Conakry s’est réveillée hier matin du mauvais pied. Des bruits de bottes amplifiés par le bruit de la canonnade ont commencé à faire trembler les murs du quartier du Palais présidentiel Sékoutoureya, dès les premières heures de la matinée. Des échanges de tirs ont opposé pendant quelques heures la garde présidentielle et les soldats du Groupement des forces spéciales (GPS), une unité d’élite de l’armée guinéenne.
Apparemment, les hommes du lieutenant-colonel Mamady Doumbouya ont réussi à prendre le dessus. Celui qui a fait annoncer à la télévision nationale avoir pris le pouvoir hier à Conakry est un officier breveté de l’École de guerre, avec plus de quinze années d’expérience au sein de la Légion étrangère française. L’homme a participé à des missions opérationnelles (Afghanistan, Côte d’Ivoire, Djibouti, République centrafricaine) et de protection rapprochée (Israël, Chypre, Royaume-Uni, Guinée).
C’est donc un officier ayant l’expérience du terrain qui s’est autoproclamé nouvel homme fort de la Guinée. Il a annoncé avoir mis la main sur le président Alpha Condé et que le pouvoir a changé de main. Le chef putschiste a proclamé la dissolution de la Constitution, de l’Assemblée nationale, du gouvernement ainsi que des autres institutions de la République.
Il a même fait circuler des images du président Alpha Condé entouré de soldats mutins pour bien montrer qu’il maîtrise la situation. Pour justifier la prise du pouvoir, les militaires putschistes ont expliqué que « la situation socio-politique et économique du pays, le dysfonctionnement des institutions républicaines, l’instrumentalisation de la justice, le piétinement des droits des citoyens, la gabegie financière […] ont amené l’armée républicaine à prendre ses responsabilités vis-à-vis du peuple de Guinée».
La Guinée vit bel et bien un coup d’État. Le troisième de son histoire. Si les putschistes arrivent à faire adhérer les autres chefs militaires à leur projet de changement de régime, le pays plongera dans une période qui mettra dans les prochains jours à rudes épreuves les fragiles équilibres microéconomiques. Et la démocratie pendra du recul.
Un peu plus d’un an après le changement de régime au Mali, voilà qu’un autre pays de la sous-région ouest-africaine renoue avec des événements qui jurent avec la dévolution du pouvoir par la voie des urnes. Si l’armée malienne a parachevé un soulèvement populaire en août 2020 sans effusion de sang, le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya et ses hommes ont réalisé un véritable coup de force en défiant la garde présidentielle.
La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a donc un nouveau foyer de tension à gérer. Ce nouveau coup de canif à l’ordre démocratique ne manquera pas d’alimenter les débats. Le président Alpha Condé, 83 ans, était au pouvoir depuis 2010.
Il s’est fait réélire l’année dernière pour un troisième mandat controversé qui a suscité beaucoup de remous dans le pays. Il n’est guère étonnant que les partisans de l’opposition applaudissent des deux mains le reversement du pouvoir du président Alpha Condé.
Ahmadou CISSÉ
Source : L’ESSOR