Le vote récent d’une loi au Sénégal illustre la pléthore de partis politiques. Mais ceux-ci n’existent souvent que sur le papier et le pouvoir reste entre les mains de grands partis au service d’un homme politique.
Les députés sénégalais ont adopté le 19 avril une nouvelle loi électorale qui impose un parrainage de 0,8% du corps électoral, soit 52.000 signatures, à tous les candidats à la présidentielle.
Le vote est passé dans un climat de contestation avec des rixes entre députés mais ausi des affrontements à l’extérieur du Parlement qui se sont soldés par l’arrestation de plusieurs opposants, ceux-ci dénonçant une manœuvre du pouvoir pour écarter certains candidats.
Le gouvernement a rétorqué que ce filtrage est nécessaire pour “assainir la démocratie” au Sénégal. “Quand on gouverne, on cherche à éviter ce qui bloque le système”, a déclaré le ministre de la Justice, Ismaïla Madior Fall.
Avec ce nouveau texte, les autorités sénégalaises affirment vouloir prévenir une inflation du nombre de candidats à la présidentielle dans un pays qui compte 258 partis politiques enregistrés. Ainsi, les dernières élections en juillet 2017 ont vu 47 listes s’affronter.
Le Sénégal n’est pas un cas unique sur le continent africain. Au contraire, il n’est pas rare qu’un pays compte de nombreux partis, parfois plusieurs centaines. La République démocratique du Congo, qui vient de publier son fichier électoral et dont la loi de répartition est en cours d’examen au Parlement, dans la perspective de l’élection présidentielle de décembre prochain, compte pour sa part 477 partis. Un record sur le continent pour ce pays hors-norme. Au Congo-Brazzaville, selon le ministère de l’Intérieur, plus de 200 partis et associations politiques sont enregistrés mais seulement une dizaine sont actifs et présents à l’Assemblée nationale. Même tendance au Cameroun où 305 partis politiques sont enregistrés mais seuls une douzaine sont représentés dans les municipalités ou au Parlement, comme le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) du président Paul Biya, le Front social démocratique (SDF) de Ni John Fru Ndi ou le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) de Maurice Kamto. Enfin, un petit pays comme le Rwanda compte 11 partis dont seulement quatre sont actifs : le Front patriotique rwandais (FPR) qui est au pouvoir, le Parti social démocrate (PSD), le Parti libéral (PL) – tous deux largement sous le contrôle du FPR – et le parti des Verts. Forte mortalité des partis Il faut donc prendre avec prudence le constat d’une “pléthore de partis politiques” qui doit être relativisé par deux remarques. La première concerne le taux important de mortalité des partis politiques sur le continent. “Ce que l’on voit c’est bien sûr une pléthore de partis politiques qui ont été créés depuis les années 1990”, a expliqué à la DW Kamissa Camara, chercheuse à la Fondation nationale pour la démocratie aux Etats-Unis, “mais ces partis disparaissent à la même vitesse qu’ils se créent. Donc on arrive à des systèmes où on a sur le papier des centaines de partis politiques qui existent mais dans la réalité il n’y en a peut-être que deux ou trois qui font vraiment la différence sur le terrain.” Une “mortalité” qui serait essentiellement liée, selon Kamissa Camara, à la forte personnalisation des formations politiques africaines. “La personne qui a créé ce parti, qui centralise toute l’énergie du parti, lorsqu’elle disparait de la scène politique, pas forcément physiquement, alors le parti disparait avec elle. Par exemple, prenons le cas de la Côte d’Ivoire : lorsqu’on regarde le parti FPI, c’est au départ de Laurent Gbagbo que le FPI a connu tout ce remue-ménage. Donc effectivement il y a cette mortalité qui est une réalité à ne pas ignorer.” La seconde remarque tient au fait que l’Afrique n’a pas l’apanage de la multiplication des partis en tous genres. La France, selon le rapport 2016 de la Commission nationale des comptes de campagne, recense 365 formations politiques mais seulement une quinzaine sont actifs sur la scène politique nationale. De façon similaire mais dans des proportions moindres,l’Allemagne n’est pas non plus épargnée par le phénomène des formations régionales ou défendant des causes plus spécialisées (famille, protection des animaux…) mais au final, seulement une quinzaine de partis dominent la scène politique nationale. Pires démocraties du monde Le rapport entre le nombre de partis enregistrés et la santé démocratique des pays est en revanche plus intéressant. Vu sous cet angle, peu de pays, à l’exception du Sénégal, du Bénin et, dans une moindre mesure, de l’Afrique du Sud, peuvent affirmer qu’il existe une corrélation entre le nombre de partis politiques et la démocratie. Le constat est en revanche beaucoup plus sombre pour des pays comme la République démocratique du Congo (RDC), le Tchad ou la Guinée, trois systèmes politiques caractérisés par un nombre important de partis et un verrouillage du pouvoir. Deux classements évaluant la santé des démocraties – l’index Ibrahim 2017 pour la gouvernance en Afrique (54 pays) et l’index démocratique 2017 (167 pays) publié par l’hebdomadaire The Economist montrent que les pays possédant le plus grand nombre de partis politiques font souvent partie des pires démocraties du monde. Un troisième classement, Freedom in the World 2018 ne fait que confirmer ce constat. L’émiettement de la vie politique reste par ailleurs un facteur d’affaiblissement de l’opposition. Les crises politiques dans deux pays tels que la République démocratique du Congo ou le Togo se caractérisent par une opposition divisée, incapable d’offrir une alternative forte et crédible face aux présidents Joseph Kabila et Faure Gnassingbé. “Si vraiment on voulait faire partir Faure Gnassingbé”, ajoute Kamissa Camara,”les partis de l’opposition devraient former une coalition forte et désigner un candidat principal qui aurait ses chances de défaire le président actuel.” En RDC, la tentative du président Kabila de “recruter” Felix Tshisekedi, le leader de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), pour en faire son Premier ministre, relève aussi de cette même stratégie qui vise à appuyer sur les divisions de l’opposition. Cette dernière est en effet réunie au sein d’une plateforme composite qui regroupe le G7 de Moïse Katumbi et l’Union pour la nation congolaise (UNC) de Vital Kamerhe. Deux partis qui sont eux aussi liés aux ambitions d’un seul homme.