Le Grand Hôtel de Bamako a servi, le jeudi 4 avril 2013, de cadre de réflexion sur un avant-projet de loi réprimant le crime d’enrichissement illicite au Mali. Ledit atelier était présidé par le ministre de la Justice Malick Coulibaly.
Malick Coulibaly
Le Ministre a, d’entrée de jeu, rapporté une anecdote. Selon le ministre, le procureur général de Bamako, Daniel Téssougué, l’a appelé pour l’informer qu’un fonctionnaire malien venait de porter plainte contre un citoyen pour abus de confiance. Le citoyen aurait détourné au détriment du fonctionnaire la somme de 67 millions de FCFA qui devaient servir à l’ameublement d’une maison. Le Ministre Coulibaly de s’interroger: « Quel est ce fonctionnaire qui peut investir 67 millions de FCFA,rien que pour l’ameublement de sa maison ? Combien la maison aura-t-elle alors coûté ? Qu’est ce qui est quotidiennement dépensé pour la nourriture de ce fonctionnaire ? Sa santé ? L’éducation de ses enfants ? ». Le fonctionnaire étant interdit de commerce, ses revenus réguliers ne permettent pas de faire face à ces folles dépenses. « A moins qu’il n’ait découvert un puits de pétrole dans sa cour ou une mine d’or au milieu de sa chambre, hérité de plusieurs milliards de son père, ou gagné au Loto! », ironise le ministre. Malick Coulibaly déplore que le dispositif répressif actuel ne permette pas toujours d’engager des poursuites contre ceux qui s’enrichissent de manière illicite. Uun sentiment d’impunité règne de nos jours alors que la délinquance financière se propage,ce qui compromet les fondements de la démocratie. L’exhibition des biens mal acquis de la part de leurs auteurs et les sentiments de frustration qu’elle crée chez les pauvres sert de terreau aux révoltes sociales.« Ma mère m’a souvent répété que si chacun vivait de ses efforts, les uns envieraient peu les autres », a confié le garde des sceaux. Il souligne que l’insuffisance ou l’absence de répression des de l’enrichissement illicite engendre un déficit de confiance entre gouvernants et gouvernés.
D’où la nécessité pour le gouvernement malien de proposer un projet de loi portant répression de l’enrichissement illicite. Il s’agit à travers ce projet de loi de donner la possibilité aux pouvoirs publics d’extirper de la société des pratiques insidieuses, non conformes à nos mœurs, qui créent l’injustice sociale et paralysent le développement du pays. Avec ce projet de loi, c’est à la personne poursuivie pour enrichissement illicite, et non à la partie poursuivante, de justifier la légitimité de ses richesses. Ce renversement de la charge de la preuve paraît heurter la présomption d’innocence mais, pour Malick Coulibaly, « il est inconcevable de sacrifier la lutte contre l’enrichissement illicite sur l’autel de la présomption d’innocence ». Le ministre Coulibaly ajoute que le dispositif légal en cours de préparation vise à conformer le Mali aux exigences de conventions internationales ratifiées mais répond aussi aux recommandations des états généraux sur la corruption.
La voie du changement
La nouvelle législation entre en droite ligne dans la feuille de route que le ministre de la justice s’est assignée dès le départ: nettoyer les écuries d’augias maliennes par voie de justice. On se souvient que le ministre a déjà changé la plupart des procureurs et procureurs généraux du Mali et qu’il envisage de s’attaquer, à bref délai, à la mutation des juges du siège. Ensuite, Malick Coulibaly a ordonné au pôle économique de Bamako de rouvrir tous les dossiers criminels, notamment financiers, qui ne sont pas couverts par la prescription légale de 10 ans. Il semble avoir, enfin, redonné confiance aux justiciables qui, de plus en plus, se sentent à l’abri des injustices. C’est ainsi qu’après la libération de 29 détenus incarcérés dans le cadre de l’affaire des bérets rouges, les commandos paras ont, lors d’un rassemblement dans leur camp de Djikoroni, « salué la justice malienne pour son indépendance et son courage ». Malick Coulibaly a aussi reçu, il y a 3 mois, un manifeste de soutien du réseau des radios Kayira dont on connaît l’extrême exigence envers les tribunaux. C’est sans doute cette volonté de changement qui a valu au ministre sa réconduction dans les multiples gouvernements de la transition alors qu’il n’est encarté à aucun parti politique. Rappelons qu’au démeurant, Malick Coulibaly est, dans les annales, le seul magistrat malien à avoir démissionné de ses fonctions pour se conformer à sa conscience.
Abdoulaye Koné