LE CERCLE. Les promesses d’aide financière au Sahel se sont multipliées ces derniers mois. Ces soutiens financiers peuvent aider la région à rattraper quelques importants retards, à faciliter son développement et à faire face à de nouveaux risques majeurs. Plusieurs conditions doivent cependant être remplies pour réussir cette ambition.
En novembre 2013, la Banque Mondiale et l’Union européenne ont décidé, en accord avec les Nations Unies, de lancer une “Initiative pour le Sahel”. Celle-ci prévoit le financement conjoint de grands projets structurants dans six pays de cette zone qui figurent tous au rang des Pays les Moins Avancés (PMA) et que les actuelles difficultés sécuritaires fragilisent encore plus : Sénégal, Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad. Lors d’une mission commune dans ces pays, les dirigeants des trois institutions ont annoncé un volume total d’investissements supérieur à 8 milliards de dollars et l’affectation de ces montants à des secteurs actuellement en retard et que tous considèrent comme prioritaires : énergie, infrastructures et éducation notamment.
La Banque Africaine de Développement (BAD) devrait s’associer à cette initiative. Celle-ci s’ajoutera, pour le Mali, à l’effort financier considérable de quelque 3 milliards d’euros annoncé par la Conférence des Bailleurs de fonds de mai dernier, destiné à aider la reconstruction du pays après la guerre de début 2013. L’intervention pourrait aussi être doublée d’un “Partenariat réel pour l’Afrique” que vient de lancer le Koweït à la suite d’une réunion avec les États africains.
Dans chaque cas, les ambitions sont identiques et classiques. Elles visent d’abord à accélérer et intensifier au maximum des investissements dont la réalisation est perçue comme élément permissif essentiel d’une croissance économique plus solide et plus inclusive. C’est aussi une réponse par l’action à des périls qui s’intensifient comme celui du terrorisme, déstabilisateur de toutes actions de développement, ou du chômage, que l’intense poussée démographique risque de rendre rapidement insupportable.
En revanche, la méthode proposée d’une intervention combinée de ces institutions financières dominantes, et l’ampleur des sommes en jeu sont nouvelles. Elles témoignent sans doute d’une prise de conscience – opportune – par ces acteurs internationaux que seul un effort collectif exceptionnel peut traiter efficacement l’urgence majeure que le Sahel doit affronter. Elles sont en tout cas une bonne nouvelle pour les pays bénéficiaires : cette manne financière devrait les aider à mener à bien de multiples investissements de taille suffisamment critique pour modifier rapidement les équilibres passés, lever de fortes inerties et exercer un effet d’entrainement de grande ampleur.
Pour réussir, ces initiatives majeures auront bien sûr à affronter tous les risques, locaux ou internationaux, politiques ou techniques, financiers ou humains, inhérents à tous les investissements effectués dans ces environnements. Trois difficultés supplémentaires auront cependant ici une acuité particulière.
La première est celle de la réalité et des modalités de l’aide envisagée. La manie du gigantisme et la contrainte de “l’effet d’image” poussent à la multiplication d’annonces pour les bonnes causes, mais les faits ne suivent pas toujours les paroles. De plus, en cas de plans d’action regroupant plusieurs donateurs de grande envergure, de nombreuses expériences passées ont montré que les exigences propres à chaque bailleur et les ego de ceux-ci rendent très délicate la coordination optimale des actions prévues et ralentissent souvent leur concrétisation. Enfin, l’absence fréquente de bilan d’exécution des plans proposés entrave l’analyse critique et la mise en œuvre de corrections.
Or, dans le cas présent du Sahel, la multiplicité des urgences exige que tous les financements annoncés soient confirmés. En même temps, la grande variété des projets nécessaires et des populations visées ainsi que la diversité des procédures des bailleurs rendent la qualité de leur concertation déterminante pour le succès des initiatives prévues.
La seconde difficulté réside dans la capacité des pays bénéficiaires à mobiliser les financements proposés. De façon déjà habituelle, beaucoup d’administrations africaines peinent à satisfaire aux conditions qui leur sont posées pour les programmes décidés, et les décaissements accumulent souvent d’importants retards. L’augmentation massive des montants en jeu va accroitre à due proportion ces risques d’une utilisation ralentie des financements disponibles : la Banque Mondiale vient de le souligner au Mali, où l’ampleur des besoins n’a pas empêché un ralentissement du taux de décaissement des concours, tombé aux environs de 30 %.
Une telle situation peut décourager certaines institutions extérieures et, surtout, provoquer l’incompréhension, la déception, voire la révolte des populations africaines qui ne verraient qu’au compte-gouttes la concrétisation des projets annoncés. Ces grandes initiatives n’auraient alors qu’un impact réduit, au profit des pays les plus efficaces et organisés, et passeraient pour un leurre dans les autres. Un tel décalage annulerait l’aspect global recherché, qui est une caractéristique fondamentale du projet.
La troisième difficulté consistera dans la pertinence des programmes retenus pour ces investissements censés répondre à des situations critiques et à y apporter des réponses adéquates. Il conviendra en particulier de privilégier les investissements ayant des retombées rapides et profitant au plus grand nombre, d’un côté, quelques grands chantiers ayant un impact multiforme, de l’autre, et la relance des projets en panne pour des pays en sortie de crise, enfin.
Les secteurs de la formation professionnelle, des petits projets agricoles, des infrastructures locales devraient aussi figurer dans les dossiers privilégiés. L’effort des institutions prêteuses pour ne pas multiplier à l’excès les interventions de bureaux d’études, dont les choix n’ont pas toujours l’objectivité désirée, sera aussi un bon signe d’une claire volonté, de part et d’autre, de préférer l’action à la parole.
Ne faisons pas la fine bouche. Malgré ces risques, les projets actuels d’aide globale au Sahel sont une chance immense pour cette partie fragile de l’Afrique, tant par leur importance financière que par la probable prise de conscience qu’ils traduisent de l’enjeu. Il reste seulement à espérer que toutes les parties prenantes sauront se saisir de cette opportunité et faire en sorte que cet espoir ne soit pas seulement virtuel.