Lors de la 5ème édition du festival culturel Ogobagna une cérémonie spéciale a été organisée, le samedi 1er février dernier, pour rendre un vibrant hommage à l’ancien président français, Jacques Chirac (intronisé Hogon, lors de sa visite au Mali en 2006). Occasion idoine pour l’ancien président de la République Amadou Toumani Touré, invité à cette cérémonie, de parler de son « ami » Chirac ! Un témoignage poignant !
La cérémonie a été marquée par la présence du président Amadou Toumani Touré, de l’ambassadeur de France au Mali, de plusieurs ministres et personnalités.
Dans son allocution, Amadou Toumani Touré dira que parler de Chirac, c’est prendre un risque : « le risque d’en dire trop ou pas assez dire moins ». « Au regard des relations d’une exceptionnelle qualités que j’ai entretenues avec l’ancien président de la République française. Oui, l’homme qui nous a quitté, le 26 septembre 2019, était un ami personnel et un ami du Mali et de l’Afrique », affirme ATT. Avant d’ajouter : « Merci à mes frère et sœurs de l’association « DGinna Dogon » d’ouvrir cette fenêtre d’hommage à Jacques qui a emporté avec lui une part du Pays Dogon. Ce passionné des grandes et vieilles civilisations avait été fasciné par ses lectures sur les cultures Plateau Dogon ; aux contacts des hommes, il a été définitivement conquis par des populations qui lui ont montré lors de sa visite qu’elles savaient accueillir et témoigner ainsi leur estime à celui qui les porte si haut dans son cœur ! ».
Le président Chirac a accueilli, poursuit Amadou Toumani Touré, son intronisation en tant que Hogon de l’Ireli comme un moment d’accomplissement qu’il n’a cessé de partager avec ses visiteurs pendant et après l’exercice du pouvoir.
Selon ATT, le titre de Hogon était tout sauf du folklore ou du pittoresque à ses yeux ! : « Il savait qu’un tel honneur et une dignité aussi élevée se méritaient et se célébraient. Le fait a été si marquant dans sa vie qu’il assigna au Musée du Quai Branly, qui porte désormais son nom, de préparer « l’Exposition sur l’Univers Dogon », la plus grande jamais réalisée par un Musée sur l’histoire de l’Art et de la Culture Dogon, depuis le 10ème siècle ».
« J’ai rappelé à cette occasion, en juin 2011, sa vision du dialogue des cultures lors de l’inauguration du Musée du Quai Branly en juin 2006 : le Musée du Quai Branly proclame qu’aucun Peuple, aucune Nation, aucune Civilisation n’épuise ni ne résume le Génie humain. Chaque Culture l’enrichit de sa part de beauté et de vérité et c’est seulement dans leurs expressions toujours renouvelées que s’entrevoit l’universel qui nous rassemble ! », se souvient le président Touré.
Chirac et l’Afrique ? ATT affirme que tous les témoignages sur le lien indissoluble entre le Président CHIRAC et notre Continent, celui de son biographe officiel, Jean-Luc Barré, fait autorité. « Dans un livre paru, en octobre 2019, quelques jours après la disparition de Jacques, il écrivait : Chirac aime l’Afrique. Il la connaît, la comprend, la respecte avec ce mélange de familiarité et de vénération qu’il voue de longue date aux plus vieilles communautés humaines. Lorsqu’il se rend en Afrique, c’est en somme son propre univers qu’il arpente, aussi à l’aise au cœur du Pays Dogon que sur ses terres de Corrèze, et plus admiratif des trésors ignorés du Musée de Bamako que des plus glorieux chefs d’oeuvre de l’art occidental. Je suis très attaché à l’Afrique, disait-il, parce qu’il s’agit d’un continent essentiel : l’homme y est né ! ».
Aussi, M. Touré a rappelé que c’est cet homme d’Etat et de grande culture qu’il l’a reçu en visite officielle en France en septembre 2002, trois mois seulement après son Investiture, avant son voyage mémorable en octobre 2003, à Tombouctou, Bamako, Sangha et Ireli, qui sera suivi d’autres. Une amitié était née et elle s’est poursuivie au-delà des vicissitudes du pouvoir.
« De nombreux amis, qui avaient suivi à la télé la cérémonie des obsèques de Jacques, m’ont dit avoir été marqué par la tristesse qu’ils lisaient sur mon visage. Oui ce n’était pas un masque, mais une peine réelle pour le départ d’un homme qui m’a couvert de sa généreuse affection et de son indéfectible amitié !
Au moment où nous lui rendons cet hommage, j’ai une pensée profonde pour sa famille, pour Bernadette et Claude Chirac ainsi que pour toutes les personnes qui, au Musée du Quai Branly ou au Musée Chirac de Saran, son village natal, font vivre la mémoire de l’Homme d’Etat », ajoute l’ancien président.
« Je ne vais pas conclure ce témoignage sur une note de tristesse car Jacques portait en lui une joie et une chaleur humaine que je m’empresse de résumer en deux à trois moments partagés avec lui : Le premier moment, c’est lorsque je suis venu une fois l’accueillir à l’aéroport de Bamako- Senou : à sa sortie d’avion, je vois une grande silhouette qui, tout sourire, déploie au plus large possible ses bras avant d’emprunter la passerelle. Un ami me posa la question plus tard de savoir : à qui Chirac faisait cette grande accolade ? A moi ? à la foule venue l’accueillir ? Je lui ai répondu que le connaissant, il embrassait ceux qui étaient venus l’accueillir mais aussi le Mali tout entier. Chez lui, l’amitié était aussi dans le geste !
Un autre voyage, un autre moment, mais scène presque identique à un détail près : j’étais habillé en costume! Le Président Chirac me demande : Amadou, et ton beau boubou ? Je lui ai répondu que nous devions traverser la ville en voiture décapotable et que le boubou peut rapidement revêtir les allures de parachute encombrant. En souvenir de ce moment, je me suis incliné en grand boubou devant son cercueil, malgré le froid qui pointait son nez à Paris en fin septembre.
Le troisième moment, c’est lorsqu’il a réalisé au cours d’une de nos conversations que je lui donnais systématiquement du « Monsieur le Président ». Au bout d’un moment, il m’avait arrêté net en demandant : ATT, y a-t-il un problème ? Tu es fâché ? Je ne suis plus Jacques ? Je me suis repris en l’appelant par son prénom : pour l’homme, l’amitié se nichait dans les mots.
Voilà le Chirac que j’ai connu : authentique et vrai, jamais dans le faux-semblant !
Le mot de la fin, je l’emprunte à Jacques lui-même qui, à la mort de Charles De Gaulle en 1971, avait dit ceci : De Gaulle nous a quittés mais nous n’avons pas quitté De Gaulle ! Etre consacré HOGON, c’est accéder à une forme d’immortalité. HOGON CHIRAC ne sous quittera donc jamais ! », conclu ATT.
Mohamed Sylla
Source: L’Aube