- qui aurait terminé des études de droit jure que c’est la nécessité qui l’a amené au vol et à l’escroquerie
L’occasion fait le larron, dit un adage. Les policiers qui voient toutes sortes d’affaires atterrir sur leurs tables seraient plutôt d’accord avec cette vérité. Il n’est pas besoin de trop les pousser pour qu’ils vous racontent les exploits écourtés d’un citoyen lambda qui n’avait pas pu résister à une aubaine et qui à cause de ce moment de faiblesse, s’est retrouvé dans de très sales draps. Mais à côté de ces délinquants presque malgré eux, on trouve des gens que rien ne prédestinait aux délits et qui ont pourtant fait le choix délibéré de s’aventurer sur des sentiers douteux. Tel est le cas de V. Ce jeune homme d’une trentaine d’années qui affirme avoir fait des études de droit a beau jurer ses grands dieux que c’est la nécessité qui l’a mené à sa perte, il n’a pas trouvé grand monde pour le prendre en pitié.
Les faits. Nous étions au tout début de la semaine dernière aux environs de dix heures du matin et dans les alentours de Banankabougou-Sema. Une foule de justiciers était en train de courser un jeune homme qui malgré ses efforts désespérés finit dans la nasse de ses poursuivants. Et comme cela arrive de plus en plus souvent, la meute se divisa en adeptes de l’article 320 et en partisans de la remise du délinquant à la police. Le malheureux V. n’avait même plus la force de supplier ses geôliers. Il se demandait encore comment la combine qu’il avait montée avec le plus grand soin avait été éventée.
Quelques jours auparavant, le jeune homme s’était rendu dans une société spécialisée dans le commerce de matériaux de construction. L’entreprise a pour clientèle les particuliers qui veulent se mettre un toit sur la tête et qui n’ont pas le temps de courir les différents fournisseurs pour acheter ciment, sable, gravier et divers fers à béton. La société se propose de fournir le tout à des prix raisonnables. Ce jour là, V. s’était directement dirigé vers la secrétaire chargée d’accueillir les clients. Impeccablement habillé, il portait en bandoulière un gros sac noir et dégageait une sensation de relative aisance. A la jeune fille qui voulait avoir une idée de ses besoins, il expliqua qu’il avait en projet la construction d’une maison et il tenait à se faire une idée sur les prix pratiqués par ses interlocuteurs.
UNE AFFAIRES DE FAUSSES FACTURES. Très habilement V. fit comprendre à son interlocutrice que la société lui avait été recommandée par un de ses amis qui avait été très satisfait des prestations fournies. Flattée, la secrétaire lui tendit un catalogue détaillant toutes les offres de la société et le laissa feuilleter à loisir ce document. V fit semblant de se plonger dans une lecture minutieuse et laissa ainsi un quart d’heure s’écouler. Puis il rendit le catalogue à la secrétaire et lui confirma qu’il repassait tantôt pour sa commande ferme. « Vraiment vos prix sont abordables et les matériaux, de qualité. Vous me reverrez très bientôt », assura-t-il en prenant le chemin de la sortie.
Le bureau de la secrétaire se trouvant au premier étage du siège de la société, V. emprunta sans hésiter l’escalier qui le menait vers la cour. Mais il n’avait pas l’intention de s’en aller. Arrivé au rez-de-chaussée, il commença à traverser la cour, puis se frappa démonstrativement le front comme quelqu’un qui se souvient brusquement d’un objet qu’il aurait oublié de prendre. V. revint sur ses pas, mais se garda bien de remonter chez la secrétaire. Il alla vers un bâtiment annexe situé dans la cour, puis retourna vers son point de départ, regarda songeusement autour de lui comme un homme qui n’arrivait pas à se déterminer sur sa destination. Après avoir ainsi tournoyé pendant quelques minutes, il s’en alla. Son manège avait intrigué quelques employés, mais sans éveiller de méfiance chez eux.
Par contre, V. ignorait qu’il avait attiré l’attention d’un homme qui le connaissait bien. Un de ses voisins du quartier, un certain D., passait par le plus grand des hasards dans les parages et avait observé son étrange manège. A peine le jeune homme se fut-il éloigné que l’homme se précipita dans l’entreprise et demanda à certains employés de se méfier de V. si jamais ce dernier s’avisait de revenir. Il indiqua à ses interlocuteurs que le jeune homme avait eu des démêlés avec la police. Il aurait été impliqué dans une affaire de fausses factures qu’il avait établies pour s’approprier de l’argent dû à un prestataire. A l’époque, l’affaire avait fait grand bruit et avait jeté un sérieux discrédit sur le jeune homme dans tout son voisinage.
