La pandémie est en train de faire des victimes dans notre pays. Mais jusqu’à présent, certains concitoyens semblent accorder peu d’intérêt aux mesures censées prémunir de cette terrible maladie. C’est le cas dans la plupart des groupes de causerie à travers la capitale
Ce dimanche, il est 15 heures à Djélibougou, un quartier populaire de la Commune I du District de Bamako. Sous un arbre qui cache des rayons brûlants du soleil, un groupe de jeunes est assis sur des chaises. Des morceaux de cigarettes, des feuilles fanées et des cartons vides de thé couvrent le sol. Un appareil placé au milieu crache une chanson de rap américain qui semble bien être assimilée par quelques uns. Les médias ont beau jacassé à longueur de journée sur les mesures barrières contre le Covid-19, ici on semble faire la sourde oreille.
Les chaises sont placées côte à côte. Ce qui viole la distance d’un mètre que recommandent les autorités sanitaires. Aucun dispositif de lavage des mains au savon. Ousmane Diarra dit Ouzbi, 21 ans, est l’un de ces jeunes. Les lèvres noircies, Ousmane est un accro à la nicotine. Il tire une cigarette, l’allume avec son briquet et souffle des bouffées blanchâtres.
Tous les jours de la semaine, Ouzbi et ses camarades convergent vers cet arbre ombragé. Ils ne rejoignent leurs domiciles respectifs qu’au moment du couvre-feu. Interrogé sur les risques liés à cette promiscuité en ce contexte épidémique, Ousmane affirme que lui et ses camarades ne peuvent pas s’empêcher de venir au « Grin », coronavirus ou pas. «Qu’il pleuve ou qu’il neige, nous avons des habitudes qui ne peuvent pas être changés. Nous formons plus qu’une famille. Nous ne cédons pas à la peur. Ce sont là les principes de notre ghetto», confesse-t-il. Le groupe continue d’utiliser les mêmes verres de thé. Ils se partagent les mèches de cigarette. Et ils ne rechignent pas à se serrer les mains chaque fois qu’ils se retrouvent. « Nous refusons de changer parce qu’il y a le coronavirus», renchérit Djakaridia dit Djakiss, un autre membre du « Grin ».
LA THÉORIE DU COMPLOT- Moussa dit Moïse est plutôt préoccupé par les patates frites qu’il tient dans un papier. Il les partage avec deux autres camarades du groupe qui n’ont pas hésité à en manger sans se laver au préalable les mains. Ces jeunes ne sont pas les seuls à faire montre d’insouciance face au coronavirus.
Dans une rue au quartier Korofina, nous sommes tombés sur un autre groupe de jeunes. Certains sont assis sur des motos. Pendant que d’autres occupent à deux une même chaise. Ici, l’ambiance est plus qu’électrique. Le volume d’un appareil boomer ouvert à fond, les discussions portent plutôt sur le football. Au sein du groupe, fans du Real Madrid et du Barça s’écharpent sur les exploits des deux clubs espagnols.
À Fadjiguila, en ce dimanche de repos, des soudeurs ont laissé derrière eux leur atelier. Le site est transformé en « Grin » animé par Zoumana Koné dit Ancien et ses copains, regroupés autour du thé. Zoumana Koné porte un t-shirt à l’effigie de Bob Marley. Il arbore une coiffure rasta dont les longues mèches pendent jusqu’aux épaules. Pour cet étudiant inscrit en licence droit, le Covid-19 est une politique liberticide dont les gouvernements africains se servent pour contrôler les populations. «Ce n’est pas une maladie de Nègre. C’est Ebola qui a causé des ennuis aux Noirs. Si c’était vrai pour tout ce qu’on dit sur le coronavirus, tous les Africains allaient crever. On n’a pas d’hôpitaux bien équipés encore moins de médecins très qualifiés», dit-il.
À quelques pas de là, il y a un autre « Grin » de neuf personnes. Ici, l’ambiance est sobre. Pas de musique, pas de cigarettes, encore moins de tapages. Abdoulaye Guindo et ses amis sont regroupés devant la porte d’une maison à étage. Ici, tout le monde prend au sérieux la maladie à coronavirus. «On a tous appris que le Premier ministre britannique a été testé positif et évacué en urgence à l’hôpital. C’est dire que ce virus n’épargne personne, y compris les plus grands dirigeants de ce monde», déclare Abdoulaye, ajoutant qu’il est parfaitement au courant des mesures préventives contre le coronavirus. «Au sein de notre groupe, tout le monde respecte les mesures barrières qui sont importantes pour éviter cette maladie. Vous l’aurez sans doute remarqué, nos camarades qui sont venus se sont installés sans se serrer les mains», explique le chef de « Grin ».
Cependant, nous avons remarqué que la distance sociale n’était pas observée au sein du groupe. Et personne ne portait un masque ou des gants. La meilleure chose est de rester chez soi en attendant que le virus mortel disparaisse pour toujours. On appelle cela l’auto-confinement, car les autorités n’ont pas encore pris une décision pour que les gens restent chez eux comme l’ont fait la plupart des pays durement touchés par le Covid-19.
Lassana NASSOKO
Source : L’ESSOR