Le feuilleton de la grève des magistrats se poursuit. Après le maintien par les magistrats de leur mot d’ordre de grève suite à la rencontre avec le garde des sceaux, le gouvernement, à travers son porte-parole, a réitéré sa disponibilité au dialogue et ses positions : ne pas prendre un engagement qu’il ne peut pas tenir. En dépit de la volonté affirmée des protagonistes en vue de l’apaisement du climat social, aucune solution de sortie de crise ne dessine véritablement.
Des grévistes déterminés à ne rien céder sur ses revendications salariales, en dépit de l’engagement du président de la république à améliorer les conditions de vie et de travail des magistrats qu’il appelle à reprendre le travail, un gouvernement qui refuse de concéder ce qu’il ne peut pas : voilà un dialogue de sourds qui dure depuis 90 jours !
Quel est le point de blocage ? Gouvernement et magistrats peuvent-ils parvenir à un compromis durable et honorable pour mettre un terme à l’impasse judiciaire préjudiciable aux populations dans l’intérêt supérieur du Mali ? Y a-t-il des solutions immédiates pour mettre fin à la grève ?
Dans l’immédiat ? Il faut croire que non, en tout cas, si on prend à la lettre les déclarations récentes du président du Syndicat autonome de la Magistrature, Alou Badra Nanacassé, qui déplore que « l’État (ne soit) pas prêt à prendre des engagements financiers, contrairement à nos points de doléance : la sécurisation des juridictions, la relecture du statut de la magistrature y compris la grille salariale ».
Autre son de cloche. Au nom du gouvernement, la ministre du travail et de la fonction publique, chargée des relations avec les institutions, Mme Diarra Racky TALLA, le 9 octobre dernier, avait clairement fait le point des engagements du gouvernement suivant l’accord dont les syndicats de magistrats font référence. Selon la ministre du Travail, « en application du procès-verbal du 09 février 2017, le Gouvernement a exécuté tous ses engagements. Ainsi, de 2017 à nos jours, les efforts en faveur du personnel de la magistrature se chiffrent à 2 535 537 856 F CFA. Il s’agit, entre autres de :
-l’alignement de la Cour suprême sur les institutions de même niveau ;
-l’extension aux magistrats de la prime de sujétion pour risques de 10 % du salaire de base ;
-l’extension aux magistrats du Décret n° 2014-0837/ P-RM du 10 novembre 2014 fixant les taux mensuels de certaines primes et indemnités allouées aux fonctionnaires et agents de l’État.
-l’augmentation de la grille indiciaire de 10 % ;
-la fixation de l’indemnité de logement à 110 000 F CFA en 2017 et à 125 000 F CFA en 2018.
En plus de ces mesures particulières, les magistrats bénéficient de toutes mesures d’ordre général par exemple l’augmentation de la valeur du point d’indice de 20 %. »
Point de discorde
Or, « pour nous, revenir à la table de négociation est inopportun. Il s’agit pour le gouvernement de respecter sa parole donnée », a indiqué Alou Badra Nanacassé. Pour le leader syndical, « quand le gouvernement sera conscient de sa part de responsabilité et s’assumera en conséquence (et) que nous ne sommes pas disposés à (le) suivre aveuglement », ce sera la fin de la grève. Balayant désormais d’un revers de main toute négociations avec ce gouvernement « de mauvaise foi » Alou Badra Nanacassé, dans une interview, largement diffusée la semaine dernière, estime que leur « cahier de doléances a dépassé le stade des négociations. Il y a un accord salarial entre nous et le gouvernement. Les points contenus dans cet accord sont bien précis. Parmi ces points, deux ou trois ont été satisfaits. Nous les reconnaissons. Mais le seul point non satisfait qui devait renvoyer à la relecture du statut fait l’objet de discorde entre le gouvernement et nous ».
La lecture syndicale est loin d’être partagée par le gouvernement. À Mopti, le Premier ministre a tenu à mettre les points sur les i : « le gouvernement a respecté ses engagements » et « le Gouvernement continuera de respecter tous les engagements qu’il a pris, pas ceux qu’il n’a pas pris. Le seul engagement financier que le Gouvernement a pris, c’est d’augmenter de 10 % les salaires à compter de 2017 et c’est ce que nous faisons ».
Les magistrats grévistes reviennent à la charge, persistent et signent qu’un accord « existe bel et bien entre le gouvernement et les syndicats de la magistrature. Le document a été signé le 9 février 2016 (ndlr: 2017). Dans cet accord-là, c’est une augmentation de dix points de la valeur d’indice et non 10 % de salaire. Dix points d’indice, c’est la valeur de point faisant 400 francs. C’est donc une augmentation de 4000 francs seulement que le gouvernement a consacrée et il est en train d’exécuter. Dire que 10 % ont été accordés est une contrevérité. Le gouvernement n’est pas de bonne foi. Il était prévu que la relecture du statut soit envoyée à l’Assemblée au plus tard le 31 mai 2016. Mais jusqu’à présent, il n’a pas été adopté par le Conseil des ministres. Le gouvernement n’a pas honoré sa parole donnée ».
