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Entretien avec le leader de la communauté bellah du Mali : « L’état malien ne respecte que ceux qui ont pris les armes »

Dans l’interview qu’il nous accorde, Sbeyti Ag Akado, président de l’Association Malienne pour la Sauvegarde de la Culture Bellah retrace l’histoire des Bellah et décrit leur statut sociologique au nord. Il met en garde contre le traitement inégalitaire que l’Etat réserve aux différents acteurs de la crise.

Sbaïty Ag Akado Conseil National communauté Bellah cncb

Pourriez-vous vous présentez à nos lecteurs ?

Je suis Sbeyti Ag Akado, président de l’Association Malienne pour la Sauvegarde de la Culture Bellah et des mouvements d’autodéfense  »Bouctou-Protection ».

Que signifie vraiment le terme « Bellah » ?

Le terme « Bellah » est une appellation que les Arabes ont donnée à tous les peuples noirs de la bande sahélo-saharienne. Ces Noirs étaient pour la plupart des paysans. L’Arabe a appelé le paysan  »Fellah » dont le mot « Bellah » est une déformation. Ces peuples noirs ont peu à peu reflué au sud avec l’assèchement du Sahara. Une partie d’entre eux se sont retrouvés en contact avec des peuples blancs venus du Yémen, d’Israël et d’Europe, et qu’on a appelés les Arabo-berbères. Des relations de coexistence, on est passé à des relations de domination. Ainsi, tous ceux qui sont entrés en contact direct avec les Arabo-berbères ont gardé la dénomination de « Fellah » ou  »Bellah ». Historiquement, les « Bellah » constituent des communautés de Noirs qui ont une langue commune: le Tamashek, une langue appelée au Niger « la langue des Bellah ». Au Niger, on ne connaît pas le Tamashek, mais le « Bellah ». Si vous êtes de peau blanche, on vous y appelle « Bellah blanc » (en songhoi: « BellaTjirèye ») alors que si vous êtes noir, vous êtes appelé « Bellah » tout court. C’est au Mali que le terme de « langue tamashek » est utilisé, parce que les peuples noirs du Mali connaissent moins bien que les Nigériens l’histoire des sociétés de la bande située entre le Niger, le Mali, le Tchad. Au Mali, on croit que le terme « Bellah » vise les esclaves des Touaregs. C’est vrai que le Touareg a esclavagisé les Bellah, les Songhaïs, les Mossis, les Bambaras, les Senoufos, les Dogons, etc. Tous ces peuples noirs ont connu une certaine forme d’esclavage, tantôt à travers des raps effectués par les Touaregs, tantôt à travers des caravanes des vendeurs d’esclaves qui s’organisaient au sud du Sahara pour aller au Nord. Finalement, tous ceux qui sont devenus esclaves des Touaregs ont été appelés « Bellah ». Mais dans le sens le plus correct du terme, les « Bellah » sont une communauté qui a sa langue (le tamasheq, un mélange d’arabe et d’autres langues). Un Tunisien (j’oublie son nom) a écrit il y a 400 ans un ouvrage qui retrace l’histoire des Bellah. L’auteur pense qu’ils sont originaires de la bande située autour de la Mer Rouge (la Nubie, entre l’Egypte et le Soudan) et ont constitué des tribus puissantes. Ces tribus auraient été envahies par les Arabo-berbères qui finiront par les disloquer et leur ôter leur langue pour en faire la langue des autres.

Que représente numériquement la communauté Bellah au Nord?

Si vous prenez les régions de Gao, de Tombouctou et de Kidal, les Songhoïs y sont majoritaires, suivis par les Bellah. La communauté Bellah est la deuxième communauté en nombre dans les 3 régions du nord, dévançant de loin les autres communautés. Aujourd’hui, comme les Bellah sont stigmatisés par les autres communautés qui voient en eux des esclaves des Touaregs, beaucoup de Bellah, pour fuir les méfaits de ces clichés, prennent les patronymes de Touré, Maïga, Cissé, etc. Donc, si l’on faisait la part réelle des choses, en y incluant ceux qui ont changé de patronymes, la communauté Bellah pourrait se retrouver majoritaire par rapport à la communauté Songhoï.

La communauté Bellah est-elle impliquée dans la recherche de la paix au Nord?

