« Je suis conscient qu’il n’est pas la solution de sortie de crise. »
Dans une interview accordée à notre rédaction, Hamadoun Amion Guindo, Secrétaire général de la Confédération Syndicale des Travailleurs du Mali (CSTM) s’exprime sur la situation sociopolitique qui secoue notre pays depuis maintenant plus de deux mois. Mais aussi, ses relations avec le M5-RFP, l’Imam Mahamoud Dicko, le président de la République Ibrahim Boubacar Keïta et l’implication de la CEDEAO.
Que pensez-vous de la situation actuelle du Mali ?
C’est une crise à mon constat qui devient de plus en plus grave, autant sur le plan économique, social et politique. Disons que c’est une crise latente vécue ces derniers temps qui a pris une certaine ampleur dans presque tous les secteurs. Nous nous rendons compte qu’il y a eu assez de dégâts et dans tous les secteurs. Voilà un régime qui marche avec la mauvaise gouvernance depuis l’arrivée d’IBK au pouvoir, caractérisée non seulement par un système de corruption à grande échelle, mais surtout en passant par l’impunité totale. Je pense que c’est ce qui est aujourd’hui constaté et ressenti par la population et ça nous amène à cette situation, c’est une révolte générale.
Que pensez-vous du M5-RFP ?
Ce dont nous nous félicitons surtout dans la démarche, c’est que en tant que syndicat, nous nous sommes inscrits toujours dans la légalité et nous avons rejoint ce mouvement parce que nous avons vu que tous les actes posés effectivement s’inscrivent dans le cadre de la Constitution malienne. Quand un peuple est révolté, quand il se sent trahi, quelque part il se révolte. Et puisque le peuple est sensé mettre en place un système politique avec des dirigeants en place, il ne peut que s’adresser à ces dirigeants là pour dire non, nous ne sommes pas contents de cette gouvernance. C’est ça la manifestation disons première du M5-RFP, c’est-à-dire exprimer la colère du peuple par rapport aux pillages, tueries qui restent impunis. A la perte même d’une partie du territoire national, sans que quelque part, les populations et leurs biens ne soient protégés. Si vous voulez bien, c’est une sorte de cri de cœur aujourd’hui au niveau de ce mouvement qui veut dire, nous ne sommes pas d’accord avec cette manière de gérer notre pays. Encore une fois, toutes ces démarches là, depuis les premiers meetings jusqu’aujourd’hui s’inscrivent dans la droite ligne de notre Constitution, sinon la CSTM n’y serait pas.
Est-ce que demander la démission du président de la République n’est pas de trop ?
Nous avons fait notre Constitution de telle manière que, beaucoup de pouvoir est donné au chef de l’Etat, mais nous n’avons pas oublié Dieu merci, en son temps. On dit le pouvoir pour le peuple et par le peuple, c’est le peuple qui désigne le pouvoir. Il fallait trouver dans la Constitution un moyen pour montrer au président de la République, bien que nous te donnions tout le pouvoir, mais si nous sentons que ça ne va pas dans la gouvernance, nous prenons telle disposition pour demander votre démission. Cela est inscrit dans la Constitution et cela est accepté non seulement par l’ensemble du peuple malien. Le chef d’Etat a prêté serment sur cela, donc la démission ou la demande de démission volontaire est acté dans la Constitution. Me demander si c’est de trop, c’est comme si vous me demander si la prestation de serment n’est pas de trop. On ne peut pas remettre en cause une seule ligne de cette Constitution qui a été adopté par l’ensemble du peuple malien en référendum, c’est un droit constitutionnel de demander la démission du président de la République.
Que pensez-vous de l’implication de la CEDEAO qui a été un échec ?
