Une enquête pour « Complément d’enquête » explore, de RT France aux relais en Afrique, en passant par la cellule de traque numérique Viginum, comment le Kremlin joue au chat et à la souris avec la politique française.
En ce 11 février, Frédéric Petit, député du groupe Démocrate (MoDem et Indépendants) de la 7e circonscription des Français établis hors de France (Allemagne, Europe centrale et Balkans), ne peut pas prévoir qu’il va se faire piéger en pénétrant dans le Palais du Luxembourg. Alors qu’il est persuadé de participer à une réunion parlementaire sur la situation en Ukraine, son intervention va être diffusée en direct sur une chaîne de télévision ukrainienne prorusse, et détournée en l’entrecoupant de déclarations de proches de Vladimir Poutine, comme l’oligarque ukrainien Viktor Medvedtchouk ou le député Leonid Slutsky.
Ce dernier est « interdit de séjour en Europe », précise Laure Pollez, une des trois journalistes à avoir enquêté sur France : les réseaux Poutine, diffusé jeudi 27 octobre au soir, mais la seule à se mettre en scène à l’écran. Le documentaire, tel que nous avons pu le visionner, ne précise pas que Viktor Medvedtchouk a, lui, été arrêté le 12 avril par les forces ukrainiennes, détenu et échangé le 22 septembre. Il s’attache en revanche à découvrir comment une telle supercherie a pu être montée.
Après cette alléchante entrée en matière, la politique de séduction de Vladimir Poutine à l’égard des dirigeants français (de droite) se concrétise par une séquence, plus connue, consacrée aux liens qui unissent le président russe à François Fillon, depuis la naissance de leur amitié à Sotchi en 2008, alors que les deux hommes étaient premiers ministres. Les liens que le Kremlin entretient avec les membres du RN (Marine Le Pen, Thierry Mariani, Philippe Olivier) sont illustrés par des documents exclusifs fournis par The Dossier Center, organe de l’opposant à Vladimir Poutine, Mikhaïl Khodorkovski, et par des témoignages de diplomates.
La dernière partie, consacrée à la manipulation de l’information, se suit comme une fiction. Elle débute par un reportage à RT France, la chaîne russe interdite de diffusion depuis le 2 mars (le documentaire explique pourquoi), où seule la présentatrice Samantha Ramsamy s’exprime à visage découvert.
Tenir tête aux Occidentaux
Les investigations de Laure Pollez la mènent ensuite en Afrique (où RT est diffusée) pour expliciter la fausse affaire du « charnier » de Gossi, au Mali – deux jours après le départ officiel de la force « Barkhane » de cette base, un tweet est publié le 21 avril : « Voilà ce que les Français ont laissé derrière eux », avec une photo de cadavres enterrés. « Les miliciens de Wagner ont orchestré cette mise en scène », assure la France ; la Russie nie.
L’enquête offre au passage l’occasion unique de pénétrer dans les locaux de Viginum, la nouvelle cellule française créée pour lutter contre les ingérences étrangères. Elle révèle comment MediaPatriot, le groupe de presse d’Evgueni Prigojine (patron du groupe de mercenaires Wagner), a tenté de discréditer Emmanuel Macron avant la présidentielle de 2022.
Mais qui rédige ces faux articles ? Comment sont-ils publiés ? Un article fourni clés en main est payé 300 euros pour être publié à Cotonou (Bénin). La Russie envoie des aides et tient tête aux Occidentaux, explique un journaliste africain, « et ça plaît ». La désinformation a de beaux jours devant elle. Malgré son interdiction, RT France diffuse à nouveau ses programmes en direct et en français via la plate-forme complotiste Odysee.
France : les réseaux Poutine, de Laure Pollez, Alexandra Jousset et Olivier Broutin (Fr., 2022, 58 min). « Complément d’enquête », France 2.