La communauté Bellah constitue le socle social du Nord. Il n’y a pas un hameau ni un village où vous ne retrouverez pas de Bellah. Notre communauté subit plus que les autres les affres de la crise; elle prend part à différents mouvements armés (MNLA, HCHUA, Plateforme). Parmi les groupes d’autodéfense, 4 sont animés par des Bellal: le mouvement  »Bouctou » que je préside; le mouvement  »MBGM » présidé par Moussa Inta Zoumey; le mouvement  »FACO » de l’ex-député Mohamed El-Mouloud Ag Ahamada, et le  »MPFR 2 » animé par l’ex-gendarme Efad Akola. Tous ces mouvements armés ont du monde derrière eux, mais malheureusement ils ne se sentent pas suffisamment impliqués dans le processus de paix en termes de représentativité, de responsabilisation et de centre d’intérêt pour les autorités. Les autorités maliennes sont les mieux à même de comprendre qu’au nord, il y a des communautés avant qu’il n’y ait des groupes armés et que tous les groupes armés sont animés, d’une manière ou d’une autre, par des responsables des communautés. Tout le monde sait que le MNLA est animé par des Touaregs, le MAA par des Arabes, et le Ganda Koï par des Sonrhaïs. En conséquence, pour jeter les jalons d’une vraie réconciliation, il faut absolument que tous ces mouvements soient pris en compte et que dans la mise en œuvre et le suivi des accords, tous les actes posés associent toutes les communautés. J’ai le regret de vous dire que dans le Comité de Suivi censé être l’organe principal des accords, il n’y a pas de Bellah. Sur les 22 membres qui y représentent les groupes armés, il n’y a qu’un Bellah: Mohamed El-Mouloud. Et encore, il fait office de suppléant; il n’est même pas membre titulaire ! Il n’y a aucun Bellah dans les commissions ni dans les autres organes du Comité ! Or, de nos jours, la force de frappe du GATIA et d’autres groupes armés est à majorité constituée par de Bellah alors qu’au moment des discussions sur la paix, ils sont exclus pour la bonne raison que dans ce pays, on a pris l’habitude de ne regarder que du côté de trois communautés au nord: les Songhoïs, les Arabes et les Touaregs. Nos autorités agissent ainsi car elles savent que les Touaregs ont une grande capacité de nuisance. Les Songhoï, quant à eux, s’imposent par leur nombre. Les autorités oublient sur cette grande communauté laborieuse qu’est la communauté Bellah qui, pourtant, est au début, au milieu et à la fin de tout processus de développement au nord.

Vous semblez très amer au sujet du sort des Bellah…

Cette communauté est marginalisée à la fois par les communautés avec lesquelles elle vit et par les autorités qui sont censées diriger pourtant un Etat de droit et d’égalité. A tous ces niveaux, on sent la stigmatisation. Chaque fois que l’on cherche des dirigeants au nord, on les cherche du côté des autres communautés, on oublie les Bellah. Les communautés arabes, touarègues et Songhoï ne se sont pas encore débarrassées de leurs perceptions erronées de classes dominantes ou de classes supérieures. Et les Bellah en souffrent. Vous ne pouvez pas être dans un milieu songhoï sans entendre dire: « Hé Toi, tu n’es qu’un Bellah! ». Chez les Touaregs, c’est pareil. Nous détenons des enregistrements de chants et de poèmes faisant l’apologie de l’esclavage; on y promet même aux femmes Touarègues qu’elles retrouveront bientôt leurs esclaves Bellah et que ce processus de retour esclavagiste est en cours… La stigmatisation des Bellah est vécue au quotidien; elle devient même une marque déposée au su et au vu de l’Etat et de la communauté internationale. Nous vivons au nord des choses inacceptables au 21ème siècle: dans certaines familles, les Bellah sont bastonnés, insultés; ils ne mangent que les restes de nourriture des autres. L’Etat, au lieu de travailler à diminuer ces injustices, les encourage. L’Etat soutient les autres communautés aux dépens des Bellah. Nous avons toujours fait comprendre à l’Etat que nous ne sommes plus en période féodale et qu’il doit traiter les citoyens sur un pied d’égalité. En vain. Quand vous intégrez dans l’armée et l’administration 1000 Touaregs et 1000 Arabes contre zéro Bellah ou zéro Songhoï, vous créez les conditions de la domination de certaines communautés sur d’autres. Or, malheureusement, c’est ce que disent les accords de paix signés par l’Etat. Derrière l’appellation « CMA » et « Plateforme », il faut tout simplement lire regroupements d’Arabes et de Touaregs. Nous, les sédentaires, nous les Noirs, nous sommes sous-représentés dans les organes de décision de la CMA et de Plateforme. L’Etat et la communauté internationale cautionnent la soumission des Noirs aux Blancs. C’est dur à dire, mais c’est la réalité. Dans quelques semaines, vous ne verrez dans le Comité de suivi des accords que deux ou trois Noirs pour les régions du nord.