Comme on le voit, le seul point d’achoppement entre les protagonistes est une double divergence : la cible de l’augmentation des 10 % et l’adoption du statut de la magistrature. D’une part, pour les magistrats grévistes, l’augmentation des 10 % doit être faite sur le salaire, tandis que pour le gouvernement, il devrait l’être sur l’indice et il l’a été. D’autre part, les magistrats estiment que le gouvernement n’est pas de bonne foi sur l’adoption de leur statut, le gouvernement, lui, estime qu’il s’agit d’une manipulation.
1.Statut de la Magistrature
Les présidents du Comité directeur du syndicat autonome de la Magistrature (SAM) et du Bureau exécutif du Syndicat libre de la Magistrature (SYLIMA) ont saisi le Premier ministre, le 5 avril dernier, en vue de la relecture du statut de la magistrature.
Conformément au protocole d’accord de conciliation partielle qui a été signé le 09 février 2017 entre le Gouvernement et les syndicats des magistrats, la relecture du statut de la magistrature devrait être accompagnée d’une revalorisation de la grille salariale au-delà de 10 %. Aussi, les magistrats proposent-ils un indice plancher de 700 et un indice plafond de 2 500.
Le 7 avril 2017, lors de l’atelier de validation de l’étude sur le statut de la magistrature et des textes subséquents, le gouvernement, par la voix du Secrétaire général du ministère de la Justice et des droits de l’Homme réitère sa volonté de tenir ses engagements vis-à-vis des représentants des magistrats et de traiter dans la concertation les questions liées au statut et aux conditions de vie et de travail des magistrats du Mali.
Participant à cet atelier, le Syndicat autonome de la Magistrature (SAM) et le Syndicat libre de la Magistrature (SYLIMA) ainsi que d’autres acteurs (le gotha de la famille judiciaire) appellent l’attention des pouvoirs publics sur l’importance des recommandations ; souhaitent que le département de la Justice reste activement saisi de ce rapport et de ses recommandations ; proposent que ce rapport, ses annexes et la présente résolution servent de base aux étapes suivantes de la négociation entre les pouvoirs publics et les représentants des magistrats sur l’avenir de leur statut.
De quoi en a-t-il été question en vue de la relecture du statut de la magistrature ?
L’atelier a recommandé entre autres au gouvernement de :
-relever le budget de fonctionnement des Directions nationales et motiver le personnel par des indemnités tenant compte de leur sujétion particulière ;
– atteindre l’objectif fixé par la norme communautaire de l’UEMOA qui est de porter à 3 % le budget alloué au Département de la Justice ;
-instituer des primes d’éloignement et de risque pour le personnel magistrat, greffier, secrétaire de greffe et parquet et surveillant de services pénitentiaires servant dans les régions du Nord et du Centre ;
Parallèlement, accorder des crédits d’équipements et des prêts incitatifs aux membres des professions libérales pour une meilleure couverture du territoire ;
-renforcer l’indépendance des juges au siège qui même en cas de « nécessité de service » ne pourra être déplacé sans leur consentement ;
-Dans le cadre des droits, privilèges et obligations, prévoir un décret en Conseil des ministres pour préciser les conditions d’octroi d’une arme et de délivrance du passeport diplomatique ou de service, de l’insigne à la boutonnière et de renouvellement du costume ;
-en tenant compte des standards internationaux sur la rémunération des magistrats, prévoir des primes et indemnités spécifiques ;
-supprimer l’autorisation du ministre pour les magistrats qui souhaitent enseigner. Ceux-ci devront toutefois avoir l’aval de leur chef de juridiction ou de parquet (incompatibilités) ;
-en lieu et place du président de la république, le ministre de la Justice accordera après avis du CSM la dispense aux couples de magistrats appelés à servir au sein de la même juridiction (incapacités) ;
-en cas de poursuite disciplinaire, le CSM sera seul habilité à prononcer l’interdiction d’exercer et non le ministre de la Justice ;
-conférer une présidence honorifique au président de la République et au Vice-Président qui ne prendront pas part aux votes lors des délibérations du CSM ;
-prévoir à court ou moyen terme la délocalisation du siège du CSM à la Cité de la Justice ;
-élargir la composition du CSM à un avocat désigné par le Bureau du Conseil de l’Ordre des avocats et à un représentant de la société civile désigné par le Conseil National de la Société civile ;
-faire coïncider les mutations avec les grandes vacances scolaires.
Le gouvernement, qui considère la relecture du statut des magistrats comme un acquis, reste disponible pour cet exercice tant qu’il s’agira de corriger les insuffisances décelées lors de son application. Mais accompagnée de la modification de la grille indiciaire, elle soulève un problème de soutenabilité budgétaire eu égard à son incidence financière annuelle. Sans compter la jurisprudence qu’elle établira pour les autres corps de l’État.
