Zangué entraînant
toute la direction Communication à adopter ce nom de code sans que nous sachions pourquoi, le Président ATT me dit de te dire « MERCI d’avoir, à ses côtés, servi le Mali avec talent, loyauté et fidélité ». Fin de citation. C’est ce qui t’a valu une nomination dans les ordres nationaux et qui nous vaut cette cérémonie républicaine en ce jour des adieux !
Dors en paix, mon valeureux petit frère !
Seydou SISSOUMA
Ancien Directeur de la Communication de la Présidence de la République
Source: Le 22 Septembre