C’est encore par une déclaration, la énième du genre depuis sa mise à l’écart, que la classe politique vient de se faire entendre. Elle dit avoir noté avec grand étonnement, l’absence dans le discours de fin d’année du Président de la transition de toute référence à l’organisation des élections et singulièrement celle devant mettre fin à la période transitoire dans laquelle le pays vit depuis bientôt cinq ans…
A en juger par son contenu la déclaration sonne comme responsable et engagée même si elle ne fera pas bouger d’un IOTA les autorités de la transition. Ces dernières sachant bien que la classe politique n’ira pas au-delà de la déclaration, répondent par un mépris souverain. Sinon comment comprendre que certaines couches socioprofessionnelles comme les associations religieuses et les syndicats sont craints et respectés, tandis que les partis politiques sont vilipendés et méprisés. Les autorités vont-elles donner une suite favorable à ce cri d’alarme de la classe politique en proposant un chronogramme ? Cette déclaration va-t-elle enfin sonner le glas de l’intimidation et de la peur ? A quoi pourrait-on s’attendre dans les jours voire semaines à venir ?
Ils sont une dizaine de partis et mouvements politiques à tirer la sonnette d’alarme pour dire, qu’après plus de quatre années de transition, cela suffit maintenant il faut signer le retour à l’ordre constitutionnel par l’organisation des élections. Ces partis et mouvements politiques dont les têtes de proue sont entre autres l’ADEMA-PASJ, le PARENA, YELEMA, M5 RFP- Mali Kura, expriment leur ras-le bol face à la délicate situation dans laquelle le pays est embourbé. Ils disent ne pas comprendre qu’après avoir fixé unilatéralement la date du retour à l’ordre constitutionnel, un premier report a eu lieu en 2022, puis un second report est intervenu en septembre 2023 avec la mention léger report. Quinze mois après cette décision le peuple est maintenu dans un flou. Par conséquent le mouvement donne jusqu’à la fin du premier trimestre 2025 pour que les autorités fixent un chronogramme détaillé et précis vers les élections. Seront-ils entendus par les autorités qui semblent avoir leur agenda ?
Les autorités vont-elles donner une suite favorable à ce cri d’alarme de la classe politique en proposant un chronogramme ?
Nul ne pourra répondre par l’affirmative car les autorités maliennes semblent avoir leur agenda, différent de celui de la classe politique. Rien qu’à en juger par la feuille de route du nouveau premier ministre. Elle comprend huit grandes priorités et sans surprise l’organisation des élections est la huitième et dernière priorité des autorités de la transition. En effet, tous les grands observateurs de la scène politique malienne tentent de faire un parallèle entre cette feuille de route du premier ministre malien et la durée du mandat que le Président du Burkina Faso, Ibrahim Traoré s’est donné qui court jusqu’en 2029. Quid du Président du Niger, qui ne semble point pressé, bref les pays de l’AES, par souci de « confédaralité » et pour une uniformisation de calendrier ne semblent guère se précipiter à organiser les élections. Donc les autorités maliennes ne proposeront pas de sitôt un chronogramme, à fortiori fixer la date de l’organisation d’élections pouvant mettre fin à cette longue et difficile transition. Cette transition qui n’a que trop duré et fortement éprouvé le résilient peuple malien ne fait que s’enliser. La question qui taraude tout esprit éclairé est celle de savoir que pourrait faire une classe politique moribonde comme celle du Mali, si les autorités venaient à refuser de donner un chronogramme détaillé conformément à son souhait ? Pas grand-chose, car deux indices le prouvent bien. Le premier est l’arrestation des 11 leaders politiques sans coups férir. Hors-mis les communiqués de condamnation, il n y a pas d’action de grande envergure pour protester contre cet abus. Le deuxième indice est la suspension des activités politiques sans que la classe politique ne proteste et exprime son désaccord. Nous osons espérer qu’elle a tiré tous les enseignements du passé récent et changera certainement de fusil d’épaule.
Cette déclaration va-t-elle enfin sonner le glas de la peur face aux intimidations de toutes sortes ?
Si la vigueur des propos contenus dans la déclaration et leur justesse sont le témoignage de l’engagement sans faille des leaders politique, on pourrait affirmer sans risque de se tromper que c’est le début de la fin de la peur bleue qui a envahi les politiques. En effet, pris en sandwich entre une opinion publique manipulée et dressée contre eux et des autorités qui avaient besoin d’une légitimité, les hommes politiques ont été victimes d’une violente campagne de dénigrement et de diffamation qui en a marqué plus d’un. Avec le bilan peu reluisant qui est celui des autorités militaires de la transition la classe politique commence à se réveiller. Elle semble sentir le vent tourner et sa réussite ou son échec dépendra de sa capacité à convaincre une opinion qui hésite encore et toujours à lui faire confiance. La classe politique malienne a besoin de faire sa mue en commençant par transmettre le flambeau à la nouvelle génération. Cette dernière aura pour mission principale de redorer le blason de la politique.
A quoi pourrait-on s’attendre dans les jours voire semaines à venir ?
En donnant un délai d’un trimestre aux autorités de la transition pour qu’elles proposent un chronogramme détaillé et précis vers la tenue des élections, la classe politique semble être prête pour le combat. Affaiblies et en perte totale de popularité, les autorités n’ont d’autres choix que d’engager le dialogue avec la classe politique et même la société civile pour parvenir un compromis dynamique. Tout emploi de la force ou toute intimidation par des mesures restrictives de libertés serait synonyme d’affront et pourrait provoquer une insurrection. Tous les ingrédients sont réunis pour qu’il y ait révolte, la crise socioéconomique avec son corollaire de perte massive d’emplois, de fermeture d’entreprises, la crise sécuritaire touchant une vaste partie du territoire, la crise alimentaire dont plus de 8 millions de maliens éprouvent le besoin, pour ne citer que celles-ci, font que la coupe est assez pleine.
En somme, la lassitude de la population, la durée indéterminée de la transition, les nombreuses crises auxquelles le Mali est confronté, la grogne sociale latente, sont autant de facteurs qui peuvent susciter des remous. Donc une conjugaison d’efforts de toutes les filles et de tous les fils du Mali est nécessaire pour éviter le chaos.
Youssouf Sissoko