Avez-vous pris langue avec les autorités pour décrier cette situation ?

Nous n’avons jamais cessé de le faire à travers l’association « TEMET » qui lutte pour les droits de l’homme. Elle a interpellé le gouvernement malien par rapport à la stigmatisation dont est victime ma communauté. Depuis l’éclatement des rebellions des années 90, j’ai écrit et interpellé. J’ai tout le temps décrié le fait qu’on accorde des projets de développement à certaines communautés et non à d’autres. De 2012 à nos jours, je n’ai pas manqué une rencontre pour interpeller l’Etat et la communauté internationale sur le cas des Bellah. J’ai souvent fait irruption dans certaines salles pour dire aux autorités qu’elles ne peuvent pas faire la paix en excluant les Bellah, les Peulhs, les Bozos, les Songhoïs. Tout organe qui doit gérer, réfléchir et suivre le processus de paix doit inclure tout le monde. Mais j’ai l’impression que les autorités, premiers responsables de la mise en œuvre du processus de paix, reçoivent leurs ordres d’ailleurs. Le gouvernement préfère avoir pour seuls interlocuteurs ceux-là qui ont fait la guerre, qui sont capables de tout. J’ai déposé une demande d’audience dans tous les ministères et le seul ministre qui m’ait reçu est celui de la Culture, alors que quand certains quittent Tessalit ou Aguelhok, ils sont immédiatement reçus à la présidence de la République. Pourquoi refuse-t-on de nous recevoir ? C’est cela le drame ! Toute paix qui ne tient pas compte des communautés les plus éprouvées par la crise ou les plus vulnérables n’est qu’une paix précaire qui ne mettra jamais fin à la crise. Nous allons continuer à réclamer nos droits pour réconcilier les gens sur une base équitable.

Quel message adressez-vous au peuple malien ?

A tous les Maliens, je dis que la crise au nord est en train de toucher tout le reste du pays. Notre pays est en train de tomber dans un complot ourdi par des puissances extérieures comme la France. La France, en déstabilisant la Lybie, a créé les conditions pour jeter sur nous une horde d’envahisseurs. Nous avons ainsi perdu une grande partie de notre territoire et de nos jours, certaines parties du territoire restent aux mains des puissances occidentales. Les Maliens, malgré tout, continuent de croiser les bras, ne s’occupant que de la recherche du prix de condiments. Il est temps que les Maliens comprennent qu’en croisant les bras, on ne réussira pas la paix. Il faut aussi se souvenir que tous les Maliens sont libres et égaux en doits et devoirs; sinon, nous risquons de retrouver au Mali deux types de citoyens : les citoyens forts, qui ont l’appui de l’Etat et de la communauté internationale, face à des citoyens de seconde zone qui sont expropriés de leurs terres, de leurs ressources, qui sont bastonnés et réduits au chômage. Voyez! De nos jours, beaucoup de jeunes sont prêts à payer de l’argent pour des postes dans les groupes armés. C’est dire que les gens croient que pour avoir du travail, il faut devenir criminel, aller du côté des méchants !II faut que les Maliens arrêtent de penser que la paix viendra d’elle-même, et non il faut des actions. Aux autorités, je dirai que leur mission première est de faire respecter la Constitution. Il faut qu’elles arrêtent d’ignorer notre Constitution et de diviser le pays. « Un peuple Un But Une Foi », telle est la dévise de la République. Nos autorités semblent s’occuper d’autre chose que de recouvrer l’intégrité du pays et la cohésion sociale. Il faut qu’elles arrêtent avant qu’il ne soit trop tard. A travers le monde, quand ça coince, ça pète et quand ça pète, c’est le sauve-qui-peut! Dans la sortie de crise, toutes les parties jouent leur partition sauf l’Etat. Comme s’il ne se préoccupait pas de la paix ! Enfin, je dis aux groupes armés qu’il est temps d’arrêter les hostilités pour le bonheur des populations que nous représentons.

Source : .proces-verbal

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