Le 26 mars 1991, le peuple malien accueillait avec euphorie la fin du régime dictatorial du Président Moussa Traoré. Le coup d’État perpétré contre lui annonçait les couleurs d’un nouveau modèle, auquel aspiraient des milliers de manifestants : l’ère démocratique. 30 ans après, l’arbre a-t-il donné les fruits tant espérés ?
Selon le classement 2020 des démocraties mondiales du groupe de presse britannique The Economist group, le Mali fait partie des régimes autoritaires. Le pays est la 111ème démocratie sur 167 pays au monde. Il perd 11 places alors qu’il était 100ème en 2019 en rang mondial et se classait parmi les régimes hybrides. Au niveau africain, il perd 4 places et se positionne au 23ème rang sur le continent. « Mesuré par la baisse de son score, le Mali, en Afrique de l’Ouest, a été le pays le moins performant de l’indice de démocratie 2020, passant d’un régime hybride à un régime autoritaire ».
« Le Mali n’a pas le contrôle total de son territoire et l’insécurité rampante a précipité un coup d’État en août 2020, par des officiers militaires lésés par l’absence de progrès contre les insurgés djihadistes. Une junte militaire a depuis mis en place un gouvernement de transition, annulant le résultat des élections parlementaires tenues en mars 2020, qui étaient globalement libres et équitables. Pour cette raison, le Mali a perdu 11 places dans le monde, la deuxième plus grande chute en Afrique subsaharienne, derrière le Togo, qui a chuté de 15 places, au plus bas dans les rangs des régimes autoritaires », explique le rapport.
Échec ?
Au lendemain de l’avènement de la démocratie, les attentes du peuple malien étaient grandes, voire utopiques. La position du pays dans le classement de The Economist group n’est que le reflet de cette désillusion aujourd’hui. « Le tableau de l’après 26 mars 1991 est très sombre. Il n’y a de progrès dans aucun secteur. En 1991, les Maliens aspiraient au multipartisme, au bien-être, à la répartition équitable des richesses. Mais quand on fait une analyse objective, les avancées sont très éphémères. Prenons la santé, aujourd’hui les structures privées ont pris le pas sur les publiques. La seule avancée dans ce secteur est peut-être l’Assurance maladie obligatoire. Ne parlons pas du système éducatif, qui met sur le marché des produits inadéquats et mal formés. Au niveau de tous les secteurs, les attentes n’ont pas été comblées. Le Mouvement démocratique a vraiment échoué. Les attentes étaient trop grandes, l’ouverture n’a pas été encadrée. Par rapport par exemple aux libertés, qui ont été rétablies, qu’est-ce qu’on en a fait ? Elles ont pratiquement abouti au libertinage. Le Malien lambda pense qu’il a seulement des droits et qu’il n’a pas de devoirs », pense Salia Samaké, analyste politique.
Il poursuit en affirmant que l’éducation et l’armée sont les deux pages noires de l’ère démocratique. « L’éducation, qui est la base de l’avenir du pays, de la formation du citoyen, a été totalement détruite. L’armée a été émasculée, l’outil de défense a été détruit et le Mali a été offert à l’ennemi ».
Refondation Conscientes des problèmes qui minent les principes démocratiques du pays, les autorités maliennes prévoient de procéder à des réformes politiques et institutionnelles. L’initiative est salutaire, selon plusieurs acteurs du domaine politique. Selon Isaac Dakono, membre de l’Alliance pour Refonder la Gouvernance en Afrique (ARGA), nous vivons les séquelles de choix inopportuns pour notre Nation. « Le constat amer est que nous avons une démocratie de façade, c’est-à-dire fragile et sans fondement. L’État est pensé dans sa structure et son fonctionnement sur un modèle qui ne répond nullement aux exigences des territoires. Les Maliens ne s’y retrouvent guère. C’est pourquoi nous estimons qu’il faut envisager la refondation des processus de démocratisation, avec comme impératif de réinterroger les modalités de choix des dirigeants, pour mettre le citoyen au cœur de la démocratie. Entendu que la démocratie sans valeur n’est que mécanique », propose-t-il.
Salia Samaké est dans l’optique d’une réforme en profondeur, pas seulement « un toilettage des textes ». « Il va falloir y aller en profondeur par rapport à l’homme malien. Il y a un Président de la République du Mali qui disait que nous avions fini de faire tous les séminaires et qu’il restait à faire le séminaire sur l’homme malien. C’est une réalité. Dans 30 ans, si nous n’allons pas à la refondation, nous serons face au pire », prévient-il.
Boubacar Diallo
Source : Journal du Mali