C’est pourquoi, le gouvernement propose que la grille indiciaire annexée au projet de loi portant statut de la magistrature soit examinée dans le cadre de la politique salariale des agents de l’État lors conférence sociale sur la question des salaires pour voir comment traiter cet aspect de notre vie de manière durable en tenant compte des ressources et dans l’équité.
Toutes choses que les magistrats grévistes rejettent catégoriquement estimant qu’ils sont une institution indépendante et qu’ils n’ont pas à subir de diktats de la part du gouvernement.
Augmentation de 10 % sur…
Sur la question générale des salaires, le gouvernement s’engage pour un traitement global, à travers l’organisation « au mois de décembre et de janvier, une conférence sociale sur la question des salaires pour voir comment traiter cet aspect de notre vie de manière durable en tenant compte des ressources et dans l’équité ». Mais reste intraitable quant à la prise en charge, dans la situation actuelle du pays, des revendications qui pourraient faire boule de neige. Le Premier ministre l’a réaffirmé récemment avec force à Mopti : « je ne veux laisser aucun doute qu’en l’état actuel, le Gouvernement ne peut faire aucun effort financier supplémentaire parce qu’il serait insoutenable pour le pays et notre responsabilité, c’est de préserver l’équilibre général du pays dans un effort de solidarité partagé ».
Il y a fort à parier que soit entendu cet appel au sursaut républicain, partagé par le Chef de l’État, président du Conseil supérieur de la Magistrature qui s’est engagé à améliorer les conditions de vie et de travail des magistrats.
Si les Magistrats grévistes ne rejettent pas « la main tendue du Chef de l’État », « ils voudraient au préalable (que soit pris) un certain nombre de mesures d’accompagnement à savoir que :
1- Le Premier ministre rapporte son Décret de réquisition qui porte atteinte à l’indépendance du Pouvoir judiciaire ;
2- Le gouvernement adopte le tableau synoptique à lui proposé par les syndicats suivant les modalités dégagées par le même document relativement à la question sécuritaire ;
3- Le Gouvernement s’engage à adopter la nouvelle grille avec comme plancher 700 et comme plafond 2500 avant fin février 2019 ».
En d’autres termes, sur la revendication salariale, les grévistes ne font pas une très grande concession par rapport à leurs prétentions initiales contenues dans leur cahier de doléances à savoir : « le relèvement de la grille indiciaire des magistrats : de 350 à 750 pour le magistrat en début de carrière ; de 1100 à 3500 pour le magistrat de grade exceptionnel ». Pour le plancher, au lieu de 750, ils veulent 700, pour le plafond 350, ils exigent 2500. À vos calculettes…
Sur les sur incidences financières, notamment résultant de la grille indiciaire souhaitée par les magistrats, le 9 février 2017, le Gouvernement a pris deux engagements : la majoration de la grille indiciaire de 10 % à compter de 2017 et l’examen du reste des demandes lors de la relecture du statut de la magistrature.
Comme le reconnaissent les grévistes eux-mêmes, la grille indiciaire a été bel et bien majorée de 10 % comme prévu au mois de décembre 2017 par le gouvernement. Quid du reste des prétentions financières des magistrats ?
Au regard de situation économique du pays, le gouvernement estime que leur incidence financière n’est pas soutenable. Au moins pour deux raisons :
Selon le gouvernement, contrairement aux prétentions des syndicats, le projet de grille issu de l’atelier national n’a pas fait l’objet de validation par le ministère de l’Économie et des Finances, conformément aux prescriptions de l’article 3 alinéa 3 de la Loi n° 2013-028 du 11 juillet 2013 relative aux lois de finances. Que dit cet alinéa ? : « lorsque des dispositions d’ordre législatif et/ou règlementaire doivent entraîner des charges nouvelles ou des pertes de ressources, elles ne peuvent être définitivement votées ou adoptées tant que ces charges ou pertes de ressources n’aient été prévues, évaluées et soumises à l’avis conforme du ministre chargé des finances ».
La grille indiciaire proposée par les syndicats des magistrats implique une augmentation de l’indice d’environ 56 %. Son incidence financière annuelle se chiffre à 2, 108 milliards de FCFA. Cette incidence n’est pas prévue dans le budget d’État 2018. L’adoption du présent projet de grille indiciaire risque de provoquer un effet boomerang, et susciter les autres corps à exiger légitimement ce que le gouvernement ne peut accepter.
Si plusieurs démarches sont en cours aussi bien pour consolider l’apaisement amorcé que pour une sortie responsable et honorable de la présente crise, tous les regards seront tournés vers l’Assemblée générale des magistrats grévistes convoquée ce jeudi 25 octobre 2018 à la Cour d’appel de Bamako à 10 heures 00min pour décider de suite à donner à l’appel du président de la république pour une levée du mot d’ordre d’une grève qui dure depuis 90 jours.