Les problèmes récurrents dans les démocraties modernes forcent à douter de la validité de ce régime à l’époque actuelle. La démocratie n’aurait-elle pas atteint ses limites et demanderait à être réformée ? Ce régime mérite aujourd’hui que des réflexions soient portées sur ses principes.
« La démocratie soulève de grandes difficultés. [NDLR] Les problèmes les plus importants et les plus difficiles sont les problèmes d’ordre moral », déclare Karl Popper, philosophe du 20e siècle. Ces problèmes de moralité font croire à des citoyens que les avantages qu’accorde ce régime leur donnent tout le droit. Ce qui pourrait expliquer pourquoi la stabilité est difficilement accessible en démocratie.
Trop de libertés asphyxient la liberté
Ces difficultés relèvent du « paradoxe de la liberté ». L’octroi d’une multitude de libertés au peuple conduit généralement à l’abus de ces libertés pour la satisfaction d’intérêts personnels. Selon Popper, ces abus s’expliquent par la coresponsabilité, dont l’exercice requiert la liberté d’expression, d’accès à l’information et de diffusion de l’information, de publication, etc.
« “Trop” d’État conduit à l’absence de liberté. Mais il peut aussi y avoir “trop” de liberté. Il existe malheureusement un abus de la liberté, analogue à l’abus du pouvoir de l’État », explique-t-il. Les abus de la liberté d’expression et de publication conduisent à la désinformation ainsi qu’à l’incitation à la violence. Des situations auxquelles nous assistons au Mali de nos jours. Ces pratiques sont de plus en plus développées alors que le pays vient de connaitre le quatrième coup d’État de son histoire.
Quand les citoyens prennent ainsi goût à une trop grande liberté, la stabilité politique et institutionnelle devient un idéal. Car aucun pouvoir ne recevra l’unanimité. En plus, l’union dont il a besoin pour son bon fonctionnement devient également un mirage. En un mot, le pays devient ingouvernable.
La démocratie patine
La démocratie malienne traverserait toujours cette crise d’adolescence qui a tendance d’acquérir valeur d’habitude. En tout cas, ce régime politique, traduit littéralement comme la souveraineté du peuple, semble être insuffisamment compris au Mali. Car si la démocratie met le peuple au centre de la gouvernance politique en lui octroyant des libertés, des droits et des devoirs, elle prévoit des limites aux libertés. Sauf qu’au Mali, les droits semblent prendre le dessus des devoirs ; les libertés ne semblent plus avoir de limites. Les abus sont plus nombreux que la conformité aux normes. En conséquence, la démocratie patine, toute la nation tangue au risque de chavirer.
Ces abus, pour le cas spécifique du Mali, relève d’une politique d’instrumentalisation du peuple. Des hommes politiques, en quête de popularité, s’érigent en représentants ou défenseurs du peuple. Cette couverture les aide dans leur entreprise de déstabilisation.
Ne faudrait-il pas alors donner raison au philosophe français du 18e siècle, Jean-Jacques Rousseau à travers ce passage de son ouvrage « Du contrat social » : « S’il y avait un peuple de Dieux, il se gouvernerait démocratiquement ». Parce qu’il s’agit d’un régime parfait. « Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes », a-t-il fini par indiquer.
La nature imparfaite de l’homme aurait fini par corrompre la démocratie, considérée comme parfaite. Si tel est le cas, c’est que la démocratie n’a jamais été parfaite, puisque le parfait n’est pas corruptible.
Refonder la démocratie
Thomas Hobbes aurait pressenti ce labyrinthe en proposant que l’État ait plus de liberté afin de régner en « léviathan » pour faire peur et obliger au respect des principes. « Nous avons besoin de la liberté pour empêcher les abus de l’État, et nous avons besoin de l’État pour empêcher les abus de la liberté », explique Popper. Les limites des libertés n’auraient pas été assez perceptibles. D’où les nombreuses violations auxquelles nous assistons.
Dans sa classification des différents régimes politiques et leur déclinaison, Platon expliquait : « La démocratie — souveraineté du peuple, du grand nombre, de la masse. Ici, selon Platon, il n’existe qu’une seule forme et elle est mauvaise, parce que parmi beaucoup d’hommes, il y a toujours beaucoup d’hommes mauvais », explique Karl Popper. D’où la critique de ce philosophe contre l’idée qui fait de la souveraineté populaire « l’initiative populaire ». Selon lui, il vaut mieux prôner pour le « jugement du peuple ».
Depuis l’Antiquité, la démocratie est objet d’interrogation. Les problèmes récurrents au cœur de la gestion de ce régime et qui n’épargnent aucun État actuel, quels que soient ses nombres d’années d’expérience dans la pratique, nécessitent que de véritables réflexions soient menées sur le fonctionnement de ce régime.
Faut-il une refonte de la démocratie ? Ignacio Ramonet répond par l’affirmatif : « Une architecture politique conçue, pour l’essentiel, au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, en Angleterre, aux États-Unis et en France sur la base des exemples antiques grec et romain, a nécessairement besoin d’une refondation ».
Fousseni Togola