Il y a de cela exactement deux mois que Ibrahim Boubacar Keïta a entamé son mandat à la tête du Mali. Un mandat démarré le 4 septembre dans une euphorie collective et un grand espoir chez de nombreux Maliens. De même pour la communauté internationale qui, pendant toute la crise, a montré à l’adresse du Mali et des Maliens, une solidarité sans faille.
Pour tous, l’élection d’IBK à la magistrature suprême constituait la fin de la crise politique consécutive au coup d’Etat. Et cette élection devrait permettre au Mali de se remettre rapidement débout. Mais très vite, les Maliens (y compris dans le camp présidentiel) commencent à déchanter. Ils ont déjà compris qu’entre les discours politiques et autres promesses électorales, et la réalité de l’exercice du pouvoir, il y a un grand fossé. Conséquence : l’espoir autour de l’élection d’IBK s’estompe… Jugez-en!
Ibrahim Boubacar Keïta se faisait passer, lors de la campagne présidentielle, comme étant le seul candidat qui incarne le changement. Et le seul capable d’instaurer le changement. Certains Maliens (pas tous) ont cru à ce beau discours. Car, au Mali et partout ailleurs, ce genre de discours peut faire recette…
Mais dès la formation du gouvernement, la grande majorité de nos compatriotes a vite compris que IBK, le «champion des beaux discours», avait un pouvoir magique : celui de faire ressusciter les « morts ».
En effet, dans l’équipe gouvernementale mise en place, l’on a noté la présence d’au moins dix « cadavres politiques », tous d’anciens ministres sous Alpha O. Konaré et qui ont retrouvé une nouvelle vie à la faveur de l’élection de Ibrahim B. Keïta. Au même moment, le slogan « Le Mali d’abord » semble bien parti sur le chemin du cimetière. Pauvre Mali !
Aujourd’hui, le constat est là. Le gouvernement Tatam Ly traîne, comme un goulot, le poids de ces vieux chevaux de retour, visiblement essoufflés et incapables de soutenir le rythme. C’est pourquoi, les Maliens n’ont guère aucun espoir quant à la réussite de cette équipe gouvernementale qui fait l’objet, par ailleurs, d’autres critiques… Comme la présence en son sein de beaux frères, de neveux et d’affidés dont le seul mérite serait d’appartenir à la famille ou au clan. C’est cela le « Mali d’abord » ?
Autre grosse déception de ce début de mandat : c’est la gestion du dossier du nord, précisément de la situation à Kidal. Là, depuis deux mois, la situation ne cesse de se dégrader. D’où cet aveu fait, à Dakar, la semaine dernière, par le président IBK lui-même : « la situation à Kidal est inadmissible, intolérable et inacceptable… ». Erreur de communication, énième dérapage verbal ou aveu d’impuissance ? En tous les cas, le Président Keïta, qui n’a cessé de critiquer la gestion du dossier du nord par Amadou Toumani Touré, est en train de se rendre à l’évidence. Et une sagesse populaire bambara nous dit : « quand tu vois un os entre les crocs d’un chien, tu peux imaginer qu’il est très facile à croquer… ».
Que se passe-t-il aujourd’hui deux mois après l’entrée en fonction de l’homme qui se disait hostile à tout dialogue avec des bandits armés ? Ces mêmes bandits dictent à Kidal leur loi à l’Etat. Dans cette partie du Mali, le quota de présence imposé à l’armée malienne (250 éléments) demeure toujours en vigueur. Ce quota est tout simplement fixé par les Français. IBK, depuis sa prise de fonction, évite soigneusement d’évoquer le sujet. Et pour cause…
Que dire par ailleurs du refus des groupes armés (Mnla-Hcua) d’appliquer l’Accord de Ouaga ? Du cantonnement et du désarmement de leurs combattants ? Ou encore de l’occupation des édifices publics, comme le gouvernorat et la station régionale de l’Ortm ?
Au même moment, à Bamako, l’Etat libère, à tour de bras, des prisonniers terroristes pris sur le théâtre des opérations. S’y ajoute la levée des mandats d’arrêt lancés contre les principaux responsables rebelles. Et IBK promet d’en libérer d’autres si cela est nécessaire…Alors vivement d’autres libérations !
Face au tollé suscité au sein de l’opinion, le ministre de la justice multiplie les justifications, les gesticulations et autres explications bancales qui, au lieu de convaincre les Maliens sur la justesse des mesures prises, apportent la preuve qu’au sommet de l’Etat, la panique et surtout l’impuissance, sont désormais de mise dans la gestion de la situation à Kidal. Et les Maliens l’auront compris.
Ils ont surtout compris qu’IBK risque d’aller à des accords « plus scandaleux » que ceux signés à Alger en 2006. Et qu’il n’avait cessé de dénigrer. Nous reviendrons sans doute un jour sur la condamnation signée d’IBK à cette époque là. A lui de nous donner tort.
Où est donc passé le va-t-en guerre de 2006, qui se glorifiait d’avoir dénoncé l’accord d’Alger et qui promettait aux Maliens la restauration de leur dignité et de leur fierté ?
En attendant, une grosse déception s’installe au sein de l’opinion malienne, la frange qui croyait en l’homme. Mais qui, aujourd’hui ne croit plus aux discours, et exige (plutôt) des actes. Concrets.
C. H. Sylla
Source: L’Aube