A priori je ne pense pas que la CEDEAO ait échoué. La CEDEAO est une organisation sous régionale mise en place ici à Bamako même. Elle a son mode de fonctionnement dans la prévention et la gestion éventuelle des conflits dans les Etats. A ce titre-là, les responsables de la communauté, quand ils sentent que ça ne va pas dans un pays de l’institution sous régionale et qui va amener à déstabiliser ou le pays, ou avoir des répercussions sur les pays voisins, au regard des textes règlementaires ou de son fonctionnement, la CEDEAO se doit de se déplacer pour aller faire de la médiation. Elle n’a pas pour rôle de venir imposer un point de vue sachant que les différents pays ont aussi une Constitution. Bien que nous nous référions aux textes que nous avons adoptés, acceptés avec la CEDEAO, mais nous avons des textes fondamentaux qui sont nos Constitutions. Les chefs d’Etat sont venus s’enquérir de la situation, après avoir mené une première et une deuxième mission. Les Chefs d’Etat eux-mêmes sont venus pour écouter les parties prenantes à cette crise. A priori, je pense que la CEDEAO a bien écouté, elle est repartie pour voir qu’elle position il faut prendre. Mais je pense que de part et d’autre, il faut considérer que la CEDEAO est dans son rôle de médiateur il faut accepter quand l’institution sous régionale dit qu’elle n’est venu pour enlever un chef d’Etat, la CEDEAO est dans son rôle parce que cela est inscrit dans leurs textes, elle ne vient pas pour enlever un président de la République, elle ne peut pas aussi avoir une solution pour imposer à un peuple ; nous sommes membre indépendant et souverain, c’est librement que nous avons adhéré à Bamako ici à sa création. Il n’y a pas d’imposition que la communauté sous régionale peut faire à un pays, pas seulement au Mali, nous, nous avons eu le respect sinon l’humilité d’accepter la venue de la CEDEAO au Mali, dans d’autres pays de la communauté, ils ne l’ont même pas accepté mais avons dit non, c’est une organisation à laquelle nous appartenons, nous sommes affiliés, si elle veut venir nous donner des conseils, il est normal que nous les écoutions. Je ne pense pas qu’elle ait échoué, elle fait son écoute de part et d’autre, c’est à elle de tirer les leçons tout en gardant à l’esprit que ce peuple-là, on ne lui imposera absolument rien.
Pensez-vous que la dislocation de l’Assemblée Nationale est possible ?
C’est le président qui après deux reports anti- constitutionnel, a organisé les élections à ce que je sache, je ne sais pas s’il a le pouvoir aujourd’hui avant un an de dissoudre l’Assemblée nationale. C’est comme si quand il a pris son décret pour dire, « je dissous la Cour constitutionnelle » mais non je ne sais pas s’il a ce pouvoir-là peut-être d’autres juristes s’exprimeront mieux sur la question. Je sais que la situation dans laquelle il est aujourd’hui, il est prêt à lâcher beaucoup si le droit lui permet de rester et de conserver son pouvoir.
Vous connaissez le président IBK ?
Personnellement je le connais, c’est un grand frère mais sauf que tout ce que je vous dis ici à un moment ou à un autre on a eu à gérer, à échanger avec le chef de l’Etat et cela depuis la Transition de 2012. Nous avons eu le constat amère et de comprendre que, les engagements qu’il a pris vis-à-vis du peuple malien, qu’il ait avoué lui-même qu’il ne va pas les respecter. C’est un grand frère que je connais. Je suis conscient qu’il n’est pas la solution de sortie de crise. Il ne peut pas demeurer chef d’Etat, et résoudre les problèmes qu’il n’a pas pu résoudre depuis sept ans.
Vous connaissez l’Imam Mahamoud Dicko ?
L’Imam Mahamoud Dicko je le connais. Je le fréquente beaucoup, nous échangons beaucoup aujourd’hui, il est dans cette action parce qu’il estime après tout ce qu’il a eu comme échange avec le président de la République qui est aussi l’un de ses amis, il ne l’a jamais caché d’ailleurs, il s’est rendu compte qu’il n’a plus de solutions à trouver avec Ibrahim Boubacar Keïta pour sortir le Mali de cette crise. En Imam, en croyant, homme de bonne foi, il ne peut que s’engager dans des actions pour essayer d’aider, d’apporter sa contribution à libérer tous ceux-là qui souffrent aujourd’hui dans ce pays ; ça c’est une question de foi, ce n’est pas un combat politique. C’est de bonne foi qu’il s’engage pour trouver une solution aux maux dont souffre son pays.
Vous avez rejoint le M5-RFP, cela veut dire que la gestion du chef d’Etat et de son gouvernement ne vous plaît pas or votre jeune frère Housseïnou Amion Guindo fut ministre dans le gouvernement cela veut dire qu’il est aussi comptable de cette gestion catastrophique. Alors que pensez-vous ?
Le jour qu’on appellera tous ceux-là qui ont géré ce pays, je pense que ce jour viendra, chacun répondra de ces actes, c’est en toute responsabilité. Qu’il soit de la mouvance présidentielle ou de l’opposition, je pense que par rapport à cela, le jour des comptes, il pourra s’assumer.
Propos recueillis par
Alou Badra DOUMBIA