Les employés promirent à D. d’ouvrir l’œil. V. laissa quelques jours passer avant de revenir. Mais, cette fois-ci pour mettre en œuvre le plan qu’il avait en tête. Sans savoir que tout allait basculer pour lui ce jour là, il se présenta de nouveau chez la secrétaire. Il inventa un sujet de discussion pour indiquer qu’il était presque prêt à passer commande, mais avait besoin de quelques informations supplémentaires. La jeune fille remarqua que contrairement à la première fois, son visiteur ne se tenait pas tranquille. Il sortait fréquemment se mettre au balcon et de là, il balayait la cour du regard. Puis revenait s’asseoir. Un moment donné, il prit brusquement congé de la secrétaire.
Arrivé dans la cour, V. se dirigea directement vers des motos garées dans un coin. Il avait repéré ce lieu de parking depuis sa première visite et ses déplacements au balcon lui avaient donné l’assurance qu’il pouvait opérer avec les meilleures chances de réussite. V. s’approcha nonchalamment des engins et choisissant une moto qui n’était pas cadenassée, il enfonça dans le tableau de bord une clé qu’il avait sortie de sa poche. Il ignorait que du premier étage, un agent de sécurité avait suivi tous ses faits et gestes depuis le moment où il avait quitté le secrétariat. Se penchant par dessus la rambarde du balcon, l’homme demanda à V. ce qu’il faisait sur l’engin.
À TOUTES LES PORTES. Le voleur qui ne se doutait pas qu’il avait indexé après l’intervention de D. ne perdit pas son sang-froid en entendant cette interpellation. Le plus tranquillement du monde, il indiqua que Y., le propriétaire de la moto, l’envoyait faire une course pour lui avec son engin au centre-ville. Tout en répondant, V. s’évertuait à mettre en route l’engin. D’un ton accusateur, le gardien lui fit savoir qu’il n’y avait personne du nom de Y. dans la société. Ce fut à ce moment que le jeune homme se rendit compte qu’il s’était mis dans une situation très compromettante. Voyant l’agent dévaler l’escalier quatre à quatre en criant « au voleur! » il paniqua. D’autant plus que des personnes sortaient de tous les bureaux pour l’encercler. Il jeta donc la moto et voulut prendre la poudre d’escampette.
- réussit seulement à sortir de la cour de la société. Mais c’était pour constater qu’un groupe furieux et déterminé lui avait donné la chasse. Un autre groupe alerté par les cris des poursuivants s’était constitué pour barrer la route au fuyard. Ce dernier n’avait aucune chance d’échapper à la tenaille qui se referma impitoyablement sur lui. Il fut finalement coincé dans une rue de Banankabougou-Sema. Sans chercher à savoir ce qu’on reprochait exactement au jeune homme, une partie de la foule proposa à ce qu’il soit brûlé vif sur place. Fort heureusement pour l’ancien étudiant, un homme public (qui a souhaité garder l’anonymat) était de passage lorsqu’il constata l’attroupement et tout le brouhaha déclenché par la capture de V. Il avait aussitôt compris que le voleur était en danger de mort. Il parvint à convaincre la foule chauffée à blanc de ne pas se rendre justice. Il proposa plutôt de conduire le voleur au poste de police le plus proche. Ainsi dit, ainsi fait.
Sur place, les policiers procédèrent à une fouille sommaire du voleur de moto. Ils trouveront dans le sac que l’homme portait toujours sur lui une grande quantité de documents. La lecture de certains de ces papiers a permis de comprendre que V. usait également de faux en écriture pour gruger les citoyens. La plupart des documents trouvés sur lui étaient des faux titres de vente de terrain, cachetés et signés. Cela confirmait quelque part les dires de son « dénonciateur » qui l’avait identifié quelques jours plus tôt lors de son premier passage dans la cour de l’agence.
Interrogé sur les raisons de son acte, le suspect a donné une explication qui a laissé les policiers plus que sceptiques. Il soutint ainsi qu’il avait terminé avec des études en droit depuis plusieurs années. De cette date à nos jours, il aurait frappé à toutes les portes sans pouvoir obtenir d’un service quelconque ne serait-ce qu’un accord de stage. V. a assuré qu’il ne pouvait plus supporter la difficile situation financière dans laquelle il vivait sans aucun espoir de sortie. Espérons pour qu’il obtiendra une oreille plus attentive auprès des juges et qu’il saura trouver les mots pour convaincre ces derniers que sa situation était tellement désespérée qu’il n’avait plus d’autres issues que le vol et l’escroquerie.
MH.TRAORÉ
Source : L’ Essor